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humain, ne doit on pas moins s'étonner de l'avoir vue se detruire, que de l'avoir vue durer fi long-temps? Son extravagance au contraire, dit l'éloquent Prelat que je ne fais prefque que copier, fait voir la difficulté qu'il y avoit à la vaincre. Le monde avoit vieilli dans cette erreur; enchanté par fes Idoles, il étoit devenu fourd à la voix de la nature qui crioit contre elles. D'ailleurs tout combattoit en fa faveur, les fens, les paffions, la cupidité, l'ignorance, un faux refpect pour l'Antiquité, l'interêt des particuliers, & celui de l'Etat. Rien. d'un côté de fi monftrueux que le fyftême de l'Idolâtrie; rien en même temps de fi feduifant. Quelle douceur en effet pour les paffions, d'adorer des Dieux qui y avoient été foumis, & de trouver dans leurs exemples de quoi autorifer & juftifier les plus grands dereglemens? La Religion, bien-loin de reprimer le vice, fervoit à le divinifer : la conduite des Dieux leur Hiftoire renouvellée dans les Fêtes & les Sacrifices, étoit toute propre à infpirer aux hommes beaucoup d'eftime pour: leurs paffions. Des Dieux vindicatifs, impurs & debauchés étoient faits pour une nature corrompue, & qui cherche à fe fatisfaire fans remords, & avec impunité. On peut ajouter avec le même Auteur, que l'Idolâtrie étoit toute faite pour le plaifir: les divertiffemens, les spectacles, & enfin la licence même, y faifoient une partie du culte divin. Les Fêtes n'étoient que des Jeux, & il n'y avoit nul endroit de la vie humaine, d'où la pudeur fût bannie avec plus de foin, qu'elle l'étoit des myfteres de la Religion. Quelle puiffance ne falloitil pas pour rappeller dans la memoire des hommes le vrai Dieu fi profondément oublié ? Comment accoutumer des efprits fi corrompus, à la regularité de la Religion veritable, chafte, ennemie des fens, & uniquement attachée aux biens invisibles?

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Mais si l'Idolâtrie étoit fi propre à fe foutenir par fon caractere comment la renverfer quand tout l'Univers s'étoit ligué en fa faveur ? On fçait ce que firent les Empereurs pour s'oppofer au Chriftianifme naiffant; ces Edits fanglans, ces perfecutions inoüies, cette fureur exercée contre les premiers Chrétiens, cette haine du genre humain dont on les. chargeoit ; tout cela eft connu. Mais ce n'étoient pas là

encore les armes les plus dangereufes que l'Enfer avoit fourni à l'idolâtrie, puifque le fang des Martyrs étoit la femence de nouveaux Chrétiens, comme le dit Tertullien : fanguis Martyrum, femen Chriftianorum. Voici des ennemis plus dangereux que les Empereurs ; je veux dire des Philofophes, qui employerent toutes les fineffes d'un efprit delicat & feduifant, pour donner quelque credit à une fi mauvaife caufe. Que ne firent-ils pas pour diminuer les abfurdités de leur Religion? Que de formes differentes ils firent prendre à l'Idolâtrie? Les uns difoient par un refpect affecté envers la Divinité, que tout ce qui étoit divin, étoit inconnu; qu'il n'appartenoit point à l'homme de difcourir fur des chofes fi hautes ; qu'il falloit croire les Anciens, & fuivre fans raifonner la Religion éta(1) M. Bof- blie (1). Et quand on leur montroit qu'il ne devoit y avoir qu'un Dieu, ils repondoient que la nature divine étoit fi étendue, qu'elle ne pouvoit être exprimée ni par un feul nom, ni fous une seule forme; mais qu'après tout, Jupiter & Mars, Apollon & Junon, & les autres Dieux, n'étoient dans le fond qu'un même Dieu, dont les vertus infinies étoient reprefentées par tant de mots differens: que pour ce qui regardoit les Hiftoires de leurs Dieux, & leurs amours, tout cela n'étoit que des allegories, par où l'on avoit voulu nous apprendre la formation du monde : & que c'étoit pour pour cela que l'Amour, le plus puiffant des Dieux, l'avoit formé, parce qu'il avoit uni les Elemens qui le compofent.

fuet. L. cit.

