état de la renverfer. Avant que de rien entreprendre il envoya confulter les Oracles de la Grece, & de l'Afrique. Ainfi il nomma des Députés pour Delphes, pour Dodone, d'autres pour l'Oracle d'Amphiaraus, pour celui de Trophonius, & pour celui des Branchides, qui étoit fur les frontieres des Milefiens. Il en dépêcha en Afrique pour aller à l'Oracle de Jupiter Ammon. Cette premiere démarche n'étoit que pour fonder les Oracles; & fuppofé qu'ils répondiffent quelque chofe de vrai, il fe propofoit d'y envoyer une feconde fois, pour apprendre d'eux s'il s'engageroit dans l'entreprise qu'il meditoit contre les Perfes. Il → commanda à ces Envoyés d'observer exactement le temps qui fe feroit écoulé depuis leur départ de Sardes, & de demander lorfqu'ils les confulteroient, ce que faifoit Cre→ fus ce jour-là. Ôn ne dit point ce que répondirent les autres » Oracles; mais quand ils furent arrivés à Delphes, à peine » étoient-ils entrés dans le Temple, que la Pythie leur dit en vers héroïques, qu'elle connoiffoit l'efpace immenfe de la mer, qu'elle fçavoit comme les Dieux le nombre des grains »de fable qu'elle contient, qu'elle entendoit parler celui qui > ne parle jamais, que rien ne lui étoit caché; & qu'actuel lement elle voyoit que dans un lieu éloigné on faifoit cuire » dans un pot de cuivre, avec un couvercle de même metal, » de la chair d'agneau mêlée avec de la chair de tortue. Lorf» que les Députés envoyés aux autres Oracles, arriverent, 30 Ĉrefus examina avec grand foin les réponses qu'ils apportoient, & n'en fit aucun cas, fi ce n'eft de celle d'Amphiaraüs (fur laquelle notre Auteur ne nous donne aucun éclairciffement;) mais lorfque les Députés de Delphes ar> riverent, ce Prince fut frappé d'étonnement en apprenant la réponse de l'Oracle, & le regarda comme le plus infaillible de tous ». Un Gouverneur de Cilicie,obfedé d'Epicuriens qui tâchoient de lui infpirer du mepris pour les Oracles, refolut, comme le dit agreablement Plutarque, d'envoyer un Efpion chez les Dieux. Il lui donna un billet bien cacheté, pour le porter à Malles, où étoit l'Oracle de Mopfus. Cer Envoyé coucha dans le Temple, & vit un homme fort bien fait, qui lui dir, Do i de for pour Noir. Il porta au Gouverneur cette réponse, qui parut ridicule Quelquefois les réponses des Oracles n'étoient qu'une fim- Finiffons cet article par une réponse, que rapporte Strabon (1), & qui fut bien funefte à la Prêtrefle de Dodone (1) Strab. qui l'avoit rendue. Pendant la guerre des Thraces contre les pag. 177. Béotiens, ces derniers allerent confulter l'Oracle de Dodone, & la Prêtreffe leur répondit qu'ils auroient un heureux fuccès, s'ils en agiffoient en impies. Les Envoyés des Béotiens perfuadés que la Prêtreffe vouloit les tromper, pour favorifer les Pelafges dont elle defcendoit, & qui étoient Alliés des Thraces, prirent cette femme, & la firent brûler vive, difant que de quelque maniere qu'on tournât cette action, elle ne pouvoit qu'être touvée jufte. En effet, fi la Prêtreffe avoit eu deffein de les tromper, elle étoit punie de fa fourberie: fi elle avoit parlé fincerement, ils n'avoient fait qu'executer l'Oracle à la Lettre. On ne fe paya pas de cette raison, on fe faifit des Envoyés; mais comme on n'ofoit pas les punir, fans les avoir jugés auparavant, on les conduifit devant les deux Prêtreffes qui reftoient; car il devoit