effets qu'on leur attribue. Dabord, dit-il, on ne doit point établir leur fejour dans l'Æther, ou cet air pur qu'habitent les Dieux, mais dans un air plus groffier, ou dans le globe même de la terre. Il n'ofe pas même attribuer aux Demons toutes les impoftures & les mauvaises actions qu'on met fur leur compte, & dont ce Philofophe est justement choqué; mais ne voulant pas fe declarer ouvertement contre une opinion reçue, il avoue qu'il y a de bons Genies, quoiqu'il foir perfuadé en même temps qu'en general tous les Demons ont de l'impu dence & de la folie. Après avoir diftingué les Demons & les Dieux, en ce que ceux-là ont des corps, & que ceux-ci n'en ont point, il demande à Anebo fi les hommes qui prédifent l'avenir, ou qui produifent quelqu'autre effet merveilleux & extraordinaire, doivent en regarder leur ame, ou ces Intelligences, comme la caufe: mais il décide lui-même la queftion, & paroît perfuadé qu'il faut attribuer ces effets à ces Genies; ce qui lui fait dire que quelques perfonnes croyent qu'il y en a d'un certain ordre qui entendent nos prieres, mais qui après tout ne font propres qu'à impofer & à feduire; que ces Efprits prennent toutes fortes de formes, fe changent en differentes figures & imitent les Dieux mêmes, les Demons, & les ames des morts: que ce font ces Efprits qui operent tout ce qu'il y a de mauvais, fans produire rien de bon; qu'ils donnent de mauvais confeils, s'oppofent de tout leur pouvoir aux bonnes actions, & ont une haine marquée pour les perfonnes vertueuses; qu'ils aiment l'odeur de la chair & du fang des animaux, & qu'ils fe plaifent à être flattés. Il parle enfin de toutes les autres impoftures de ces Efprits malins qui font illusion aux hommes, foit qu'ils veillent ou qu'ils dorment. , Cette Lettre eft écrite avec art, & on ne peut pas douter que Porphyre ne s'y declare contre l'exiftence & le pouvoir de ces Genies dont il parle. Cependant il paroît en quelques endroits qu'il en admet, & que ce n'eft pas toujours le fentiment des autres, mais le fien qu'il expose, ainsi que le dit S. Auguftin, qui a fait l'analyse de cette Lettre (1). » Que les (1) De Civ. > hommes faffent des menaces aux Dieux, que ces menaces les épouvantent, & les reduisent à faire ce qu'on defire, Dei. Lib. 10. C. II. D ⚫ce font des chofes, dit ce Pere de l'Eglife, qui caufent une juste admiration à Porphyre; mais fous prétexte de les admirer, & d'en rechercher les causes, il fait assez entendre » que ce font des operations de ces Efprits, dont il a auparavant representé les qualités felon l'opinion des autres; Efprits de feduction par leurs vices, & non pas de leur nature, comme il le dit & le pense lui-même ». Quoiqu'il en foit, Jamblique repond à cette Lettre article par article, & parlant dans la neuviéme Section, de ce qui regarde les Genies, il paroît également perfuadé de leur existence & de leur pouvoir. D'abord, il commence par avouer que cette matiere eft fort embarrassante, & sujette à de grandes difficultés. Car, dit-il, on croit que chaque homme peut avoir fon Demon, ou par la vertu & l'afpect des Aftres qui prefident à fa naiffance, ou qu'il lui eft afsocié par l'art divin de la Magie Théurgique. Il ajoute que le premier de ces moyens n'a rien que de naturel, & que le fecond dépend des caufes furnaturelles ; & il blâme fort l'Auteur de la Lettre, fans toutefois le nommer, de n'avoir parlé que du premier de ces moyens, fur lequel il fait rouler toutes ces difficultés, fans avoir fongé à faire mention de celui qui eft le feul veritable. Enfuite après avoir prouvé l'incertitude de l'horofcope, & de toutes les autres pratiques de l'Aftrologie, il fait voir qu'il n'y a que la Théurgie qui puiffe amener à quelque connoiffance certaine. » Ce n'eft donc point, conclut-il, par la position des Aftres au moment de notre naiffance 30 que le Genie qui doit prefider à notre vie nous eft envoyé : » il exiftoit avant nous, & c'eft lui qui au moment de la conception fe rend maître de l'ame, & l'unit au corps. Toutes nos pensées viennent de lui, & nous n'agiffons que con» formement aux idées qu'il nous donne (a). Enfin il nous » gouverne entierement jufqu'à ce que l'ame, élevée & deve»nue parfaite par les fpeculations de la Théurgie, ou de cette Magie divine qui nous unit avec Dieu, fe degage de la fervitude de ce Genie, qui alors ou l'abandonne, ou en devient lui même l'efclave. Ce Demon, c'est toujours Jam ∞ (1) Chap. 8. » blique qui parle (1), n'est point nous-mêmes, c'est un être (a) Voyez les Chapitres VI. & VII. de la neuviéme Section.. B » x. independant de nous, d'un ordre fuperieur à notre ame, » & n'en fait point partie, ainsi que Porphyre fembloit le croire. » Comme il ne nous eft point envoyé par quelque partie de l'univers, tels que les Aftres, &c. mais par l'univerfalité de » la nature, il prefide à toutes nos penfées, à toutes nos actions, & à toutes nos affections: ainfi nous n'avons pas befoin, comme l'Auteur de la Lettre l'infinue, d'en avoir plufieurs, l'un pour la fanté, l'autre pour la beauté, &c. » un feul