tendu Demon, j'adopte le fentiment de feu M. l'Abbé Fra guier, qui dans une Differtation imprimée dans le quatrième (1) Pag. 360. volume de l'Academie des Belles-Lettres (1), rapporte tout ce qu'on en a dit, à la fageffe & à la prudence de ce Philofophe, qui lui faifoient prévoir plufieurs chofes, aufquelles un homme moins éclairé que lui n'auroit pas penfé; car la dence, dit Ciceron, eft une espece de divination. » Le De» mon de Socrate, conclut le fçavant Academicien que je (2) Pag. 372. » viens de nommer (2), Demon dont on a parlé si diverse pru D ဘ » ment, jusqu'à mettre en queftion si c'étoit un bon ou un D D. 8 CHAPITRE V I I. Reflexions generales fur l'Idolâtrie. O N a vû quels étoient les Dieux que le monde infensé Tel étoit le trifte état du monde, lorfque Dieu touché de nos nos miferes, envoya fon propre Mais peut-on penfer que les habiles gens aient ajouté foi à une Théologie fi groffiere? Ne fe mocquoient-ils pas des fables populaires? Et les Philofophes n'avoient-ils pas des idées plus faines de la Divinité ? Une question très difficile à decider, eft de fçavoir quelle idée avoient de Dieu les Philofophes & les Poëtes. Il est sûr que la plûpart étoient Athées, & ne reconnoiffoient d'autre Dieu que la nature : ils croyoient tous la matiere incréée, & ne donnoient d'autre part à Dieu dans la formation du monde, que d'avoir débrouillé le Chaos. Encore n'ofoient-ils décider fi c'étoit Dieu qui avoit présidé à cette operation, ou la nature elle-même : Hanc Deus, vel melior litem natura diremit, comme le dit Ovide (1). Car enfin qu'on examine les opinions des Philofophes, on verra qu'elles fe reduisent à trois Claffes, ainsi que je l'ai dit dans le premier Chapitre de ce Livre. Je place dans la premiere ceux qui n'admettoient qu'une nature, infinie à la verité & éternelle, mais inanimée; comme Epicure, Stratón, & quelques autres. Dans la feconde, ceux qui reconnoiffoient un principe intelligent, mais materiel; tels que Zenon, & les Stoïciens fes Difciples. Dans la troifiéme enfin, ceux qui foutenoient, comme Anaxagore & Platon, qu'il y avoit une Intelligence immaterielle & infinie. Ceux des deux premieres Claffes étoient inconteftablement Athées ; ceux de la troifiéme plus éclairés & plus raisonnables fans doute, erroient du moins en ce qu'ils ne croyoient pas la création, & étoient obligés d'admettre l'exiftence d'une matiere independante & éternelle, comme l'Intelligence qui en forma le monde. Dei, Liv. 1. Un paffage de Seneque cité par S. Auguftin (2), explique (2) De Civ. en deux mots toutes ces opinions. Ego feram, difoit ce PhiTome I. C. 10. Kkk (1) Met. L. 1. lofophe, aut Platonem, aut Peripateticum Stratonem, quorum alter fecit Deum fine corpore, alter fine animo; puifque voila le Dieu de Platon & d'Anaxagore incorporel, fine corpore; le Dieu de Straton, matiere inanimée, fine animo; & le Dieu par confequent des Stoïciens, qui étoit auffi celui de Seneque, mitoyen entre les deux autres, matiere & Intelligence toute ensemble, ou, ce qui revient au même, Intelligence materielle. : Pour ce qui regarde les Poëtes, j'ai fait voir à la fin du fecond Livre, ce qu'on doit penfer de leur Théologie. Ajou tons encore avec le celebre M. Boffuet, que rien n'eft plus indigne, & plus choquant en même temps, que la maniere dont ils parlent des Dieux. Ils en font des monftres; ils en reprefentent de ronds, de carrés, de triangulaires, de boiteux, d'aveugles ils parlent d'une maniere bouffonne des amours d'Anubis avec la Lune ; ils difent que Diane eut le foüet; ils font faire à Jupiter fon Teftament fur le point de mourir; ils font battre les Dieux, & les font bleffer par des hommes ; ils les font fuir en Egypte, où ils font obligés pour se cacher, de fe revêtir de la peau des Crocodiles & des Lezards: Apollon pleure Efculape, Cybele Athis: l'un chaffé du Ciel, eft obligé de garder les troupeaux ; l'autre reduit à travailler à des Ouvrages de maçonnerie, n'a pas le credit de fe faire payer : l'un eft Muficien, l'autre Forgeron, l'autre Sage-femme. En un mot, on leur donne des emplois indignes; ce qui fent plûtôt la bouffonnerie du Theâtre, que la majefté des Dieux. Que penfer en effet des Grecs & des Romains en general; de ces deux Peuples, qui regardoient tous les autres comme des Barbares, eux qui avoient adopté le culte de tous les Dieux des Peuples qu'ils avoient vaincus? Quel systême monftrueux que feur Théologie ! Quels Théologiens qu'Hefiode & Homere ! Ogygès, Danaüs, Cadmus, Cecrops, & en general tous les Chefs de Colonies qui étoient venus d'Egypte & de Phenicie, avoient apporté dans la Grece les Dieux de leur pays, & les ceremonies de leur culte. Quel mêlange bizarre dans leur Théologie! Car enfin quelle peut être une Religion apportée par des gens de mer, qui venoient chercher des établissemens? On dira peut-être, ainfi que je l'ai déja remarqué, qu'il n'y avoit que le Peuple d'idolâtre. Tout le monde l'étoit, & ceux qui meprifoient la Religion établie, étoient pour l'ordinaire Athées, & le remede étoit pire que le mal. Après tout, fi nous en jugeons par la conduite des Sages de l'Antiquité, on ne peut s'empêcher de convenir qu'ils n'ayent donné dans les erreurs les plus groffieres. Que dirions-nous en effet d'un homme d'efprit que nous verrions l'encenfoir à la main, profterné devant une fdole, ou les yeux attentifs fur les entrailles d'une victime, où il cherche fa deftinée? Croirions-nous que c'est un hypocrite, qui fe mocque dans fon cœur des Dieux qu'il invoque par politique? Mais fi cela eft, quelle regle aurons-nous pour juger des fentimens des autres? Il fe peut faire que ces mêmes perfonnes fe mocquoient au fortir du Temple, des ceremonies aufquelles ils venoient d'affifter. Ciceron ne raille-t'il pas les Augures? Lucien, & quelques autres, ne fe jouent-ils pas de leurs Dieux ? Juvenal dit dans une de fes Satyres, qu'il n'y avoit que les enfans qui cruffent tout ce qu'on difoit des Enfers, & de Caron : Effe aliquos Manes, & fubterranea regna, Callimaque & Catulle difent à peu près la même chofe: Seneque fe mocque des galanteries de Jupiter, comme nous le dirons dans fon hiftoire: Denys le Tyran ne fit-il pas ôter la robe d'or d'Apollon, la barbe d'Efculape, en ajoûtant même une raillerie piquante (a)? Tout cela eft vrai, mais quelle idée avoit-on de ces gens-là, & ne les regardoit-on pas comme des impies? En un mot, le fyftême dont on vient de parler étoit la Religion dominante, & peu de gens pour en découvrir les défauts. On ne raifonne pas beaucoup en matiere l'examinoient affez (a) Il dit que cet habit d'Apollon étoit trop chaud en été, & trop froid en hyver; & d'Efculape, qu'il étoit ridicule que le fils eût de la barbe, pendant que le pere n'en avoit pas. (1) Juvenal Sat. 6. de Religion; on fuit ordinairement celle de fes Peres, & les raifonnemens convertiffent peu de gens. D'ailleurs la Religion Payenne étoit peu incommode: gênante du côté des ceremonies, elle laiffoit pour la morale une entiere liberté. On ne s'avife gueres d'examiner une Religion qui favorise les penchans auroit-on voulu changer des Dieux qui étoient eux-mêmes les modéles des crimes, contre d'autres qui les auroient punis avec feverité? Concluons donc que tout le monde, Peuple & Philofophes, fuivoient une Religion dont le fyftême étoit fi groffierement imaginé. Que les Sçavans fe donnent maintenant la torture, dit fi élegamment M. Boffuet (a), pour deterrer l'origine de l'Idolâtrie, & chercher en quel temps, & par qui elle a commencé. Il eft certain que c'eft la cupidité & l'ignorance qui l'ont introduite ; & que l'interêt, les paffions, & la volupté l'ont maintenue. Ainfi on ne doit pas s'étonner qu'elle ait regné fi long-temps fur la terre, où même elle n'eft pas detrui puifqu'il y a des Peuples qui gemiffent encore fous la tyrannie du Demon ; & que le temps n'eft pas encore arrivé, où toute la terre ne doit reconnoître qu'un feul Dieu par Jefus-Chrift. Mais ce qui doit nous étonner, c'eft que l'Idolâtrie ait paffé chez les Peuples les plus éloignés, & y ait duré jufqu'à prefent, puifqu'il eft sûr que l'Idolâtrie moderne des Indes, de Perfe & du Nord, eft la même précisément que l'ancienne Idolâtrie Egyptienne. L'humanité aura toujours de quoi rougir des erreurs monftrueufes où les hommes fe font jettés. Qui ne feroit furpris en effet, de voir que le monde que Dieu avoit fait pour manifefter fa puiffance, foit (1) Id. Ib." devenu un Temple d'Idoles (1) ; que l'homme ait été assez. aveugle pour adorer l'ouvrage de fes mains, & offrir de l'encens aux bêtes & aux reptiles; & qu'après avoir élevé fes Idoles, il ait crû qu'il falloit pour les appaifer, repandre fon. propre fang? En effet dans tous les Peuples du monde, les hommes ont facrifié leurs semblables, & il n'y a point d'endroit fur la terre, où cette barbare coutume n'ait été prati quée. Mais fi l'Idolâtrie eft un fi grand renversement de l'efprit (a) Difcours fur l'Hiftoire Univerfelle.. |