ceux-là ont été de tout temps, & qu'ils doivent toujours durer. Les Dieux de la feconde Claffe font nés fur la terre, & ne font parvenus aux tîtres & aux honneurs de la Divinité, que par les biens qu'ils ont fait aux hommes: tels font Hercule, Bacchus, Ariftée, & autres femblables. Les Hiftoriens d'une part, & les Mythologues de l'autre, nous font des récits forts differens au fujet de ces Dieux terreftres. L'Hiftorien Evhemere, par exemple, &c ». » Nous nous On ne m'objectera pas que c'étoit l'opinion particuliere de Diodore, puifqu'il dit lui-même que c'étoit celle de tous les Anciens ; & après avoir cité pour le prouver, l'autorité d'Evhemere, comme on vient de le voir, il ajoute : » » contenterions de ce paffage d'Evhemere, tiré de son Hiftoire Sacrée; mais en faveur de ceux qui font curieux de fçavoir ce que les Mythologues Grecs ont penfé de ces » mêmes Dieux, voici ce qu'on en trouve dans Heliode, dans. Homere, & dans Orphée ». Le refte du Livre où il examinoit ce qu'avoient dit des Dieux ces anciens Poëtes, eft perdu ; mais comme nous avons les Ouvrages de deux de ces Poëtes, il eft aifé d'y voir ce qu'ils difent des Dieux : certainement ils en parlent avec moins de decence qu'Evhe อ mere. Mais pourquoi fut-il donc regardé comme un Athée ? On pourroit repondre d'abord, qu'au temps où il fit paroître fon Hiftoire facrée, la Religion avoit pris une nouvelle face. Les Pythagoriciens & les Platoniciens juftement choqués des idées groffieres que les premiers Poëtes de la Grece avoient données des Dieux, s'efforcerent d'y trouver des allegories. qui en diminuaffent l'absurdité, ainfi que nous l'avons dit ailleurs. Ne pouvant s'accoutumer à entendre parler de la naiffance des Dieux, ils difoient que cette prétendue naiffance, n'étoit que l'introduction de leur culte dans le Pays où les Poëtes affûrent qu'ils avoient reçu le jour. L'idée extravagante & ridicule d'un Saturne qui dévore fes enfans, n'étoit, felon eux, que l'emblême du temps qui confume tout. Ils expliquoient à peu près de même les autres fictions poëtiques. Dans cet intervalle paroît un Auteur, qui dit avoir vû dans une Ifle une Infcription gravée en caracteres très-anciens, qui contient (1) Liv. 2. I'Hiftoire des Dieux ; qui parle de leur naiffance, de leurs conquêtes, & de leur mort; & dès-là il femble vouloir renouveller, ou plûtôt confirmer par une preuve fi autentique les opinions furanées des Poëtes anciens : eft il étonnant qu'on l'ait regardé comme un impie? On regardera toujours comme tel, tout homme qui entreprendra de détruire la Religion dominante. Comme cette reponse, toute fpecieuse qu'elle eft, n'eft pas entierement fatisfaifante, puifqu'en effet on n'a jamais fait une affaire auffi ferieufe à Diodore de Sicile, & aux autres Auteurs que j'ai cités dans le Chapitre precedent, quoiqu'ils foient pofterieurs à Evhemere, & qu'ils aient dit au fond la même chofe que lui au fujet des hommes divinifés: ainfi je fuis perfuadé qu'il y avoit quelque venin caché dans la Relation d'Evhemere. Peut-être avoit-il rejetté les Dieux de la premiere efpece, les Aftres,& ces Intelligences, qui, felon les Philofophes dont on vient de parler, les conduifoient, & étoient cenfées gouverner le monde ; & ayant reduit tous les Dieux aux hommes illuftres, qu'on voyoit bien dans le fond n'être pas de veritables Dieux, puifqu'ils étoient nés & morts comme les autres hommes, au-lieu que les Dieux devoient