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Mais comme cette reffource de la Philofophie Stoïcienne menoit à l'Athéifme, puifqu'après tout on trouvoit qu'il n'y avoit pas d'autre Dieu que l'Univers, d'autres Philofophes (2), encore plus fubtils, prirent un autre tour pour concilier l'unité de l'Etre fuprême, avec la multiplicité des Dieux vulgaires. II n'y avoit, difoient-ils, qu'un Dieu Souverain; mais il étoit fi grand, qu'il ne fe mêloit pas des petites chofes; & s'étant contenté de faire le Ciel & les Aftres, il avoit laiffé à des Subalternes le foin de former le bas monde, & de le gouverner: & comme ceux-ci étoient les Mediateurs entre Dieu & les hommes, il falloit les adorer & leur offrir des Sacrifices. Et quand on leur eut fait voir que ce culte n'étoit dû qu'au Souverain Dieu, & que c'étoit une Idolâtrie de l'employer à

re.

l'égard d'autres Dieux, le plus habile d'entr'eux (1), alla (1) Porphyjufqu'à dire que le Sacrifice n'étoit pas le culte fuprême ; que tout ce qui étoit materiel, étoit impur, & ne devoit pas être offert à Dieu; qu'on ne devoit pas même employer la parole à fon culte, parce que la voix étoit materielle, & qu'il ne falloit adorer Dieu que par la feule penfée; tout autre culte étant indigne d'une Majefté fi haute. Il ajoutoit qu'il falloit offrir l'encens & les victimes à ces Efprits malins qui vouloient paffer pour des Dieux, & qu'il étoit neceffaire d'appaifer, de peur qu'ils ne nous nuififfent.

Je n'entreprends pas de refuter ces vaines fubtilités, qui se 'détruifent d'elles mêmes; mais tout cela prouve qu'il n'étoit pas aifé de détruire une erreur fi univerfelle & fi feduifante. Car enfin, quoique l'Idolâtrie, à la regarder en elle-même parût feulement l'effet d'une ignorance brutale ; à remonter à fa fource, c'étoit un œuvre menée de loin, pouffée aux derniers excès par des efprits malicieux, & qui trouvoit fa fûreté dans la protection qu'elle donnoit aux crimes & aux paffions. Mais ce qui la rendoit encore plus difficile à deraciner, c'est qu'elle prenoit fa naiffance dans le profond attachement que nous avons à nous-mêmes. C'eft fans doute ce qui avoit fait inventer des Dieux femblables à nous; des Dieux qui n'étoient que des hommes, fujets à nos paffions & à nos foibleffes; enforte que fous le nom de fauffes Divinités, c'étoit en effet leurs propres pensées & leurs plaifirs que les hommes adoroient; Divinités refpectables & fouveraines que la cupidité avoit formées. Ainfi l'homme lui-même étoit devenu le premier Temple des Idoles ; & c'étoient les Divinités interieures qui avoient élevé les autres. Car, comme dit l'habile Prelat que j'ai cité déja plufieurs fois, on adoroit Venus, parce qu'on fe laiffoit dominer par l'amour, & qu'on aimoit fa puiffance: Bacchus, le plus enjoué de tous les Dieux, avoit fes Autels, parce qu'on s'abandonnoit & qu'on facrifioit, pour ainfi dire, à la joye des fens, plus douce & plus enyvrante que le vin. Ainfi avant que de renverfer les Idoles, il falloit regler la cupidité, & détruire l'Autel qu'elle leur avoit élevé au milieu du cœur, ouvrage refervé à celui qui devoit éclairer les Nations; prouver par fa doârine que la veritable joye

étoit celle d'une bonne confcience; & qui par fa mort devoit imprimer dans le cœur de l'homme corrompu par tant de crimes, diffipé par tant de paffions, l'amour des fouffrances & de l'humilité. Aufli vit-on par un effet également admirable & furprenant, que pendant qu'un Philofophe avec fes raifonnemens arrangés n'avoit jamais pu renverfer aucune Idole, de fimples Pêcheurs, le rebut du monde, qui ne prêchoient que les croix & les mortifications, les virent tomber en poudre, quoique foutenues par la puiffance des Empereurs, obftinés à en conferver le culte.

