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(2) Pag. 372.

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tendu Demon, j'adopte le fentiment de feu M. l'Abbé Fraguier, qui dans une Differtation imprimée dans le quatriéme (1) Pag. 360. Volume de l'Academie des Belles-Lettres (1), rapporte tout ce qu'on en a dit, à la fageffe & à la prudence de ce Philofophe, qui lui faifoient prévoir plufieurs chofes, aufquelles un homme moins éclairé que lui n'auroit pas penfé; car la prudence, dit Ciceron, eft une espece de divination. » Le Demon de Socrate, conclut le fçavant Academicien que je viens de nommer (2), Demon dont on a parlé fi diverfe» ment, jufqu'à mettre en queftion fi c'étoit un bon ou un » mauvais Ange, fe trouve donc avec beaucoup de vraisemblance, réduit à n'être plus deformais que la prudence » & la sagesse de Socrate à percer dans l'avenir; que So» crate, par un tour ironique, ramenoit au pur inftinet, qui dans les Poëtes & dans les Rapfodiftes eft la fureur poëtidans les Devins, la fureur prophetique; & qui les rempliffant les uns & les autres d'une illumination qui tient le milieu entre la science & l'ignorance, les fait quelquefois rencontrer juste »

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» que,

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D.

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CHAPITRE VII.

Reflexions generales fur l'Idolatrie.

N a vû quels étoient les Dieux que le monde insensé adoroit. Quel fpectacle mortifiant pour l'humanité! de voir pendant plus de deux mille ans la terre toute remplie de Temples élevés à de vaines Idoles, dans lefquels des Victimes innocentes étoient immolées à des Dieux criminels; les parfums les plus précieux repandus pour des Idoles qui ne les fentoient pas. On prioit des Dieux qui n'entendoient pas les prieres qu'on leur adreffoit (a). On s'efforçoit à les appaiser, eux qui ne fçavoient pas s'ils étoient irrités ; & on imploroit leur affiftance, lorsqu'ils ne connoiffoient pas nos befoins. En verité, l'homme abandonné à fes propres lumieres, est un étrange vifionaire!

Tel étoit le trifte état du monde, lorsque Dieu touché de (a) Aures habent & non andient, nares habent, & non odorabunt. Pfalm. 113.

nos

mos miferes, envoya fon propre
fils fur la terre. Dès-que ce
nouveau Soleil parut, les tenebres de l'Idolâtrie commence-
rent peu à peu à fe diffiper. On vit bien-tôt l'Agneau fans
tache en poffeffion des droits que le Demon avoit ufurpés ;
& Jesus-Chrift crucifié parut au milieu du Capitole, à la place
de l'infâme Jupiter.

Mais peut-on penfer que les habiles gens aient ajouté foi à une Théologie fi groffiere? Ne fe mocquoient-ils pas des fables populaires? Et les Philofophes n'avoient-ils pas des idées plus faines de la Divinité ? Une question très difficile à decider, eft de fçavoir quelle idée avoient de Dieu les Philofophes & les Poëtes. Il est sûr que la plûpart étoient Athées, & ne reconnoiffoient d'autre Dieu que la nature : ils croyoient tous la matiere incréée, & ne donnoient d'autre part à Dieu dans la formation du monde, que d'avoir débrouillé le Chaos. Encorè n'ofoient-ils décider fi c'étoit Dieu qui avoit présidé à cette operation, ou la nature elle-même :

Hanc Deus, vel melior litem natura diremit,

comme le dit Ovide (1).

Car enfin qu'on examine les opinions des Philofophes, on verra qu'elles fe reduisent à trois Claffes, ainsi que je l'ai dit dans le premier Chapitre de ce Livre. Je place dans la premiere ceux qui n'admettoient qu'une nature, infinie à la verité & éternelle, mais inanimée; comme Epicure, Stratón, & quelques autres. Dans la feconde, ceux qui reconnoiffoient un principe intelligent, mais materiel; tels que Zenon, & les Stoïciens fes Difciples. Dans la troifiéme enfin, ceux qui foutenoient, comme Anaxagore & Platon, qu'il y avoit une Intelligence immaterielle & infinie. Ceux des deux premieres Claffes étoient incontestablement Athées ; ceux de la troifiéme plus éclairés & plus raisonnables fans doute, erroient du moins en ce qu'ils ne croyoient pas la création, & étoient obligés d'admettre l'exiftence d'une matiere independante & éternelle, comme l'Intelligence qui en forma le monde.

