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qu'on publioit des Dieux Penates que Denys d'Halicarnaffe raconte ainfi (1). » Pendant qu'on étoit occupé à perfectionner (1) Liv. xạ » les travaux, il arriva un prodige surprenant. Le Temple & » le Sanctuaire étant difpofés à recevoir les Dieux qu'Enée avoit apportés de Troye, & qu'il avoit placés à Lavinium, » on transporta leurs Statues dans le nouveau Temple; mais le lendemain elles fe trouverent dans le même lieu, & » fur les mêmes bafes d'où elles avoient été tirées la veille, quoique les portes euffent été fermées pendant la nuit, & qu'il ne parûr aucune bréche aux murailles : on les transporta » une feconde fois de Lavinium en ceremonie, & après » avoir offert un Sacrifice pour appaifer les Dieux; mais on » les retrouva encore placées dans le même endroit à La

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» vinium ».

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On peut mettre dans la même claffe celui de Jupiter Ter minalis, qu'il ne fut pas poffible d'arracher de fa place lors de la conftruction du Capitole : l'avanture d'Accius Nævius qui trancha, dit-on, un caillou d'un coup de rafoir, pour convaincre l'incrédulité d'un Roi de Rome qui meprifoit les Augures, & la Divination Etrufque: celle de la Veftale Æmilia qui puifa de l'eau dans un crible: celle d'une autre Veftale, qui tira à bord avec fa ceinture un vaiffeau engravé que les plus grandes forces n'avoient pu ébranler: & celle de la Veftale qui alluma avec le pan de fa Robe le Feu facré, que imprudence avoit laiffé éteindre. On pourroit joindre aux prodiges de cette premiere efpece, l'apparition de ces deux jeunes Cavaliers montés fur deux chevaux blancs, qui furent vûs près du lac Rhegille dans le temps que le Dictateur Pofthumius étoit fur le point de perdre la bataille,& quiayant combattu pour les Romains jufqu'à ce qu'ils l'eurent gagnée, difparurent dans le moment, fans que le General, qui les fit chercher avec foin pour recompenfer leur valeur, pût en apprendre aucune nouvelle : l'avanture que raconte Julius Obfequens (2) (2) C. 197 de cette Statue de Junon, laquelle interrogée par un jeune homme fi elle vouloit aller à Rome, fit un figne de tête pour marquer qu'elle y confentoit, & repondit qu'elle iroit volontiers, au grand étonnement de tous ceux qui furent presens à

(1) C. 1.

nuiffet, fe libenter ituram, magnâ omnium admiratione refpondit: celle de deux boeufs qui parlerent: enfin celle de ce bouclier qui tomba du ciel fous le regne de Numa Pompilius, ainsi que le dit le même Auteur; & plufieurs autres qui paroiffent être des effets au-deffus de la nature.

Les Prodiges de la feconde claffe étoient de ces évenemens à la verité purement naturels, mais qui arrivant moins fréquemment, & paroiffant contraires au cours ordinaire de la nature, étoient attribués à une caufe fuperieure, par la fuperftition & la trop grande crédulité des Payens, effrayés à la vûe de ces effets ou rares ou tout-à-fait inconnus. Tels étoient la plûpart des metéores, comme les Parelies, les feux & les lumieres nocturnes, les enfantemens monftrueux, foit d'hommes foit d'animaux, les pluies de fang, de pierres ou de cendres ou de feu, & mille autres chofes purement naturelles, dont je vais rapporter quelques exemples tirés des anciens Auteurs, & en particulier de Julius Obfequens.

Sous le regne de Romulus, dit ce dernier Auteur (1), & dans le temps que ce Prince affiegeoit la ville de Fidenes, il tomba une pluie de fang, & auffi-tôt après, la pefte affligea la ville de (2) C.4. Rome. Sous celui de Tullus Hoftilius (2), il tomba du' ciel une quantité prodigieufe de pierres, à peu près comme quand il grêle. Sous le Confulat de P. Pofthumius Tubero, & de Menenius Agrippa, on vit dans le ciel pendant une partie (3)C.,. confiderable de la nuit, des fléches enflammées (3). Ce même Auteur parle fouvent de ces mêmes feux qui apparoiffoient dans le ciel, femblables à des armées qui fe battoient; de même que des Spectres, & des voix extraordinaires qu'on avoit entendues la nuit.

