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tiquité, qui admet en differens temps & en differens pays de ces perfonnes extraordinaires qui ont paffé pour avoir une connoiffance particuliere de l'avenir, & dont les prédictions recueillies avec foin, étoient confultées dans les occafions importantes; car combien de fuppofitions ne faudroit-il pas faire pour détruire une tradition fi fuivie? Tout ce qu'on peut accorder à cet Auteur, c'eft que la Sibylle de Perfe, nommée Sambethe, doit fon origine à l'équivoque du mot Sambula; mais cela ne prouve pas qu'il n'y ait point eu d'autres Sibylles. Ce feroit ici le lieu de rechercher en quel temps ont vêcu les Sibylles; quels font les parens qu'on leur donne ; quel fut le lieu de leur naiffance, & dans quel ordre on doit les placer; mais on trouve dans les Anciens comme dans les Modernes, tant d'opinions differentes fur ces quatre articles, qu'après bien des recherches on ne fçait à quoi fe determiner. J'ai cru devoir les nommer dans le même ordre que Lactance après Varron les avoit nommées, quoique je n'ignore pas que plufieurs Sçavans ont renverfé cet ordre, comme si la chofe valoit la peine de s'en inquiéter. Qu'importe en effet que celle de Perse foit la premiere & la plus ancienne de toutes, comme le prétendoit Varron, ou la cinquième, ainsi que le dit Boiffard, ou la huitiéme feulement, felon Onufrius Panvinus. Gallæus s'eft donné la peine de raffembler tout ce qui a été dit fur ce fujet; les Sçavans pourront le consulter.

ARTICLE III.

Sur quel fondement on a cru que les Sibylles avoient
le don de prédire l'avenir.

A

LES Anciens ont raifonné profondement fur le commerce & fur l'union que la créature pouvoit avoir avec la Divinité, & ils ont cru que cette union & ce commerce pouvoient être fi intimes, que quand l'homme étoit parvenu à un certain point de perfection, il n'y avoit plus rien dans l'avenir qui lui fût caché. C'eft à ce point que tâchoient d'arriver, & qu'on croyoit qu'arrivoient effectivement quelques perfonnes, par le moyen de cette forte de Magie, qu'on nommoit Theurgie, comme nous le dirons dans un des Chapitres fuivans.

'Ainfi fuppofant pour le prefent cet article comme un des points fondamentaux de la Theologie payenne, nous pouvons dire que fi on a cru que les Sibylles poffedoient le don de prédire l'avenir, c'eft qu'on étoit perfuadé qu'elles avoient cette union intime avec les Dieux, fur-tout avec Apollon, le maître de la Divination. Ce fut encore pour cela qu'on accorda le même privilege à la Pythie de Delphes & aux Prêtreffes de Dodone, qu'on croyoit intimement unies à la Divinité qui les infpiroit. Ainsi raisonnoient les Platoniciens fur l'union que l'homme peut avoir avec les Dieux : mais d'autres Philofophes penfoient autrement fur l'efprit Prophetique des Sibylles, & l'attribuoient à leur humeur fombre & melancholique, ou à quelque autre maladie. D'autres ont cru que la fureur à laquelle elles fe livroient, les mettoit en état de connoître & de prédire l'avenir, comme le prétendent Jamblique (1) & Agathias (2). A cette fureur Ciceron ajoutoit les (1) Ad Porp. fonges, qui nous apprenoient quelquefois les chofes futures. Il

y a, dit-il, (3) deux manieres de connoître l'avenir, ou par Lib.3. (3) de Div. la fureur, ou par les fonges: cùm duobus modis animi, fine ratione & fcientia, motu ipfi fuo foluto & libero incitarentur ; uno furente, altero fomniante. Furoris divinationem Sibyllinis maximè verfibus contineri arbitrati, &c. Ce fçavant homme dit dans un autre endroit; il y a des perfonnes qui fans aucune fcience, fans aucune obfervation, prédifent l'avenir, par je ne fçais quelle fureur: Carent arte ii qui non ratione aut conjecturâ, obfervatis ac notatis fignis, fed concitatione quadam animi ... ut Sibylla Erythraa.

