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paffage du Livre de la Sageffe, où il eft fait mention d'un pere qui fait faire la reprefentation d'un fils qu'il a perdu, qu'il honore comme un Dieu, & qui devint dans la fuite une Divinité publique, fi je ne l'avois déja rapporté en parlant de (1) Liv. III. l'origine & du progrès de l'Idolâtrie (1).

P. 157.

Enfin on peut oppofer à ceux qui ne fe rendroient pas à toutes ces preuves, l'autorité des premiers Peres de l'Eglife, & des Apologistes de la religion Chrétienne; Personnages fçavants & mieux inftruits fans doute du fyftême payen qu'ils ont combattu avec tant d'avantage, que nous qui fommes trop éloignés du temps où il a été la Religion dominante, pour pouvoir en juger auffi bien qu'eux.

L'objection la plus forte que les Philofophes leur faifoient, étoit qu'on ne devoit regarder ce que les Poëtes avoient raconté des Dieux, que comme des fictions éclofes de leur cerveau ; & que dans le vrai, le culte public fe rapportoit à des Etres immortels & à des Intelligences fuperieures, qui prefidoient au gouvernement du monde : ce qui étoit fi certain, ajoutoient-ils, que tout le monde avoit regardé comme un Athée, Evhemere, pour avoir prétendu que les Dieux avoient été des hommes mortels (a). Mais nos Apologiftes ne se laifferent point éblouir par cette objection: ils prouverent à ces Philofophes que l'allegorie étoit venue trop tard, qu'elle étoit de leur invention, & qu'ils ne l'employoient que pour épurer ún fyftême également abfurde & monftrueux. Ils, leur firent voir par une tradition conftante & fuivie, que les premiers hommes, gens groffiers & fans étude, n'avoient point tant raffiné en matiere de Religion, & avoient de bonne foi rendu les hommages divins à ceux qui leur avoient où appris les Arts neceffaires à la vie, ou rendu quelqu'autre fervice important. Et pour le prouver avec plus de fuccès, ils fe fervirent des temoignages de Varron, de Ciceron, & de plufieurs autres Anciens que je n'ai pas rapportés; car cet article du Systême payen eft celui fur lequel ils fe font le plus étendu, & qu'ils ont prouvé avec plus de folidité. Il est donc évident, fuivant ces differens Auteurs, que parmi les Dieux des Payens, il y

(a) Voyez le Chapitre fuivant, où il fera parlé de cet Auteur.

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en avoit qui avoient été des hommes: mais comme on fait des objections contre cette opinion, je vais les propofer, & y répondre.

CHAPITRE III.

Où l'on repond aux objections qu'on peut faire contre l'opinion que plufieurs Dieux des Payens ont été des hommes; avec de nouvelles preuves qui la confirment.

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A premiere, & peut-être la plus forte des objections, eft que fi l'on avoit crû qu'il y eût des Dieux qui avoient été des hommes, on n'auroit pas regardé Evhemere comme un Athée, pour l'avoir foutenu dans l'Hiftoire qu'il publia à ce fujet, fous le titre d'Hiftoire Sacrée. Avant que de repondre à cette difficulté, il eft bon de faire connoître cet Auteur & fon Ouvrage.

Les Anciens ne font point d'accord fur le lieu où nâquit Evhemere; mais fans entrer dans des difcuffions critiques qui m'éloigneroient de mon fujet, & fur lefquelles on peut confulter la Differtation de M. l'Abbé Sevin (a), je m'en tiens au fentiment de Polybe, qui dit qu'il étoit Meffenien d'origine. Caffander, Roi de Macedoine (b) auquel il s'attacha, le a combla de bienfaits, & lui donna des Emplois confiderables. Ce fut par les ordres de ce Prince qu'il entreprit des voyages de long cours, & ce fut dans une Relation d'un de ces voyages, qu'il publia cette Hiftoire des Dieux, qui lui attira tant de reproches. Cet Ouvrage & la traduction latine qu'en avoit faite Ennius, ne fubfiftent plus aujourd'hui, & il y a toute apparence qu'on en fupprima les exemplaires, autant qu'il fut poffible. Diodore de Sicile qui avoit lu cette Relation, en parloit dans le fixiéme Livre de fon Hiftoire; mais, comme on fçait, ce Livre eft perdu. Heureusement Eusebe (1) nous (1) Prep. Ev,

(a) Voyez les Memoires de l'Academie des Belles-Lettres, Tome VIII.
(a) C'eft le fecond des Succeffeurs d'Alexandre; ainfi il est aifé de fçavoir en

quel temps Evhemere a vécu.

