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vée dans le Temple, qui trembloit, je ne fçais par quel arti-
fice, jufques dans fes fondemens, ainfi qu'un laurier qui étoit
à l'entrée de ce Temple. Alors les Prêtres, qu'on nommoit
auffi les Prophétes, prenoient la Pythie, la conduifoient dans
le Sanctuaire, & la plaçoient fur le Trepied. Dès que
la va-
peur divine commençoit à l'agiter, on voyoit fes cheveux se
dreffer fur la tête; fon regard devenir farouche, fa bouche écu-
mer, & un tremblement fubit & violent s'emparer de tout
fon corps. Dans cet état elle tâchoit de s'arracher aux Pro-
phétes, qui la retenoient comme par force, & fes cris & fes
hurlemens faifoient retentir le Temple, & rempliffoient les
Affiftans d'une fainte frayeur. Enfin, ne pouvant plus refifter
au Dieu qui l'agitoit, elle s'abandonnoit à lui, & proferoit
par intervalles quelques paroles mal articulées, que les Pro-
phétes recueilloient avec foin, les arrangeoient, & leur don-
noient avec la forme du vers, une liaison qu'elle n'avoient pas
dans la bouche de la Prêtreffe (1). L'Oracle prononcé, on la (1) Herod.
retiroit du Trepied pour la conduire dans fa cellule, où elle Plut.Strabon,
étoit plufieurs jours à fe remettre de fes fatigues. Souvent,
dit Lucain, une mort prompte étoit le prix ou la peine de
fon enthousiasme (2).

&c.

(2) Pharf.

Comme la Pythie n'étoit que l'inftrument dont on fe fer- liv. 5. voit pour découvrir la volonté d'Apollon, l'Oracle avoit plufieurs autres Miniftres; des Prêtres ou Prophetes, qui avoient foin de tout ce qui le regardoit; qui choififfoient les Victimes, offroient les facrifices, les réiteroient quand ils n'étoient pas favorables, conduifoient la Prêtreffe au Trepied, où ils la plaçoient d'une maniere commode à recevoir toute la vapeur qui fortoit de l'antre, à l'ouverture duquel elle étoit aflise; recueilloient fes paroles, & les donnoient aux Poëtes, autre forte de Miniftres qui les mettoient en vers. Il paroît par un paffage de Plutarque (3) que ces Poëtes étoient avec les Pro- (3) Loc. cit. phetes autour de la Pythie, lorfqu'elle prononçoit les paroles que le Dieu lui dictoit. Les vers que compofoient ces Poëtes, étoient fouvent durs, malfaits, & toujours obfcurs; ce qui avoit donné lieu à cette raillerie, qu'Apollon, le chef des Muses, faifoit de fort mauvais vers. Quelquefois la Pythie, comme on l'affure du moins de Phemonoé, prononçoit elle

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même fes Oracles en vers; dans la fuite, on fe contentoit de les rendre en profe aux Confultans ; ce que Plutarque regarde comme une caufe de la décadence de l'Oracle. Il y avoit pour cet Oracle plufieurs autres Miniftres, dont on peut voir les noms & les fonctions dans la troifiéme Differtation de M. Hardion; enforte , comme le dit M. de Fontenelle, que toute la ville de Delphes vivoit opulemment de l'Oracle. Comme le Sanctuaire où étoit la Pythie, étoit caché par des branches de laurier; que la Prêtreffe étoit environnée des Prophetes & des Poëtes, & qu'il y avoit encore deux rangs de femmes qui empêchoient les profanes d'en approcher, il étoit difficile de fçavoir précisément ce qui s'y paffoit; & fans quelques curieux qui avoient pénétré plus avant dans le fecret des Prêtres, nous n'aurions pas pu parler fi pofitivement que nous l'avons fait, de la maniere dont cet Oracle fe rendoit. ARTICLE I V.

L'Oracle de Trophonius.