être éternels & immortels de leur nature, il fappoit par là tous les fondemens de la Religion. Et voilà fans doute ce qui le fit paffer pour un Athée : car s'il eût admis ces Divinités de la première Claffe, & qu'il eût feulement raconté l'histoire de ceux de la feconde, c'eft-à-dire, de celle des Dieux animés, telle qu'elle eft dans le fragment qui nous refte, il n'auroit rien dit qu'on ne trouvât dans les Poëtes & les Hiftoriens qui ont fait la Genealogie de ces mêmes Dieux, & ont parlé de leur naiffance, de leurs actions, de leur mort & de leurs tombeaux. On pourra m'objecter en fecond lieu la diftinction que fait Herodote (1), entre le culte qu'on rendoit aux Dieux, & celui qu'on rendoit aux Heros, c'eft-à-dire, aux hommes déifiés. On offroit des Sacrifices, dit cet Auteur, à Hercule, fils d'Alcmene, comme à un Heros ; & à Hercule Olympien, qui étoit une des grandes Divinités d'Egypte, comme à un Etre de nature immortelle. On pourroit joindre à cette autorité celle de C. II. Paufanias, qui dit (1) qu'on rendoit à Alexenor les honneurs (1) In Corint. destinés aux Heros, & les honneurs divins à Evemerion, que les Pergameniens, autorifés par un Oracle, furnommoient Telefphore. Je pourrois repondre d'abord, que l'Hercule Egyptien avoit été homme, auffi bien que le fils d'Alcmene: je pourrois dire la même chose d'Alexenor & d'Evemerion; la difference de leur culte ne venant que, ou de leur plus grande antiquité, ou de ce que les uns avoient été plus illuftres & plus recommandables que les autres: mais je vas plus loin, & je prétends que le Heros montoit infenfiblement, & comme par degrés, au rang des Dieux, & en recevoit les honneurs ; & que cela étoit arrivé même à l'Hercule Grec, puifqu'après qu'on l'eut honoré pendant quelque-temps comme un Heros, on commença à lui rendre des Sacrifices parfaits; c'eft-à-dire, de ceux où l'on brûloit une partie de la victime en l'honneur du Dieu, & dont on mangeoit l'autre dans le feftin qui accompagnoit toujours la ceremonie des Sacrifices. Le fait que raconte Paufanias, ne laiffe aucun lieu d'en douter. Pheftus, au rapport de cet Auteur (2), étant arrivé à Sicyone, n'apprit (1)L. 2. c. 10. qu'avec chagrin, qu'on n'y honoroit point encore Hercule comme un Dieu, mais feulement comme un Heros, & il ordonna qu'on lui rendît les honneurs divins : cependant pour ne pas revolter les Sicyoniens, il leur permit de referver une petite partie de la victime, pour l'offrir encore au même Hercule, comme Heros. Dès ce temps-là, ajoute cet Auteur ils égorgent un agneau, & en font rôtir le ventre fur l'Autel, ils mangent une partie de la victime, & offrent l'autre à Hercule, comme à un Heros ; de forte qu'il eft reveré aujourd'hui comme un Dieu & comme un Heros. Les deux jours de fêtes qu'on celebra enfuite en fon honneur, furent très-diftingués ; le premier s'appelloit l'Onomate, & l'autre l'Herculie. Ce fait prouve fans replique, & que les Heros montoient au rang des Dieux, & qu'au temps de l'arrivée de Pheftus à Sicyone, Hercule étoit déja honoré comme un Dieu dans le refte de la Grece. Car fans cela fur quoi auroient été fondées fa furprife & fon indignation? On peut avancer la même chose d'Efculape, de Thalaffius, Dieu de l'Hymenée, & de plufieurs autres que Diodore de Sicile dit avoir été mis au nombre des Dieux, & honorés comme tels. Il ne faut pas s'imaginer que ces grands Hommes duffent leur Divinité aux Poëtes feuls : ce