On ne fçauroit douter après le témoignage des Peres de l'Eglife (a), que fous le nom de Jupiter, les Poëtes n'ayent voulu fouvent parler du Dieu Souverain; qu'ils lui donnent toujours une fuperiorité fur les autres Dieux; qu'ils le regardent comme leur Maître: Deûm Sator atque hominum Rex, dit Virgile : ils ajoutent que tout eft plein de Jupiter, les chemins, les places publiques, la mer, les étangs, & nous-mêmes: Plenæ autem Jovis funt omnes equidem via, plena quoque hominum fora, plenumque mare & ftagna ; ubique omnes Jove repleti fumus, comme dit le Poëte Aratus; c'eft même aux paroles de ce Poëte que (1) A&t. 12. S. Paul (1) fait allusion lorfqu'il dit, In ipfo vivimus, movemur & fumus , ut quidam veftrorum Poëtarum dixit. Mais il faut avouer auffi que le plus fouvent ils n'entendoient par Jupiter, que cet ancien Roi de Crete fils de Saturne, Prince fouillé de mille crimes, & coupable d'un parricide; qu'ils fe faifoient un plaifir à tout propos, d'en raconter les avantures; & que de ce prétendu Dieu Souverain & qui gouvernoit tous les autres, ils en font l'efclave des paffions les plus honteufes, & en toutes chofes foumis au Deftin, dont il lui falloit fubir les Arrêts irrevocables. Ainfi on ne fçauroit nullement les excufer d'une Idolâtrie également groffiere & ridicule. Auffi quand le Philofophe Celfe vouloit infinuer qu'il importoit peu qu'on donnât à Dieu le nom de Jupiter ou d'Adonis, ou d'Am- · mon, pourvû qu'on y attachât cette idée de Souveraineté & d'indépendance qui convient au vrai Dieu; Origene le réfute

(a) Clement Alex. Strom. L. 1. Athenag. S. Aug. Eufebe, Origene, Theod. Tertullien, Minue. Voyez le Pere Thomaffin, Lecture des Poëtes, Tome I. Livre II. Chapitre I. & XII.

folidement

tra Celfum,

folidement (1), & lui fait voir que les Chrétiens avoient hor- (1) L. 2. conreur de cette maxime deteftable, de donner le nom de Ju- & L piter au vrai Dieu, ou le nom de Dieu à Jupiter ; que c'étoit à cette marque qu'on diftinguoit un Chrétien d'un Idolâtre. Lactance & les autres Peres font de même fentiment, & réfutent fur ce fujet les vains fophifmes de ces Apologiftes de l'Idolâtrie.

V. 15.

Mais quelques entêtés que fuffent les Philofophes, il auroit été plus difficile encore de changer leur coeur que d'éclairer leur efprit, ou pour parler plus jufte, l'efprit & le cœur formoient une égale oppofition à la verité du dogme & à la feverité de la morale. On en voit un exemple bien marqué dans la conduite de Felix Gouverneur de Judée. S. Paul (2) (2) A&. 14. n'a pas plûtôt prononcé le mot refurrection, Quoniam de refurrectione mortuorum ego hodie judicor à vobis, qu'on renvoye ses accufateurs, en difant je vous écouterai quand le Tribun Lyfias fera arrivé. Le même Apôtre veut-il dans un autre converfation parler au même Felix, de la juftice, de la chafteté, & du jugement à venir, cet homme effrayé lui dit; retirez-vous quant à prefent, je vous manderai quand il faudra. Quod nunc attinet, vade: tempore autem opportuno accerfam te (3).

(3) Ib. 7. 15.

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