(1) Met. L. 1

Dei, Liv.1.

Un paffage de Seneque cité par S. Auguftin (2), explique (2) De Civ. en deux mots toutes ces opinions. Ego feram, difoit ce Phi

C. 10.

lofophe, aut Platonem, aut Peripateticum Stratonem, quorum alter fecit Deum fine corpore, alter fine animo; puifque voila le Dieu de Platon & d'Anaxagore incorporel, fine corpore ; le Dieu de Straton, matiere inanimée, fine animo ; & le Dieu par confequent des Stoïciens, qui étoit auffi celui de Seneque, mitoyen entre les deux autres, matiere & Intelligence toute ensemble, ou, ce qui revient au même, Intelligence materielle.

Pour ce qui regarde les Poëtes, j'ai fait voir à la fin du fecond Livre, ce qu'on doit penfer de leur Théologie. Ajoutons encore avec le celebre M. Boffuet, que rien n'eft plus indigne, & plus choquant en même temps, que la maniere dont ils parlent des Dieux. Ils en font des monftres; ils en reprefentent de ronds, de carrés, de triangulaires, de boiteux, d'aveugles ils parlent d'une maniere bouffonne des amours d'Anubis avec la Lune; ils difent que Diane eut le foüet; ils font faire à Jupiter fon Teftament fur le point de mourir ; ils font battre les Dieux, & les font blesser par des hommes ; ils les font fuir en Egypte, où ils font obligés pour fe cacher, de fe revêtir de la peau des Crocodiles & des Lezards : Apollon pleure Efculape, Cybele Athis : l'un chaffé du Ciel, eft obligé de garder les troupeaux ; l'autre reduit à travailler à des Ouvrages de maçonnerie, n'a pas le credit de fe faire payer : l'un eft Muficien, l'autre Forgeron, l'autre Sage-femme. En un mot, on leur donne des emplois indignes; ce qui fent plûtôt la bouffonnerie du Theâtre, que la majefté des Dieux.

Que penfer en effet des Grecs & des Romains en general; de ces deux Peuples, qui regardoient tous les autres comme des Barbares, eux qui avoient adopté le culte de tous les Dieux des Peuples qu'ils avoient vaincus? Quel fyftême monftrueux que leur Théologie ! Quels Théologiens qu'Hefiode & Homere ! Ogygès, Danaüs, Cadmus, Cecrops, & en general tous les Chefs de Colonies qui étoient venus d'Egypte & de Phenicie, avoient apporté dans la Grece les Dieux de leur pays, & les ceremonies de leur culte. Quel mêlange bizarre dans leur Théologie! Car enfin quelle peut être une Religion apportée par des gens de mer, qui venoient chercher des établissemens?

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On dira peut-être, ainfi que je l'ai déja remarqué, qu'il n'y
avoit que le Peuple d'idolâtre. Tout le monde l'étoit, & ceux
qui meprifoient la Religion établie, étoient pour l'ordinaire
Athées, & le remede étoit pire que le mal. Après tout, fi
nous en jugeons par la conduite des Sages de l'Antiquité, on
ne peut s'empêcher de convenir qu'ils n'ayent donné dans les
erreurs les plus groffieres. Que dirions-nous en effet d'un
homme d'efprit que nous verrions l'encenfoir à la main, prof-
terné devant une fdole, ou les yeux attentifs fur les entrailles
d'une victime, où il cherche fa deftinée? Croirions-nous que
c'est un hypocrite, qui fe mocque dans fon cœur des Dieux
qu'il invoque par politique? Mais fi cela eft, quelle regle au-
rons-nous pour juger des fentimens des autres ? Il fe
peut faire
que ces mêmes perfonnes fe mocquoient au fortir du Tem-
ple, des ceremonies aufquelles ils venoient d'affifter. Ciceron
ne raille-t'il pas les Augures? Lucien, & quelques autres, ne
fe jouent-ils pas de leurs Dieux ? Juvenal dit dans une de fes
Satyres, qu'il n'y avoit que les enfans qui cruffent tout ce qu'on
difoit des Enfers, & de Caron :