On trouve des Auteurs anciens qui ont rapporté cette vertu divinatrice des Sibylles aux vapeurs & aux exhalaisons des cavernes qu'elles habitoient, ainfi que nous l'avons dit de l'antre de Delphes.

Enfin S. Jerome a foutenu que ce don étoit en elles la recompenfe de leur chafteté: voici comme ce Pere de l'Eglife, en faisant l'éloge de cette vertu, s'exprime au fujet des Sibylles. Quid referam Sibyllas, Erythræam atque Cumanam, &octo reliquas, nam Varro decem effe autumat, quarum infigne Virginitas, & Virginitatis præmium divinatio (4). Il est vrai, (4) Adv. que la chafteté a toujours été regardée, même par les Payens,

Jovin

comme une vertu neceffaire à ceux qui approchoient des Autels; que les Prêtres avant que d'offrir les Sacrifices, devoient s'y être préparés par la continence, & qu'il y en avoit même parmi eux, qui employoient des remedes pour se la procurer. Il eft vrai auffi que pour être plus affûré de la chafteté de la Pythie de Delphes, on la choififfoit anciennement parmi les gens de la campagne, où cette vertu eft moins expofée que dans les villes. Cependant je ne fçais fur quel fondement S. Jerome avoit une idée fi avantageufe de la chafteté des Sibylles, puifqu'il y en a une d'elles qui fe vante d'avoir eu un grand nombre d'Amans, fans avoir été mariée, dans ce vers (1) Lib. 6. que je mets ici de la traduction faite en latin (1).

Mille mihi lecti, Connubia nulla fuere.

Celle de Perfe même, parle de fon mari qui étoit avec elle dans l'Arche de Noé, comme on le verra dans la fuite.

Difons donc que les Sibylles, d'une humeur fombre & melancholique, vivant dans la retraite, & fe livrant à une fureur phrenetique, ainfi que Virgile le dit de celle de Cumes, annonçoient à l'avanture ce qui leur venoit dans l'efprit, & qu'à force de prédire, elles rencontroient quelquefois; ou plûtôt. qu'à l'aide d'un Commentaire favorable, on se persuada qu'elles avoient deviné. Que ne purent pas en effet ajouter ou retrancher, fouvent même après l'évenement, ceux qui recueillirent leurs prédictions, & qui les mirent en vers, comme on le pratiquoit à l'égard de celles de la Prêtreffe de Delphes? On eft quelquefois Prophete malgré foi, & le Public fe charge fouvent du foin d'ajufter des paroles dites au hafard, à des faits aufquels celui qui les a proferées, n'a nullement penfé. N'en fait-on pas tous les jours autant pour un de (2) Noftrada nos prétendus Prophetes (2)? & quoique fon Ouvrage soit un chef-d'œuvre d'obfcurité, n'y a-t'on pas trouvé une partie des évenemens qui font arrivés après fa mort? Le bon Ronfard du moins, étoit bien perfuadé que cet homme extraordinaire avoit connu & prédit l'avenir, puifqu'après avoir recherché, ce qui pouvoit lui avoir rendu prefent ce même avenir, conclut ainfi :

mus.

Bref

Bref, il eft ce qu'il eft: fi eft-ce toutefois
Que par les mots douteux de fa prophete voix,
Comme un Oracle antique il a de mainte année
Predit la plus grand' part de notre destinée.
ARTICLE I V.

Du Recueil des Vers Sibyllins.

ON ignore de quelle maniere fut compofé le Recueil des Vers des Sibylles. Il n'y a pas d'apparence qu'elles aient prophetifé en vers, encore moins qu'elles aient gardé elles-mêmes & redigé leurs prédictions. D'ailleurs elles ont vêcu dans des temps differents, & dans des Pays éloignés les uns des autres. Comment s'eft-il donc trouvé une Collection de ces prédictions, mise en vers Hexametres? Dans quel temps a-t'elle paru? Qui en fut l'Auteur ? C'eft un fait que l'Antiquité ne nous a point tranfmis. Tout ce qu'on fçait, c'est qu'une femme vint offrir à Tarquin le Superbe, un Recueil de ces vers, en neuf Livres, & qu'elle lui en demanda trois cens pieces d'or; que ce Prince n'en voulant pas donner cette fomme, elle avoit jetté au feu trois de ces Livres,& avoit exigé la même fomme pour les fix qui reftoient; laquelle lui ayant été refusée, elle en fit brûler encore trois autres, & perfifta toujours à vouloir les trois cens pieces d'or pour ce qui reftoit ; & qu'enfin ce Prince craignant qu'elle ne fit brûler les autres trois, lui donna la fomme qu'elle demandoit.

