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CHAPITRE II.

Où l'on examine plus particulierement la Nature des
Dieux du Paganifme.

CE

E n'étoit point fur ces vaines fpeculations, qu'avoit été formée la Theologie Payenne. Au contraire, ce ne fut que pour la réformer & la dégroffir, que les Philofophes imaginerent tant de differens fyftêmes. C'eft de la nature des Dieux qui étoient veritablement l'objet du culte établi dans le Paganifme, que je veux parler, & d'abord il fe prefente un point important à examiner. Ces Dieux avoient-ils tous été des hommes ? Y en avoit-il du moins qui l'euffent été ? Je fuis perfuadé qu'on jugera inutile l'examen de la feconde partie de la queftion. On a toujours oui dire, on a lu dans differens Auteurs, foit anciens, foit modernes, qu'on avoit élevé au rang des Dieux, qu'on avoit honoré d'un culte public, des hommes illuftres. Cependant nous voyons qu'il y a quelques Sçavans qui après avoir ferieufement examiné des opinions generalement adoptées, ne les trouvent pas toujours appuyées fur de folides fondemens ; j'en connois qui prétendent qu'il n'y eut jamais aucun homme qui ait été adoré comme Dieu. C'eft donc fur cette feconde partie de la question que je m'étendrai davantage, & j'efpere le prouver fans replique ; car pour la premiere, je ne crois pas qu'il y ait jamais eu d'Auteur, ni ancien ni moderne, qui ait cru que tous les Dieux. des Payens ayent été des hommes. Qu'on fe rappelle ce que j'ai dit en parlant de l'origine & du progrès de l'Idolâtrie (1) (1) Liv. III. j'ai fait voir qu'elle n'avoit pas été d'abord auffi monftrueufe qu'elle le fut dans la fuite; que l'idée du premier Etre, du Créateur de l'Univers s'étant infenfiblement effacée, on l'avoit d'abord attachée à des objets fenfibles; que les Aftres, furtout le Soleil & la Lune dont l'éclat frappoit le plus vivement, & dont les influences paroiffoient agir plus immediatement fur nous, avoient attiré les premiers hommages, avoient été les premiers Dieux ; que de l'adoration des

(1) De Nat. Deor. L. 1.

(3) In Zenon.

Aftres, on étoit venu à celle des élemens, des fleuves, des fontaines, &c. enfin à celle de toute la nature. J'ajoute que c'étoit le sentiment de la plupart des Philofophes. Ciceron rapportant celui de Chryfippe (1), dit qu'il penfoit que l'air étoit Jupiter; que la mer étoit Neptune, que la terre étoit Cerès, &c: Denique difputat Ethera effe eum, quem homines Jovem appellant ; quique aer per maria manaret, eum effe Neptunum ; terramque eam effe, quæ Ceres diceretur : fimilique ratione percurrit vocabula reliquorum Deorum.

Zenon, au rapport de Diogene Laërce (2), difoit à peu près la même chofe, puifque, felon ce Chef des Stoïciens, c'étoit l'ame univerfelle du monde, qui prenoit differens noms, fuivant les differens rapports de fa puiffance: qu'elle fe nommoit Dios, parce que c'eft elle qui opere tout; Athene, parce que fon empire eft dans les Cieux; Hera, à caufe qu'elle eft la maîtreffe de l'Univers; Vulcain, comme prefidant au feu; & Pofeidon, en tant qu'elle étend fon pouvoir fur les eaux.

Pline parlant de la Divinité, dit que les hommes l'avoient divifée en plufieurs parties, pour les honorer feparément fuivant leurs differens befoins: Fragilis & laboriofa mortalitas in partes ita digeffit, infirmitatis fuæ memor, ut portionibus coleret (3) L. 2. c. 7. quifque, quo maximè indigeret (3).