Effe aliquos Manes, & fubterranea regna,

Et Contum, & Stygio ranas in gurgite nigras,
Aque una tranfire vadum tot millia cymba,

Nec pueri credunt, nifi qui nondum ære lavantur (1).

Callimaque & Catulle difent à peu près la même chofe: Seneque fe mocque des galanteries de Jupiter, comme nous le dirons dans fon hiftoire: Denys le Tyran ne fit-il pas ôter la robe d'or d'Apollon, la barbe d'Efculape, en ajoûtant même une raillerie piquante (a)? Tout cela eft vrai, mais quelle idée avoit-on de ces gens-là, & ne les regardoit-on pas comme des impies?

En un mot, le fyftême dont on vient de parler étoit la Religion dominante, & peu de gens l'examinoient affez découvrir les défauts. On ne raisonne pas beaucoup en matiere

pour en

(a) Il dit que cet habit d'Apollon étoit trop chaud en été, & trop froid en hyver; & d'Efculape, qu'il étoit ridicule que le fils eût de la barbe, pendant que le pere n'en avoit pas.

(1) Juvenal Sat. 6.

de Religion; on fuit ordinairement celle de fes Peres, & les raisonnemens convertiffent peu de gens. D'ailleurs la Religion Payenne étoit peu incommode: gênante du côté des ceremonies, elle laiffoit pour la morale une entiere liberté. On ne s'avife gueres d'examiner une Religion qui favorife les penchans auroit-on voulu changer des Dieux qui étoient eux-mêmes les modéles des crimes, contre d'autres qui les auroient punis avec feverité? Concluons donc que tout le monde, Peuple & Philofophes, fuivoient une Religion dont le fyftême étoit fi groffierement imaginé.

Que les Sçavans fe donnent maintenant la torture, dit fi élegamment M. Boffuet (a), pour deterrer l'origine de l'Idolâtrie, & chercher en quel temps, & par qui elle a commencé. Il eft certain que c'eft la cupidité & l'ignorance qui l'ont introduite ; & que l'interêt, les paffions, & la volupté l'ont maintenue. Ainfi on ne doit pas s'étonner qu'elle ait regné fi long-temps fur la terre, où même elle n'eft pas detruite, puifqu'il y a des Peuples qui gemiffent encore fous la tyrannie du Demon ; & que le temps n'eft pas encore arrivé, où toute la terre ne doit reconnoître qu'un feul Dieu par Jefus-Chrift. Mais ce qui doit nous étonner, c'eft que l'Idolâtrie ait paffé chez les Peuples les plus éloignés, & y ait duré jufqu'à prefent, puifqu'il eft sûr que l'Idolatrie moderne des Indes, de Perfe & du Nord, eft la même précisément que l'ancienne Idolâtrie Egyptienne. L'humanité aura toujours de quoi rougir des erreurs monftrueufes où les hommes fe font jettés. Qui ne feroit furpris en effet, de voir que le monde que Dieu avoit fait pour manifester sa puiffance, foit (1) Id. Ib. devenu un Temple d'Idoles (1) ; que l'homme ait été affez. aveugle pour adorer l'ouvrage de fes mains, & offrir de l'encens aux bêtes & aux reptiles; & qu'après avoir élevé ses Idoles, il ait crû qu'il falloit pour les appaifer, repandre fon. propre fang? En effet dans tous les Peuples du monde, les hommes ont facrifié leurs femblables, & il n'y a point d'endroit fur la terre, où cette barbare coutume n'ait été prati quée.

Mais fi l'Idolâtrie eft un fi grand renversement de l'efprit (a) Difcours fur l'Hiftoire Universelle.

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