Le lac d'Albe, fuivant Tite-Live, monta à une hauteur confiderable, fans aucune pluie précédente & fans aucune autre caufe apparente; & cet évenement effraya fi fort les Romains qui étoient alors occupés au fiege de Veïes, que ne pouvant confulter les Etruriens avec qui ils étoient actuellement en guerre, ils furent obligés d'envoyer à l'Oracle de Delphes. Sous le Confulat de M. Valerius Maximus, & de (4) C. 27. Q. Manilius Vitulus (4), on vit fortir du fang de terre, pendant qu'il pleuvoit du lait ; & fous celui de C. Quintius

Flaminius,

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Flaminius, & de P. Furio, un fleuve parut couvert de fang. Les autres prodiges que rapportent les Anciens, font à peu près les mêmes. En effet, ce font ou des Statues de Dieux frappées de la foudre, ou couvertes de fang; ou des tremblemens de terre, ou des inondations fubites: ici c'eft un enfant de deux mois qui crie, triomphe (1); là c'eft le ciel tout en feu, & des nuits éclairées par le Soleil, ou plutôt par un globe de lumiere qui lui reffemble; ou des tenebres au milieu du jour. Tantôt c'est la naiffance d'un monftre, d'un enfant, par exemple, qui n'a qu'une main, qui a deux têtes; ou qui a la figure de quelque animal; une pierre d'une extrême groffeur qui tombe du ciel; une arc-en-ciel fans nuages, &c.

(1) C. 31.

Il ne feroit pas bien difficile, fi on vouloit l'entreprendre, d'expliquer par des causes naturelles les prodiges de cette feconde efpece. Tous ces feux nocturnes, ces lances enflam mées, ces armées qui paroiffent dans le Ciel, font ce que nous appellons aujourd'hui, la Lumiere Boreale, fi commune depuis quelques années, & peut-être auffi ancienne que le monde. Ces inondations extraordinaires, & dont on ne voyoit aucune cause fenfible, pouvoient être caufées par quelque fermentation qui faifoit élever les eaux. Les pluies de pierres, de cendre ou de feu, étoient l'effet de quelque Volfemblable à ceux du mont Etna ou du mont Vefuve. Celles de lait, une eau blanchâtre que quelque difpofition de l'air avoit épaiflie: il n'eft pas douteux aujourd'hui que celles de fang, ne foient les taches que laiffent fur les pierres, fur la terre, & fur les feuilles des arbres, des papillons qui éclofent dans des temps chauds & orageux. M. de Peyrefc l'avoit déja conjecturé, il y a plus de cent ans, à l'occasion d'une de ces pluies; en obfervant que les mêmes taches se trouvoient dans des lieux couverts; & M. de Reaumur, dans fes Memoires pour l'Hiftoire des Infectes (1), a mis la cho- (2) Tom. 2. fe hors de doute.

Pour les prodiges de la premiere efpece, j'avoue qu'ils font plus difficiles à expliquer: mais font-ils tous bien averés? Ont-ils été vûs & écrits par des gens habiles, dans les tempsmêmes qu'on dit qu'ils font arrivés? Ne font-ils pas fondés

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la plupart fur des traditions populaires? Ne peuvent-ils pas; du moins quelques-uns, s'expliquer naturellement, fur - tout fi on en éloignoit ces circonftances merveilleuses, dont une trop grande crédulité les avoit revétus? Difons avec l'Auteur de la Differtation que j'ai indiquée, qu'on doit regarder ces faits, & tous ceux qui leur reffemblent, comme des Fables inventées par des Prêtres corrompus, & reçues par une populace ignorante & fuperftitieufe. Le confentement des peuples à tout croire, dit-il, fans avoir jamais rien vû, & qui font toujours les dupes de ces fortes d'hiftoires, ne peut gueres avoir plus de force pour nous les faire recevoir, que le témoignage des Prêtres payens, qui ont été en tout pays & en tout temps trop intereffés à faire valoir ces fortes de miracles, pour être des garants bien sûrs.