Ce que je viens de dire donna lieu à ces divifions qui partageoient les Dieux en differentes Claffes, comme on le verra dans la fuite; fur-tout en celle des Dieux naturels, qui étoient les Aftres & les autres parties de l'Univers; & des Dieux animés, c'est-à-dire, des hommes qui avoient reçu les honneurs de l'Apotheofe. Il eft donc certain que le Paganisme adoroit d'autres Dieux que les hommes déifiés, que j'ai prouvé même ailleurs n'avoir été que le dernier objet de l'Idolâtrie, que les Aftres furent les premiers Dieux du Paganifme. Pour venir maintenant à la feconde partie de la question que je me fuis propofé d'examiner, je foutiens qu'il y a eu des hommes aufquels on a veritablement rendu les honneurs divins, & que les Grecs n'avoient gueres d'autres Dieux, que des hommes déifiés. Je commence par le témoignage d'Herodote, parce que c'eft de cet Auteur là même que les Sçavans dont j'ai parlé, s'appuient pour prouver leur prétention:

&

C. 131.

voici ce que dit ce celebre Hiftorien en parlant des Perfes (1). (1) Liv. 1. » Ils n'ont ni Statues ni Temples, ni Autels, & taxent de folie » ceux qui en ont: la raifon en eft, comme je pense, parce qu'ils ne croyoient pas comme les Grecs, que les Dieux foient nés des hommes: aλμara usù x vous & Capes's. ἐκ ἐν νόμῳ ποιευμένους ἱδρύσαθαι, ἀλλὰ ε ηῖσι ποιεῦσι μωρίες ἐπιφέρεσι· ὡς μμ ἐμοὶ δοκέειν ὅτι ἐκ ανθρωποφυσας. ἐνόμισαν τις θεούς, κατάπερ οἱ Ἕλληνες, είναι.

Herodote fuppofe donc que les Grecs croyoient que les Dieux tiroient leur origine des hommes, ou, ce qui revient au même, qu'ils avoient été des hommes. Je ne rapporte point de paffage particulier de Diodore de Sicile, puifqu'il faudroit copier prefque tous les premiers Livres de fa Bibliotheque, où il fuppofe partout que les Dieux avoient été des hommes. On ne dira pas qu'il n'ait regardé Saturne, Atlas, Jupiter, Apollon, Bacchus, & tant d'autres, comme des Dieux, & même comme les premiers Dieux du Paganifme; cependant il en parle comme d'hommes illuftres; il entre dans le détail de leurs actions & de leurs conquêtes, & n'oublie toire de leur naiffance & de leur mort. En un mot tous les pas l'hif Hiftoriens, les Mythologues, & les Poëtes, ont penfé fur ce fujet comme Diodore de Sicile. Perfonne ne doutera que Jupiter n'ait été la grande Divinité des Grecs & des Romains: cependant on nous apprend l'hiftoire de fa naissance, celle du tratageme dont Rhea fa mere fe fervit pour le dérober à la cruauté de Saturne. On nous parle de fon éducation, de fes conquêtes, de fes amours, de fes enfans; enfin de fa mort & du lieu où étoit fon tombeau. On dit les mêmes chofes des autres Dieux.

On pourroit m'objecter que des Poëtes, du moins tels qu'Hefiode & Homere, ne devroient pas entrer dans la liste de ceux que je cite pour prouver cette verité ; mais comme ils n'ont pas inventé ce qu'ils difent des Dieux, ainsi Fai prouvé ailleurs, & qu'ils n'ont fait que fuivre les idées que je établies de leur temps, on doit les regarder comme les miers & les plus anciens temoins de la tradition, qui portoit que les Dieux avoient été des hommes.

pre

Quoique les Philofophes aient imaginé differens fyftêmes

fur la Divinité, ainfi qu'on l'a vu dans le Chapitre précédent, il y avoit cependant parmi eux des Sectes confiderables qui admettoient des hommes déifiés ; comme celles des Stoïciens. & des Platoniciens, du moins ceux des derniers temps. Ciceron, qui dans le fecond Livre de la Nature des Dieux développe avec tant d'art les opinions des premiers, dit qu'ils admettoient une ame universelle, un feu actif, vital, intelligent, qui animoit toute la nature; & que tout être où l'on voyoit quelque efficacité finguliere, & où ce principe actif paroiffoit fe manifefter plus clairement, meritoit le nom de Divinité : & par confequent que ce titre devoit être donné aux grands hommes, dans l'ame defquels ce feu divin étinceloit avec plus d'éclat.