QUOIQUE Trophonius n'ait eté qu'un Heros, & même fuivant quelques Auteurs, un brigand & un fcelerat, il eur pourtant un Oracle qui devint très-fameux dans la Béotie, & auquel on pratiquoit de grandes céremonies, avant que d'en obtenir la réponse. Comme perfonne n'en a parlé avec plus de connoiffance & plus de détail que Paufanias, qui l'avoit confulté, & en avoit effuyé les fatigantes pratiques, (1) In Beot. On ne fçauroit mieux faire que de rapporter ce qu'il dit (1) de ce perfonnage, & de fon Oracle. Erginus, dit-il, fils de Clymenes Roi d'Orchomene, étant parvenu à un âge fort avancé, & voulant se marier, alla confulter l'Oracle d'Apollon, pour fçavoir s'il auroit des enfans. La Pythie embarraffée, lui répondit en termes énigmatiques, que quoiqu'il s'en avifat bien tard, il pouvoit cependant beaucoup efperer d'une jeune femme. Conformement à cette réponse il époufa une jeune perfonne, & en eut deux fils, Trophonius & Agamede, qui devinrent l'un & l'autre dans la fuite de grands Architectes. Ce furent eux qui bâtirent le Temple d'Apollon à Delphes, & un Edifice pour les tréfors d'Hyrieus. En conftruifant ce der

nier bâtiment, il y avoient pratiqué un fecret, dont eux feuls avoient connoiffance: une pierre qu'ils fçavoient ôter & remettre fans qu'il y parût, leur donnoit moyen de voler chaque nuit l'argent d'Hyrieus, lequel le voyant diminuer fans qu'on eût ouvert les portes, s'avifa de tendre un piege autour des vafes qui renfermoient fon tréfor, & Agamede y fut pris. Trophonius ne fçachant comment le dégager,& craignant que s'il étoit mis le lendemain à la question, il ne découvrît le myftere, lui coupa la tête.

Sans entrer dans la critique de cette hiftoire, qui semble être une copie de celle qu'Herodote raconte au long d'un Roi d'Egypte, & de deux freres qui lui voloient fon tréfor par un femblable stratagéme, je dois faire observer que Paufanias ne nous apprend rien de la vie de Trophonius, & qu'il dit feulement que la terre s'étant entr'ouverte fous fes pieds, il fut englouti tout vivant dans cette foffe que l'on nomme encore aujourd'hui la foffe d'Agamede, & qui fe voit dans un Bois facré de Lébadée, avec une colonne que l'on a élevée au-deffus.

La mort de ces deux freres eft racontée autrement par Plutarque, qui cite Pindare. Après la conftruction du Temple de Delphes, dont Apollon avoit jetté lui-même les fondemens, au rapport d'Homere, ils demanderent leur récompenfe à ce Dieu, lequel leur ordonna d'attendre huit jours, & cependant de faire bonne chere; mais au bout de ce terme ils furent trouvés morts.

:

Lébadée, continue Paufanias, eft une ville auffi ornée qu'il y en ait dans toute la Grece le Bois facré de Trophonius, n'en eft que fort peu éloigné, & c'eft dans ce Bois qu'eft le Temple de Trophonius avec fa Statue, qui eft un Ouvrage de Praxitele. Lorfqu'on vient confulter fon Oracle, il faut pratiquer certaines ceremonies. Avant que de descendre dans l'antre où l'on reçoit la réponse, il faut paffer quel ques jours dans une Chapelle dediée au bon Genie & à la Fortune. Ce temps eft employé à fe purifier, par l'abstinence de toutes les chofes illicites, & à faire ufage du bain froid, car les bains chauds font défendus ; ainfi on ne peut fe laver que dans l'eau du fleuve Hercine. On facrifie à Trophonius

& à toute fa famille, à Jupiter furnommé Roi, à Saturne, à une Cerès Europe, qu'on croyoit avoir été nourrice de Trophonius; & on ne vit que de chairs facrifiées. Il falloit aussi confulter les entrailles de toutes les Victimes, pour fçavoir fi Trophonius trouvoit bon qu'on defcendit dans fon antre; fur-tout celles d'un belier, qu'on immoloit en dernier lieu. Si les aufpices étoient favorables, on menoit le Consultant la nuit au fleuve Hercine, où deux enfans de douze ou treize ans lui frottoient tout le corps d'huile. Enfuite on le conduifoit jufqu'à la fource du fleuve, & on l'y faifoit boire de deux fortes d'eau ; celle de Lethé, qui effaçoit de l'efprit toutes les penfées profanes, & celle de Mnemofyne qui avoit la vertu de faire retenir tout ce qu'on devoit voir dans l'antre facré. Après tous ces préparatifs, on faifoit voir la Statue de Trophonius, à qui il falloit faire une priere: on étoit revétu d'une tunique de lin, & orné de bandelettes facrées; ensuite de quoi on étoit conduit à l'Oracle.