L. 2, C. 2.

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en a confervé un fragment, & c'eft de-là que nous tenons ce que je vais rapporter.

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Evhemere devenu ami de Caffander, & obligé par cette » raifon de remplir des Commiffions de confiance jufques dans les pays éloignés, vint, dit-on, dans les parties meridionales de l'Arabie heureufe. De là s'embarquant fur l'Ocean même (a), il fit une affez longue navigation, & » aborda en plufieurs Inles de cette Mer. Il en rencontra une » entr'autres qui s'appelloit l'Ifle Panchaïe. Tous les habitans de cette Ifle vivoient dans les pratiques d'une pieté extraordinaire, offroient fans ceffe de grands Sacrifices aux Dieux, » & portoient fouvent dans leurs Temples des offrandes d'or » & d'argent : l'Ifle entiere fembloit n'être qu'un Temple. » Evhemere admira ce qu'on lui dit de l'ancienneté, & ce qu'il vit lui-même de la magnificence de leurs Edifices. Il y a fur tout au fommet d'une colline fort élevée, » un Temple de Jupiter Triphilien: on prétend qu'il a été bâti par le Dieu-même, lorfque n'étant encore qu'homme, il regnoit fur toute la terre ».

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» Dans ce Temple eft une colomne d'or, fur laquelle font gravées en caracteres Panchaïques les principales actions d'Uranus, de Saturne, & de Jupiter. Il y eft marqué qu'Uranus, le plus ancien Roi du monde, avoit été un homme jufte, bienfaifant, très-verfé dans la connoiffance des Af» tres, & le premier qui ait fait des Sacrifices aux Dieux du » ciel; ce qui même lui fit donner le nom d'Uranus. Il eut pour fils de fa femme Vefta, Pan & Saturne, & pour filles, Rhea & Cerès. Saturne regna après Uranus, & ayant époufé Rhea, il en eut Jupiter, Junon, & Neptune. Jupiter fucceda au Trône de fon pere, époufa Junon, Cerès & Themis : la premiere lui donna les Curetes, la feconde, Proferpine, & la troifiéme, Minerve. Etant allé enfuite à Babylone, il y fut reçu par Belus : de là il paffa dans l'Ifle Panchaïe fur l'Ocean, & il y éleva un Autel en l'honneur » de fon ayeul Uranus. A fon retour de cette Ifle, il vint en Syrie chez Cæfius, qui pour lors en étoit Roi. De là il alla (a) C'eft-à-dire, fur l'Ocean Oriental, qui baigne les côtes orientales de l'Afrique.

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dans la Cilicie, où il vainquit en bataille rangée Cilix qui en étoit le Souverain. Il parcourut encore d'autres lieux, & par-tout il fut honoré & refpecté comme un Dieu ». Voilà tout ce que contient le fragment cité par Eufebe; mais Diodore avoit déja parlé ailleurs (1) de la même Ifle, (1) Liv. 5. du Temple de Jupiter Triphilien, & des noms des habitans

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du pays: voici ce qu'il dit du Temple; car le refte ne regarde point mon fujet.