Jamblique qui avoit tant travaillé à épurer le fyftême dominant du Paganisme, n'a pu cependant s'empêcher d'admettre une Claffe de Dieux animés, & d'hommes déifiés, comme on le verra dans un autre Chapitre. Voila donc deux Sectes de Philofophes qui, conformes en cela aux Poëtes & aux Hiftoriens, reconnoiffent les deux efpeces de Dieux dont j'ai parlé, des Dieux naturels, & des Dieux animés.

Si des temoignages des Auteurs Grecs on paffe à ceux des Latins, on trouvera qu'ils ont établi encore plus clairement (1) De Civit. la Thefe que je foutiens. Varron, au rapport de S. Auguftin (1),

Dei L. 8.

alloit peut être un peu trop loin, puifqu'il affûroit qu'on auroit de la peine à trouver dans les Ecrits des Anciens, des Dieux qui n'euffent pas été des hommes. Ciceron dit de même, que dans tous les temps on avoit coutume de mettre au rang des Dieux, ceux qui avoient appris aux hommes à fe fervir d'alimens propres à conferver la vie : Non folùm hæc atas, fed tota pofteritas, reperti alimenti gratiâ, repertores ut (2) De Nat. Deos amnium clariffimos honoravit (2): temoignage decifif, puifqu'il prouve non-feulement que des hommes ont été mis au rang des Dieux, mais encore des grands Dieux.

Deor. L. 1.

Il ne ferviroit de rien de m'objecter que ce n'eft point là le fentiment de Ciceron, qui ne fait qu'expofer dans le premier Livre de la Nature des Dieux, les fentimens des Philofophes qu'il réfute dans la fuite; car outre qu'on ne voit pas qu'il ait, rien dit de contraire, on peur du moins conclure de ce paf

fage, qu'il y avoit eu des Philofophes qui avoient foutenu que
la plupart des Dieux avoient été des hommes; & c'eft tout

ce que je veux prouver.

(1) Sur le

l'Eneide.

Les Livres de Labeo dont parle Servius (1), feroient trèspropres s'ils exiftoient encore, à prouver la même prétention: troifiéme de cet Ouvrage étoit intitulé, des Dieux animés ; De Diis quibus origo animalis eft, & fuppofoient la diftinction dont j'ai parlé plus haut, des Dieux naturels, tels que les Aftres, & des Dieux animés, ou des hommes qu'une espece de confecration élevoit au rang des Dieux. Servius qui avoit lu cet Ouvrage, le dit positivement : Labeo in Libris qui appellantur, de Diis quibus origo animalis eft, ait effe quadam facra, quibus anime humanæ vertuntur in Deos, qui appellantur animales, quòd de animis fiant. Servius lui-même parle comme Labeo, puisqu'entre les differentes étymologies du mot Indigete, il rapporte celle-ci : Vel certè Indigetes funt Dii ex hominibus facti. Mais ce n'étoient pas feulement les Grecs & les Romains qui penfoient ainfi fur les Dieux : les Egyptiens & les Pheniciens en avoient la même idée. Sanchoniathon, dont nous avons parlé dans le Livre fecond, avoit fait dans fon Ouvrage l'histoire des anciens Princes qui avoient merité d'être élevés au rang des Dieux, & que de très-fçavans hommes croient avoir été les Patriarches eux-mêmes. Philon de Byblos fon traducteur, observe que Taut avoit de même écrit l'hiftoire des anciens Dieux, que des Auteurs des fiecles fuivans avoient tournée en allegorie. Il fait enfuite une diftinction, qui prouve bien ce que j'ai deffein d'établir. » Les Anciens, dit-il, avoient » de deux fortes de Dieux ; les uns étoient immortels, comme le Soleil, la Lune, les Aftres, & les Elemens; les autres. » mortels, c'est-à-dire, les grands hommes, qui par leurs belles actions, ou par l'utilité qu'ils avoient procurée au genre humain, avoient merité d'être mis au rang des Dieux & avoient comme ceux qui de leur nature étoient immortels, des Temples, des Colonnes, un culte religieux, &c ». On peut prouver la même verité par les Livres Saints, qui en nous apprenant que les Sacrifices des Payens n'étoient que des Sacrifices des morts, fuppofent en même temps que ceux à qui on les offroit, avoient été des hommes. Je joindrois le

D

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