furent les Peuples, les Pontifes, les Villes entieres qui firent leur Apotheofe. L'autorité des Poëtes auroit-elle été affez grande pour faire établir un culte, élever des Temples & des Autels à des hommes qu'ils auroient divinifés ? C'eft une erreur que fe font forgée ceux qui regardent Homere & Hefiode comme les peres de la Theologie Payenne, au lieu qu'ils ne faifoient que celebrer dans leurs Poëmes.ceux dont le culte étoit établi, & qu'ils en parloient comme le Peuple & les Prêtres. Certainement, () De Civit. ainfi que le remarque faint Auguftin (1), les Apotheofes Dei. L. 3.c.3. étoient un acte public, fait par autorité du Peuple & du Senat: celles de Jules Cefar, d'Augufte, & des autres Empereurs, en font une preuve inconteftable. Ainfi les Poëtes ne font pas les auteurs de la Theologie dont ils ont rempli leurs Ouvrages; ils n'ont fait que nous en conferver la Tradition. C. 15. Que fi on me demande maintenant qui étoient ceux qu'on mettoit au nombre des Dieux ; je repondrai que c'étoient, (2) Liv. 3. 1°. Les anciens Rois : & comme, felon Lactance (2), on n'en connoiffoit pas avant Urane & Saturne, c'eft pour cela qu'on les a regardés comme les plus anciennes Divinités. 2°. Ceux qui avoient rendu des fervices confiderables, ou par l'invention de quelque Art neceffaire à la vie, ou par leurs conquêtes & leurs victoires. 3°. Les anciens Fondateurs des Villes. 4°. Ceux qui avoient decouvert quelque pays, ou y avoient conduit des Colonies. 5. Ceux que la flatterie élevoit à ce rang, & de ce nombre font les Empereurs Romains, dont le Senat ordonnoit l'Apotheofe. Enfin tous ceux qui étoient devenus l'objet de la reconnoiffance publique. Mais quoique je prétende, & que j'efpere le prouver dans la fuite, que les Dieux, non feulement des Grecs, mais encore des Nations d'où ils les avoient reçus, je veux dire les Egyptiens & les Pheniciens, ayent été des hommes, fi vous en exceptez les Aftres, & les autres parties de l'Univers qui furent déifiées, je n'ai garde de donner dans l'idée d'un fçavant chini. fçavant Prelat Italien, qui dans fon Hiftoire Univerfelle, dont nus, C CHAPITRE IV. Des Enfans des Dieux. OMME il n'y a rien de plus obfcur dans l'Hiftoire fabu leuse, , que ce qui regarde les Enfans des Dieux, il eft à propos de bien éclaircir ce point. Herodote diftingue, comme nous l'avons dit, trois Claffes de Dieux. Il y en avoit huit dans la premiere; douze dans la feconde ; & ceux de la troifiéme avoient été engendrés par les autres, comme Bacchus, &c. Suivant cette diftinction, il eft clair qu'on doit regarder comme les Enfans des Dieux, tous ceux qui n'étoient ni de la premiere, ni de la feconde Claffe; mais il eft für de plus qu'on donnoit fouvent le nom d'Enfans des Dieux, 1o. à plufieurs Perfonnages Poëtiques, comme quand on dit que I'Acheron étoit fils de Cerès; les Nymphes, filles d'Achelous; l'Amour, fils de la Pauvreté, & une infinité d'autres. 2o. La plupart des Princes, qui ont été mis au rang des Dieux, en reconnoiffoient quelqu'un d'eux pour pere ou pour Ancêtre, comme nous le dirons dans un moment. 3°. Ceux qui étoient nés des commerces des Prêtres avec les femmes qu'ils fubornoient dans les Temples. Celui de Belus à Babylone, dont parle Herodote, n'étoit pas le feul où on avoit coutume d'introduire chaque nuit une des plus belles femmes de la ville. On en faifoit autant, fuivant le même Hiftorien, à Thebes en Egypte, à Patare dans la Lycie, |