Cet Oracle étoit fur une montagne, dans une enceinte faite de pierres blanches, fur laquelle s'élevoient des Obelifques d'airain. Dans cette enceinte étoit une caverne de la figure d'un four, taillée de main d'homme. Là, s'ouvroit un trou affez étroit, où l'on ne defcendoit point par des degrés, mais avec de petites échelles. Lorfqu'on y étoit defcendu, on trouvoit encore une petite caverne, dont l'entrée étoit affez étroite: on fe couchoit à terre; on prenoit dans chaque main certaines compofitions. de miel, qu'il falloit neceffairement porter; on paffoit les pieds dans l'ouverture de cette feconde caverne, & auffi-tôt on fe fentoit emporté au-dedans avec beaucoup de force & de vîteffe.

C'étoit là que l'avenir fe declaroit, mais non pas à tous de la même maniere : les uns voyoient, les autres entendoient. On fortoit de l'antre couché à terre, comme on y étoit entré, & les pieds les premiers. Auffi-tôt on étoit mis dans la chaife de Mnemofyne, où l'on demandoit au Consultant ce qu'il avoit và ou entendu : de-là on le ramenoit, encore tout étourdi, dans la Chapelle du bon Genie, & on lui laiffoit le temps de reprendre fes fens; après quoi il étoit obligé d'écrire fur un Tableau, tout ce qu'il avoit vu ou entendu, ce

que les Prêtres apparemment interprétoient à leur maniere. Paufanias ajoute qu'il n'y avoit jamais eu qu'un homme qui fût entré dans l'antre de Trophonius, & qui n'en fût pas forti. C'étoit un efpion que Demetrius y avoit envoyé, pour voir s'il n'y avoit pas dans ce lieu faint quelque chofe qui fût bon à piller. Son corps fut trouvé loin de-là, & il y a apparence

fon deffein étant découvert, les Prêtres le maffacrerent dans l'antre même, & le firent fortir par quelque iffue, par laquelle ils entroient eux-mêmes dans la caverne, fans qu'on s'en apperçût. Ce même Auteur dit à la fin: Ce que j'écris ici, n'eft pas fondé fur un oui-dire; je rapporte ce que j'ai vû arriver aux autres, & ce qui m'est arrivé à moi-même: car pour m'assurer de la verité, j'ai voulu defcendre dans l'antre, & confulter l'O

racle.

Plutarque qui dit que de fon temps tous les Oracles de la Beotie avoient ceffé, à la referve de celui de Trophonius, parle dans fon Traité du Genie de Socrate, d'un certain Timarque, qui raconte ce qu'il prétendoit avoir vu dans l'antre de Trophonius; mais c'étoit apparemment un impofteur, qui en rapporte des chofes fort extraordinaires, & qui merite beaucoup moins d'être cru que Paufanias.

On ignore en quel temps l'Oracle de Trophonius fut établi: on fçait feulement par Paufanias, qu'il étoit ignoré dans la Beotie même, lorfqu'une grande fechereffe affligeant cette contrée, on eut recours à Apollon de Delphes, pour apprendre de ce Dieu le moyen de faire ceffer la fterilité. La Pythie répondit que c'étoit à Trophonius qu'il falloit avoir recours, & qu'on devoit l'aller chercher à Lébadée. Les Députés obéirent; mais comme ils ne pouvoient trouver d'Oracle en cette ville, Saon le plus âgé d'eux, apperçût un effain d'abeilles, & obferva de quel côté il tournoit. Il vit que ces abeilles voloient vers un antre; il les fuivit, & découvrit ainfi l'Oracle. On dit, c'est toujours Paufanias qui parle, que Trophonius l'inftruifit lui-même de toutes les ceremonies de fon culte, & & de la maniere dont il vouloit être honoré & confulté ; ce qui me fait croire que c'eft ce Saon qui eft lui-même le fondareur de cet Oracle, qui fut fans doute établi à l'occasion de la

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