Quoiqu'il en foit, on ne peut rien ajouter à l'étonnement & à la confternation des Payens, à l'apparition de quelques uns de ces prodiges, de ceux même qu'il étoit aifé de juger être de effets purement naturels. Tout l'Empire en étoit troublé, on ne parloit d'autre chofe à Rome : le Senat ordonnoit aux Quindecimvirs de confulter les Livres des Sibylles; car c'étoit principalement dans ces occafions qu'on y avoit recours, comme je l'ai déja remarqué d'après Varron, & prescrivoit les ceremonies de l'expiation, dont nous parlerons. dans le Chapitre fuivant. S'il arrivoit dans ces entrefaites quelque malheur à la Republique; fi quelque Ennemi lui déclaroit la guerre; s'il furvenoit quelque maladie épidemique &c. tout étoit mis fur le compte du prodige; c'étoit lui qui étoit venu annoncer ces calamités.

On eft furpris, & avec raison, je le repete encore, de voir les Romains dont on nous donne une fi haute idée, qu'on vante comme le peuple du monde le plus fage & le plus éclairé ce peuple Roi, comme l'appelle Virgile, porter la fuperftition, au point où nous voyons qu'il l'a portée, principalement à l'occasion des Prodiges; mais l'étonnement ceffe lorf qu'on confidere la foibleffe de l'homme, qui n'a d'autre guide que fes propres lumieres. On dira peut-être qu'il n'y avoit que le peuple qui donnât dans ces pueriles fuperftitions, & que les gens éclairés & les Philofophes n'en étoient pas les due

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pes. Cependant la Religion qui prefcrivoit des ceremonies particulieres à ces fortes d'occafions, étoit la même pour peuple & pour les Philofophes. Ciceron lui-même, qui dans fes Livres de la Divination s'étoit mocqué de la plupart des fuperftitions populaires, & qui s'étonne dans un autre endroit comment deux Augures qui fe rencontroient pouvoient s'empêcher de rire, dit dans le même Ouvrage, qu'il faut refpecter l'Arufpice à caufe de la Religion & de la Republique qui l'autorifent: Arufpicinam ego, Reipublicæ caufâ communifque Religionis, colendam cenfeo. Mais nous examinerons plus à fond ce qu'on doit penfer de la Religion des Sages du Paganisme, dans les Reflexions fur l'Idolâtrie, qu'on trouvera à la fin du Livre fuivant.

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CHAPITRE VI

Des Expiations.

EXPIATION étoit un acte de Religion établi pour purifier les coupables, & les lieux qu'on croyoit fouillés. Quoique cette ceremonie, à parler exactement, ne dût être employée que pour les crimes, cependant on en faifoit ufage dans plufieurs autres occafions (a). La crainte des calamités publiques, l'efperance d'appaifer les Dieux irrités, firent établir plufieurs fortes d'Expiations: monftres, prodiges, préfages, augures, tout y fut fujet; & les facrifices expiatoires fe renouvelloient dans mille occafions, en forte qu'il n'y avoit prefque aucune action de la vie, foit privée ou publique, qui n'en eût befoin, ou qui ne fût fuivie ou précedée de la cere monie de l'Expiation. Qu'un General prît le Commandement d'une armée ; qu'on celebrât des Jeux ou des Fêtes ; qu'on indiquât une Affemblée; qu'on fe fit initier à quelque mystere on ne manquoit pas de recourir aux facrifices expiatoires. Pour la vie privée, chaque particulier avoir foin de fe purifier, non-feulement pour les moindres fautes, mais encore à

(4) Voyez l'Extrait d'une Differtation fur ce fujet, par M. l'Abbé de Boiffi; Me moires de l'Acad. des Belles Lettres, Tom. I. p. 41,

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