nous fuffit, & il eft ridicule d'en admettre un pourD le corps, & un pour l'ame. C'est donc en vain que quelques perfonnes ont établi differentes formules de prieres pour feurs Genies; il n'en faut qu'une, puifque Dieu qui nous envoye à chacun notre Genie, eft un de fa nature ». Ainfi raisonnoit Jamblique contre fon maître Porphyre, qui ne paroiffoit pas auffi perfuadé que lui de l'exiftence de ces Genies. Comme cette myfterieufe Philofophie, puifée dans l'Ecole de Platon, & foutenue de quelques dogmes mal entendus de la Religion Chrétienne, fit beaucoup de progrès dans les deux premiers fiécles de l'Eglife, les premiers Peres s'attacherent à la combattre, & n'eurent pas de peine à triompher des vains raifonnemens des Sophiftes qui la foutenoient. 2 Apulée dans l'Ouvrage qu'il compofa fur le Demon de Socrate, qui étoit felon lui, un de ces Genies dont nous venons de parler, après avoir dit que c'étoient des Efprits qui n'avoient jamais été unis à aucun corps, nous developpe ainfi le fentiment de Platon fur ce fujet. » De ces Demons, dit-il, Platon estime que chaque homme a le fien, qui le garde & qui » eft le temoin, non feulement de fes actions, mais auffi de » fes pensées; & que lorfqu'on vient à mourir, ce Genie. » traduit en jugement la perfonne du foin de laquelle il étoit chargé; & fi lorfqu'elle eft interrogée par fon Juge, elle ne repond pas fuivant la verité, il la reprend & la blâme très-feverement, comme il en fait l'éloge, lorfque ce qu'elle dit eft veritable; & c'eft fur l'approbation du Genie que la Sentence eft prononcée; car ce Demon fçait tout ce qui » fe paffe dans l'homme, jufqu'à fes plus fecrettes penfées Quoique Platon & Jamblique ayent cru que chaque homme n'avoit qu'un feul de ces Genies pour le conduire, & prefider Iii iij ဘ → Do V.743. à toutes les actions, d'autres Philofophes cependant de la même Ecole étoient perfuadés que nous en avions deux, Fun bon, l'autre mauvais ; c'eft ce que nous apprenons de Servius. Ce fçavant Commentateur, fur cet endroit où Virgile dit (1)Eneid. 1.6. Quifque fuos patimur manes (1), dit: Volunt unicuique Genium appofitum, Damonem bonum & malum; hoc eft, rationem quæ ad meliora femper hortatur, & libidinem quæ ad pejora: hic eft Larva & Genius malus ; ille bonus Genius & Lar. » On pré» ́tend que chacun a deux Genies, l'un bon, & l'autre mauvais; c'eft-à-dire, la raifon qui porte au bien, & la cupidité qui induit au mal : le dernier eft ce qu'on appelle Larva, l'autre bon Genie, ou Lar ». P. 113. L'opinion qui enfeignoit l'exiftence de ces Genies eft plus ancienne que Platon, & il feroit difficile d'en découvrir l'origine. Peut-être étoit-elle puisée dans la même source où l'Au(2) L. II. c. 5. teur du Livre d'Henoc, dont nous avons parlé (2), avoit pris ce qu'il raconte des Anges; c'eft-à-dire, dans la tradition, mais corrompue & alterée, de la rebellion de ces mêmes Anges. Quoiqu'il en foit, c'étoit un fentiment affez generalement reçu, qu'il y avoit une infinité de ces Efprits, inferieurs à la verité au Souverain Etre, dont ils étoient comme les miniftres & les médiateurs, mais fuperieurs à l'homme dont ils prenoient foin. Les Dieux, difoient quelques Philofophes, font trop élevés au-deffus des hommes, pour qu'il puiffe y avoir entr'eux aucun commerce, aucun rapport; & ce devoir être par le moyen de ces Puiffances mitoyennes entre Dieu & l'homme, que devoient être établis & ce rapport & ce commerce. C'étoient eux qui prefentoient nos prieres aux Dieux, qui leur portoient nos vœux, & qui en même temps venoient communiquer aux hommes les biens que ces mêmes Dieux daignoient leur départir; Theologie fauffe dans fon principe, puifque quelque parfaite que l'on conçoive une créature, il reftera toujours entre Dieu & elle une distance infinie; Theologie pitoyable dans fes confequences, puifqu'elle fuppofoit des Dieux qui relegués dans le ciel, n'étoient pas prefens à tout par leur immenfité, & avoient befoin du miniftere d'autres Puiffances, pour connoître & pour foulager nos befoins; 1 Theologie enfin qui abufoit étrangement de ce que dit l'Ecri- Il faut pourtant convenir qu'on ne voit pas que ces Philo- Chaque homme, dans les principes de certe Theologie, avoit donc fon Genie particulier, ou même deux, fuivant quelques Anciens ; & c'eft ce qui fait dire à Pline, comme nous l'avons déja rapporté en parlant du progrès de l'Idolâtrie (1), que le nombre des Dieux, car il met pofitivement (1) Liv. III dans ce nombre les Genies, & les Junons, qui étoient les Genies des femmes, étoit fi grand, qu'il y en avoit plus que d'hommes. De ce nombre étoit le Genie de Socrate, au fujer duquel Plutarque & Apulée ont fait chacun un Traité particulier; Genie qui, felon lui, l'avertiffoit lorfque fes amis alloient s'engager dans quelque mauvaise affaire; qui l'arrêtoit, l'empêchoit d'agir, fans jamais le porter à agir: Divinum quoddam, dit Ciceron en parlant de ce Demon, quod Damonium appellat, cui femper paruerit, nunquam impellenti, fæpè revocanti. Mais quelques raifonnemens qu'on ait fait fur ce pré |