ARTICLE I I. Hifloire de Typhon. La fable de Typhon eft un des myfteres des plus obfcurs de la Mythologie. Les Grecs & les Latins qui n'en fçavoient pas l'origine, n'ont fait que l'obfcurcir encore davantage, en voulant la transporter felon leur coutume, dans leur Histoire. Fondés fur les traditions, qu'ils avoient apprifes par leur commerce avec les Egyptiens, ils firent de Typhon un monftre également horrible & bizarre, que la jaloufe Junon avoit, difoient-ils, fait fortir de terre, pour se venger de Latone fa rivale. Cette Déeffe, au rapport de l'Auteur d'un Hymne qu'on attribue ordinairement à Homere, piquée de ce que Jupiter étoit devenu pere de Minerve fans fa participation, voulut de fon côté être mere fans fon mari. Pour y réuffir, elle alla à l'affemblée des Dieux, & s'y plaignit de ce qu'ayant feule été jugée digne de partager le lit de Jupiter, ce Dieu avoit pour elle tant de mepris, qu'il avoit mis au monde fans fon fecours, la plus belle & la plus fage Déeffe de l'Olympe, pendant qu'ils n'avoient eu de leur union qu'un Dieu fi difforme, qu'on fut obligé de le chaffer du ciel. Après ce difcours elle defcendit fur la terre, d'où elle fit fortir des vapeurs qui formerent le redoutable Typhon. Hefiode, fans avoir (1). Theog. recours au reffentiment de Junon, dit (1) feulement que ce Géant étoit fils du Tartare & de la Terre. La plupart des Poëtes Latins, ont copié les Grecs. Manilius s'exprime, ainsi : (2) Liv. 2. • merito Typhonis habentur Horrenda fedes, quem Tellus fæva profudir Ovide ne s'éloigne gueres de cette opinion, lorfqu'il fait fortir D mais encore des monftres qui jufques-là avoient été inconnus. Elle forma contre fon gré le monftrueux Python, ferpent d'une efpece nouvelle, qui devint par la maffe énorme de » fon corps, la terreur des hommes ». Ergo ubi Diluvio tellus lutulenta recenti ; (1) Met. L. 1. Apollodore fait de Typhon le monftre le plus horrible (2). (2) Liv. 1. Il avoit, dit-il, cent têtes, & de fes cent bouches fortoient des flames devorantes, & des hurlemens fi horribles, qu'il effrayoit également les hommes & les Dieux. Son corps, dont la partie fuperieure étoit couverte de plumes, & l'extrêmité entortillée de ferpens, étoit fi grand qu'il touchoit le ciel de fa tête. Il eut, ajoute cet Auteur, pour femme Echidne, & pour enfans, la Gorgone, Geryon, le Cerbere, l'Hydre de Lerne, le Sphinx, & l'Aigle qui devoroit le malheureux Promethée ; en un mot, tout ce qu'il y avoit de plus monftrueux dans le pays des Fables (a). Typhon, ajoute Hygin (3), ne (3) Fab. 152. fut pas plûtôt forti de terre, qu'il refolut de declarer la guerre aux Dieux, & de venger les Géants terraffés: car il faut bien diftinguer la guerre des Géants, de celle de Typhon, que quelques Auteurs confondent, contre l'opinion d'Apollodore, qui ne fait naître Typhon qu'après leur defaite (4). Pour cela il s'avança contre le ciel, & épouvanta fi fort les Dieux par fon horrible figure, qu'ils prirent tous la fuite. L'Egypte leur parut propre pour se derober aux pourfuites de ce redoutable ennemi; mais comme il ne leur donnoit aucun relâche, ils furent obligés de prendre la figure de differens animaux. Jupiter fe changea en belier, Apollon en corbeau, Bacchus en fe (a) Hefiode, qui dans fa Theogonie diftingue Typhoé d'avec Typhon, fait dur premier à peu près le même portrait, & dit que de lui fortirent les Orages. Puis parlant de Typhon, il dit qu'il fut marié avec Echidne, dans les antres de la Syrie, & qu'il en eut les enfans que je viens de nommer. (4) Apollod. Hefiode, Ovir de (t) Met, L. s. (2) Liv. 4. bouc, Diane en chatte, Junon en vache, Venus en poisson, & Mercure en cygne. Duxque gregis fit Jupiter, &c. Delius in corvo, proles Semeleia capro, Fele foror Phabi, niveâ Saturnia vaccâ, Manilius confirme la même chose à l'égard de Venus & HECA BLOTH BO Scilicet in pifcem fefe Cytherea