Cette Hiftoire a tout l'air d'un Roman; cependant elle eft attestée par un grand nombre d'Auteurs, & peut-être n'est-elle fauffe que dans fes circonftances: car il eft sûr que les Romains poffedoient un Recueil des Vers Sibyllins, & qu'ils le conferverent depuis le regne de Tarquin, jufqu'au temps de Sylla, qu'il perit dans l'incendie du Capitole, où il avoit été depofé. Ainfi pour mettre le Lecteur en état de juger de ce fait, je vais l'éclaircir. Lactance qui le rapporte dans le détail qu'on vient de voir, dit que ce fut la Sibylle de Cumes qui prefenta ce Recueil à Tarquin, & il a été fuivi par Pline, par Solin & par Ifidore. Peut-être Lactance l'avoit-il trouvé

dans les Livres des chofes divines de Varron, où il avoit puifé ce qu'il dit des Sibylles; mais d'autres Auteurs affurent feulement qu'une femme offrit ces Livres à Tarquin, fans dire que ce fût la Sibylle elle-même. Servius qui convient de ce fait, & qui paroît l'avoir examiné, dit qu'il n'est pas croyable que la Sibylle de Cumes, quelque longue vie qu'on lui ait donné, ayant été du temps d'Enée qui la confulta, ait encore vêcu du temps de Tarquin; c'eft-à-dire, cinq ou fix cens ans après. Multæ Sibyllæ fuerunt, dit-il, quas omnes Varro in Libris rerum divinarum commemorat, & requirit à qua fint Romana fata confcripta ; & multi fequentes Virgilium, ab hac Cumana dicunt, quæ licet longava dicatur, non tamen valdè congruit, eam ufque ad Tarquinii tempora duraffe, cui libros Sibyl(1) In 6. linos conftat esse oblatos (1). D'autres Anciens qui conviennent du même fait, difent feulement que ce fut une femme qui prefenta à Tarquin les Livres dont il est question.

'Eneid.

C. 13.

Je pourrois citer pour la verité du fond de cette hiftoire, plufieurs autres Auteurs anciens; mais je me contente du feul témoignage de Pline, qui affure qu'elle eft univerfellement atteftée: Inter omnes verò convenit, Sibyllam ad Tarquinium fuperbum tres libros attuliffe, ex quibus igni duo cremati ab (2) Lib. 13. ipfa, tertius cum Capitolio Syllanis temporibus (2). On voit feulement dans ce paffage, que Pline differe de Lactance, ou si l'on veut, de Varron, fur deux articles : le premier, que ce fut à Tarquin l'ancien, non à Tarquin le Superbe que ces Livres furent prefentés; le fecond, que ce Recueil n'étoit pas compo fé de neuf Livres, mais feulement de trois, en quoi Solin fon copiste eft d'accord avec lui; circonftances qui bien loin de détruire le fait, ne fervent, felon moi, qu'à le confirmer.

1. 6.

Quoiqu'il en foit, les Romains conferverent avec foin ce Recueil, depuis Tarquin jufqu'à l'incendie du Capitole, où il fut confumé avec cet édifice. C'étoient dans ce long espace, le Pontifes qui le confultoient, ainfi que nous l'appre(3) Cap. 8. nons de Solin (1). Cujus Librum ad Cornelium ufque Syllam Pontifices noftri confulebant.

Après cet accident les Romains pour reparer cette perte, (4) Annal. envoyerent, au rapport de Tacite (2), en differens endroits, à Samos, à Troye, en Afrique, en Sicile, & parmi les Co

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