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"Ce Temple eft fuperbe, & tout bâti de pierres blanches: fa longueur eft de deux arpens, fur une largeur proportionnée. Il est foutenu par des colomnes très-massives, mais • que le Sulpteur a extrêmement embellies. Les Statues des Dieux, remarquables par leur grandeur & par leur poids énorme, font autant de Chefs-d'œuvres de l'art ». Après quelques autres détails, Diodore dit que les Panchaïens montrent des caracteres que Jupiter, difent-ils, avoit tracés de fa propre main lorsqu'il jetta les premiers fondemens de leur Temple. Il ajoute que ce Temple, fitué à foixante ftades de Panara, Capitale de l'Ifle, dans un lieu delicieux & arrofé de belles fontaines, étoit rempli d'offrandes d'or & d'argent que la fuite des temps avoit prodigieufement accumulées ; que les portes étoient ornées d'ouvrages d'or & d'argent, d'yvoire & du bois qui porte l'encens; que le lit du Dieu avoit fix coudées de long, & quatre de large; qu'il étoit d'or maffif, & d'un ouvrage très-fini, que la table n'étoit pas moins magnifique & gueres moins grande que le lit, auprès duquel elle étoit placée; qu'auprès de ce lit s'élevoit une haute colomne d'or, dont l'Infcription étoit en caracteres que les Egyptiens nomment facrés, & qu'elle contenoit l'hiftoire d'Uranus, de Jupiter, de Diane & d'Apollon; le tout écrit de la propre main de Mercure (a). Il dit dans un autre endroit que les Panchaïens étoient originaires de l'Ifle de Crete, d'où Jupiter les avoit conduits en Panchaïe, & leur avoit ordonné

(a) Diodore avoit dit que les caracteres Panchaïens avoient été tracés par Jupiter lui-même, & c'eft auffi le fentiment d'Eufebe & de Lactance, qui apparemment avoient lû ou la Relation méme d'Evhemere, ou la traduction d'Ennius: puis notre Auteur affure que c'étoit Mercure qui les avoit écrits. On peut concilier ces trois Ecrivains en difant que comme ce fut par les ordres de Jupiter que Mercure les traça fur la colomne, c'eft comme s'il les avoir écrits lui-meme

d'entretenir commerce avec les Cretois leurs ancêtres.

Tous les Anciens ont regardé cette Relation d'Evhemere; comme un Roman inventé à plaifir, & l'Auteur comme un (1) De Ifid. Athée. L'fle Panchaïe, felon Plutarque (1), eft une chimere,

& Ofir.

& nul homme, ni grec ni barbare, ne l'a jamais vûe, non plus que le prétendu Temple de Jupiter Triphilien. Ciceron examinant la queftion que je traite, n'eft gueres plus favorable à Evhemere que Plutarque. » Cette queftion, dit-il, a été traitée par Evhemere que notre Ennius a traduit en latin. Il parle de la mort & des Tombeaux des Dieux: fon deffein étoit-il de confirmer la Religion, ou de la détruire »?

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Je n'entreprends pas la defense de cet Ecrivain, ni celle de fa Relation qui porte tous les caracteres d'un veritable Ro man; mais pour ce qui regarde le fond du systême, qu'avoitil donc de fi extraordinaire & de fi nouveau, pour meriter les reproches qu'on lui fit? Tous les Poëtes, les plus anciens fur-tout, ne parlent-ils pas des Dieux comme lui ? Hefiode n'en donne-t'il pas les mêmes Genealogies? Ne les fait-il pas naître & mourir les uns après les autres? Plus fage qu'Homere & que les autres Poëtes qui l'ont fuivi, Evhemere raconta-t'il des Dieux toutes les horreurs qu'on trouve dans leurs Ouvrages? On a vû dans le Chapitre precedent combien d'Auteurs, même des plus refpectables, avoient humanisé les Dieux, ou plûtôt, déifié des hommes. Ciceron lui-même, dont j'ai cité un paffage formel, ne penfoit-il pas comme Evhemere; Ne dit-il pas ( & voici encore une nouvelle preuve de fon fentiment) que le ciel eft prefque tout peuplé du genre humain, & que ceux qu'on nomme les grands Dieux avoient été des hommes ? Quod totum proprè cælum, nonne genere humano completum eft? Illi qui majorum Gentium Dii (*) De Nat. habentur, hinc à nobis profecti reperiuntur (2).

Deor. L. I.

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Diodore de Sicile ne taxe en aucune maniere Evhemere d'impieté; au contraire, il fe fert de fon autorité pour prouver l'opinion que je foutiens. Les Anciens, dit-il, ont laiffé à » la pofterité une diftinction des Dieux en deux Classes. Les » uns, felon eux, font éternels & immortels, comme le Soleil, la Lune, & les autres Aftres : ils y joignent les Vents, » & tous les Etres qui tiennent de leur nature. Ils croient que

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