novavit, Anguipedem alatis humeris Typhona furentem, Jupiter, continue Apollodore, ayant repris courage, lança Telles font les fables que les Poëtes & les Hiftoriens ont publiées à l'envi les uns des autres au fujet de Typhon. Ce (3) In Ifide. que Plutarque (3) & Diodore (4) nous apprennent fur ce fait, (4) Liv. 1. eft fans doute plus hiftorique; mais ces deux Auteurs n'ont pas laiffé, felon le genie de leur Nation, de mêler encore dans ce qu'ils rapportent plufieurs fictions ridicules; & d'ail A leurs peu exacts dans la Chronologie, & ne fachant que fort Les Auteurs modernes ont debité à ce fujet des conjectures Voffius appuie fon fentiment, 1°. fur la reffemblance des (is des nomsdeux Géants; car, dit-il, celui de Typhon vient de Tú∞,uro, accendo, & celui de Og, fignifie uffit, uftulavit. 2° sur ce que les Poëtes ont connu ce lit du Roi de Bafan, & ont dit que c'étoit celui de Typhon, à quoi Virgile femble faire allufion dans le neuviéme Livre de l'Eneïde, dans ces mots durumque cubile; mais il est évident que ce Poëte ne parle en cet endroit que de la maniere dont cet infortuné Géant eft accablé fous une montagne, conformement aux idées des autres Poëtes. Ovide s'exprime ainsi (4): Vafta Giganteis ingefta eft infula membris Trinacris, & magnis fubjeclum molibus urget Sa troifiéme raifon eft tirée du lieu de la défaite de ces deux (1) De Idol. L. 1. 26. (2) Deut. 3. 13. (3) Num. 4. (4) Met. L. 5. Bochart (5) s'eft imaginé que Typhon étoit le même qu'En- (s) Chan. celade, fondé fur ce que les Poëtes les nomment indifferemment l'un pour l'autre, & les font perir tous deux de la même maniere dans l'lfle de Sicile; mais il reftera toujours à fçavoir quel étoit cet Encelade. Il y a des Auteurs qui ont dit que Typhon étoit Roi de Sicile; fur quoi on peut confulter Bo(1) Gen. des cace (1), qui cite pour cela Theodontius dont les Ecrits font perdus. Il y en a eu auffi qui ont cru qu'il étoit le même qu'Efau, & ils ne manquent pas de trouver de la conformité Dieux. entr'eux. ; M. Huet, toujours porté à croire que Moyfe étoit le feul objet de toutes les fables des Poëtes, n'a pas manqué de prouver (3) Demonft. fort au long (2), que Typhon étoit le même que le Legiflateur Ev. Prop. 4. des Hebreux, devenu extrêmement odieux aux Egyptiens, par la perte de leurs fils aînés ; mais fans entrer dans la difcuffion d'un parallele dont la plupart des chefs semblent peu naturels, il fuffit de faire remarquer que Typhon & Ofiris font beaucoup plus anciens que Moyfe ; & que l'Idolâtrie des boœufs Apis & Mnevis, confacrés à ce dernier, étoit repandue en Egypte avant que les Ifraelites y entraffent, puifque ce fut fur ce modele, au rapport de Selden, qu'Aaron fit le Veau d'or, les Juifs adorerent dans le defert. que Pour établir maintenant mon opinion au fujet de Typhon, il eft für d'abord par ce qui nous refte de plus inconteftable de l'Antiquité profane, comme on peut le voir furtout dans Diodore & dans Plutarque, que la fable que j'explique eft Egyptienne, & je fuis fort du fentiment de M. l'Abbé Sevin, au fujet d'Ofiris, que je crois avec lui, être le même que Menès ou Mefraïm. Comme les folides raifons qu'il employe pour prouver cet article, font connues de tous ceux qui ont P lû fa Differtation, je fuis difpenfé de les rapporter ici : j'en ajoute feulement une qui lui a échappé. C'eft que le bœuf Mnevis, confacré au Soleil dont Ofiris étoit le symbole, femble faire allufion au nom de cet ancien Roi, appellé ou (3) De Anim. Menès, ou Menas, ou Mneus; Alien même (3) nomme ce bœuf, μeves, ce qui ne laiffe aucun lieu de douter qu'il toit le nom du Roi auquel il étoit confacré; & ce Roi étant XXX Ofiris, comme tout le monde en convient, il eft évident qu'Ofiris & Menès, ne font qu'une même perfonne. Mais je ne fuis pas de fon avis au fujet de Typhon, qu'il dit être le même que Chus, & je croirois plus volontiers qu'il |