y en avoir trois alors à cet Oracle, felon le recit de Strabon. Les Deputés ayant reclamé contre cette conduite, on leur accorda deux hommes, pour les juger avec les Prêtreffes. Celles-ci ne manquerent pas de les condamner; mais les deux Juges leur furent plus favorables. Ainfi les voix étant partagées, ils furent abfous. Remarquons en finiffant que comme les Prêtres tournoient en vers ce que la Pythie avoit dit dans fa fureur, ils en faifoient fouvent de fort mauvais. Les Epicuriens fur-tout s'en mocquoient ouvertement, & difoient dans leurs railleries; qu'il étoit bien étonnant qu'Apollon, le Dieu de la Poëfie, fût bien plus mauvais Poëte qu'Homere, qu'il avoit infpiré lui-même. Souvent même les Poëtes étoient obligés, n'efperant pas faire fi bien, de fe fervir de ce fameux Poëte. Ce furent fans doute les railleries de ces Philofophes, & plus particulierement encore celles des Cyniques, & des Peripateticiens, qui obligerent les Prêtres à ne plus mettre en vers les réponses de la Pythie, ce qui fut, felon Plutarque, une des principales caufes de la décadence de l'Oracle de Delphes. A U Chapitre des Oracles je dois joindre celui des Sibylles, dont les prédictions étoient, fur-tout pour les Romains, une espece d'Oracle permanent, qu'ils confultoient dans toutes les occasions où la Republique étoit menacée de quelque malheur. On ne s'attend pas fans doute que je m'étende beaucoup fur un fujet déja traité à fond par plufieurs Sçavans; mais comme cette Mythologie doit être à l'ufage de tout le monde, & que fouvent on n'eft pas en état de confulter des Livres où l'Hebreu & le Grec fe trouvent entaffés fans ménagement, je ne fçaurois me difpenfer d'en dire du moins ce qu'on ne doit pas ignorer, renvoyant ceux qui voudroient ap(1) Ser. profondir davantage la matiere, aux fçavantes Differtations de Gallai Differt. Gallæus (1); au Traité qu'en a fait M. Petit (2), Medecin de Amft. 1688. Paris; à Van-Dale, à Thomas Hyde (3) & en particulier à Lactance, qui nous a confervé fur les Sibylles l'ancienne tradition qu'il avoit puifée dans les Ouvrages de Varron. in quarto. (2) Pet. Pe tit. de Sibylla. Lip. 1686. in octavo. (3) De Reli. Vet. Perf. Pour rendre plus methodique ce que j'ai à dire dans ce Chapitre, je le divife en plufieurs Articles. J'examinerai, 1o. S'il eft vrai qu'il y ait eu des Sibylles. 2°. Combien il y en a eu. 3o. Sur quel fondement les Anciens ont cru qu'elles De fu As par pate: vers les Bi, une cle & avoient le don de prédire l'avenir. 4°. De quelle maniere on ARTICLE PREMIER. S'il y a eu des Sibylles. LES Anciens donnerent le nom de Sibylles à un certain nombre de filles qu'ils croyoient avoir été douées du don de prédire l'avenir: foit que ce nom fût hebreu d'origine, comme l'ont prétendu Delrio, Peucerus, Neander, & quelques autres; ou latin, ainfi que le dit Suidas; ou Africain, comme le veut Paufanias (1); ou enfin Grec, comme (1) La Plioc Vaffurent la plupart des Sçavans. C'eft ainsi qu'en a pensé Diodore, qui dérive ce nom d'un mot, qui dans la langue Grecque, fignifie infpiré, enthousiaste (a), parce qu'effectivement orr étoit perfuadé que les Sibylles étoient infpirées par les Dieux :: mais de tous ceux qni ont cherché l'étymologie de ce nom, Lactance eft celui dont le fentiment eft le plus generalement fuivi. Ce fçavant Auteur dit qu'il fignifie Confeil de Dieu : Omnes (fæmina vates) Sibyllæ funt à veteribus nuncupatæ, vel ab unius Delphidis nomine, vel à confiliis Deorum enunciandis ; Ziss enim, Deos, non e84; & confilium, non B&λv, fed Bunny, appellabant Eolico fermonis genere; itaque inde Sibyllam dictam, effe zußranr, (confilium Dei) Quoiqu'il en foit, toute l'Antiquité confpire à établir l'exiftence de ces fortes de perfonnes; & fi l'on ne trouve point de tradition conftante fur leur nombre, & qu'au contraire on varie beaucoup fur cet article, ainfi qu'on le verra dans la fuite, il n'en eft pas moins vrai qu'il y en a eu. On difpute fur leur nombre, fur leur pays, fur le temps auquel elles ont vêcu, &c. mais ces difputes-là même, prouvent qu'on a fup pofé leur existence; ainfi on ne fçauroit la nier fans renverfer ce que l'Antiquité a de plus certain, & fans contredire en même-temps plufieurs Peres des premiers fiécles, qui ont fuivi le fentiment unanime des Anciens. Je n'ai pas deffein de (1) In Phæd. rapporter tous les témoignages qu'on pourroit raffembler pour prouver cette verité; mais auffi je ne dois pas efperer qu'on m'en croira fur ma parole. " pas Platon (1), à l'occafion de cette forte de fureur dont quelques perfonnes font faifies, & qui les met en état de connoître l'avenir, après avoir fait mention de la Prêtreffe de Delphes, & de celles de Dodone, ajoute: « Si nous voulions parler de la Sibylle, & des autres perfonnes qui ont été faifies de la » même fureur, nous perdrions notre temps & nos peines. (2) Prob. Ariftote (2) recherche quelle peut avoir été la caufe qui ren30. Quæft. 1. doit les Sibylles capables de connoître l'avenir; & dès-là il (3) Liv. 4. fuppofe leur existence. Diodore de Sicile (3) est entré à ce fujer dans un plus grand d'étail, à l'occafion de Daphné fille de Tirefias, que les Epigones pour fatisfaire à leur vou, envoyerent à Delphes, après la prife de Thebes. « Cette fille, dit cet Auteur, n'étoit fon moins fçavante que pere dans l'art de la divination, & elle y fit de très-grands progrès, après qu'elle eut été transportée à Delphes. Comme elle » étoit douée d'un efprit merveilleux, elle écrivit un grand > nombre d'Oracles de plufieurs manieres differentes les unes » des autres. On dit que le Poëte Homere s'eft approprié plufieurs vers de Daphné, & qu'il s'en étoit fervi pour orner fes Poëmes. Comme cette fille étoit fouvent éprife d'une » fureur divine, en rendant fes réponses, on lui donna le nom de Sibylle; qui dans la langue du pays fignifioit enthousiaste. (4) Liv. 14. Strabon (4) fait mention de la Sibylle Erythrée, & d'une autre qui, felon lui, vivoit du temps d'Alexandre, & qu'on nommoit Athenaïs ; & ce même Auteur prétend dans un au(5) Liv.16. tre endroit (5), qu'il y en avoit eu une plus ancienne. Plutardans l'Opufcule où il recherche la cause de la ceffation des Oracles, parle fort au long des Sibylles; & pour fermer la bouche à ceux qui n'ajoutoient pas foi à leurs Oracles, il rapporte plufieurs exemples de prifes de villes, de guerres, d'irruptions de Barbares, de migrations de differens Peuples, & plufieurs autres évenemens remarquables, qui étoient ar(6) Hiftor. rivés de la maniere dont elle les avoient prédits. Elien (6) Var. liv. 12. parle de quatre de ces Sibylles, comme nous le dirons dans (7) In Phoc. Î’Article fuivant. Paufanias (7) fait la difcription du Rocher où habitoit que |