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étoit ce frere d'Ofiris que Plutarque, fur l'autorité de Manethon, appelle Sebon. Ce Prince peu content d'Ofiris qui l'avoit confiné dans la baffe Egypte, aux environs de Pelufe, vers les extrêmités du Delta, conçut contre lui une haine qui dura jufqu'à ce qu'il lui eût ôté la vie, de la maniere que Plutarque le raconte.

On ne fçait pas trop de quelle forte mourut Typhon, mais foit qu'il fe fût noyé dans le marais du Lac Serbonide, où Herodote dit que les Egyptiens publioient qu'il fe tenoit caché (1), ou qu'il mourut dans le combat que lui avoit livré (1) Liv. 3. Orus fon neveu, ainfi que je l'ai dit, les Prêtres Egyptiens publierent dans la fuite que les Dieux eux-mêmes avoient eu foin de la vengeance d'Ofiris, & avoient fait perir d'un coup de foudre fon cruel perfecuteur. C'est pour cela que la ville d'Heropolis, près du Lac Serbonide, s'appelloit, fi nous en croyons. Stephanus, dont je citerai les paroles plus bas, la Ville du fang, parce que c'étoit-là que le Tyran avoit été frappé de la foudre: de-là la fable mysterieuse de Typhon englouti dans un tourbillon de feu. Il y a bien de l'apparence que, Typhon, n'étoit que le furnom du Prince dont je parle, & qu'il ne lui fut donné dans la fuite, que pour faire allusion à la tradition qui portoit qu'il avoit été confumé par le feu, comme je le ferai voir, en tirant de ce nom les étymologies les plus naturelles.

Ainfi perit le cruel Tyran de l'Egypte, qu'il laiffa par fa mort au jeune Orus, fous la Regence d'Ifis fa mere. Sans entrer ici dans les caufes de la haine irreconciliable des deux freres, dont les Egyptiens racontent tant de circonftances, ainfi qu'on peut le voir dans le Pere Kirker (2), il y a bien de (2) Oedip. Egypt. l'apparence que l'ambition d'un Prince fier & turbulent y eut beaucoup de part; mais il eft bon de fçavoir auffi que l'amour fe mêla de la partie. On prétend qu'Ofiris vivoit trop familierement avec Nepthé, femme de Typhon, ce qui lui donna beaucoup de jaloufie; mais Julius Firmicus affure que c'étoit Typhon lui-même qui étoit amoureux d'Ifis; & fi l'autorité de Plutarque, qui nous represente cette Reine comme le modele de l'amour conjugal qu'elle pouffa enfin jusqu'à l'idolâtrie la plus extravagante & la plus outrée, doit l'emporter de

beaucoup fur Julius Firmicus, qui fans doute n'a pas le même credit dans les affaires de l'Antiquité; je trouve d'un autre côté que l'Hiftorien Grec peut fournir à Firmicus deux preuves affez fortes de fon fentiment. La premiere, eft qu'il affûre que pendant l'absence d'Ofiris, qui fut très-longue, Typhon n'excita aucun trouble dans l'Etat. Ambitieux comme il étoit, n'auroit-il pas profité d'une circonftance fi favorable, fi l'amour ne l'avoit retenu ? La deuxième, c'eft que le même Plutarque dit que Typhon ayant été fait prifonnier été fait prifonnier de guerre dans une (1) Loc. cit. bataille (1), & qu'Orus l'ayant livré à fa mere chargé de chaînes, elle lui rendit la liberté ; ce qui irrita fi fort le jeune Prince, qu'il lui arracha fon Diadéme, au lieu duquel Mercure fon confident lui en mit un autre circonstances qui prouvent deux chofes ; la premiere, qu'Ifis aimoit certainement Typhon. Peut-on concevoir qu'elle eût redonné la liberté au meurtrier de fon époux, fi elle n'eût eu pour lui un violent amour? La feconde, que la qualité de confident, pour ne pas dire quelque chofe de pis, que les Poëtes ont dans la fuite donnée à Mercure, fils de Maïa, convenoit à ce premier Mercure Egyptien, qui étoit, felon Diodore, le confident de cette Reine.

Quoiqu'il en foit, il eft aifé d'abord de decouvrir les principaux fondemens des fables qu'on a jointes à cette Hiftoire. Comme Typhon avoit perfecuté Ofiris, dont le regne avoit fair fleurir les beaux Arts, & étoit un modele de juftice & de clemence ; & que celui de Typhon n'avoit été qu'un tissu de crimes & de cruautés, les Egyptiens n'oublierent rien pour rendre odieufe la memoire de ce dernier, dont ils ne parloient que comme d'un monftre. Mais c'eft vainement qu'ils ont obfcurci deur 'ancienne tradition ; la verité perce à travers les fables qu'ils y ont mêlées. En effet, par les cent têtes qu'ils donnoient à Typhon, ils nous apprennent de quelle forte il avoit fçu conduire fes pernicieux deffeins, & combien il avoit fçu attirer dans fon parti de grands & de puiffans Perfonnages; c'eft-à-dire, les premieres & les meilleures têtes de toute l'Egypte. Le nombre de fes mains exprimoit fans doute fa force & celle de fes Troupes : les Serpens qui étoient au bout de fes doigts & de fes cuiffes, faifoient connoître sa

foupleffe & fon adreffe. Son corps couvert de plumes & d'écailles, marquoit également & la rapidité de fes conquê tes, & fa force invincible. Par l'énormité de fa taille, & la longueur de fes bras, qui s'étendoient, difoit-on, aux deux bouts du monde, on vouloit apprendre à la pofterité qu'il avoit pouffé ses conquêtes jufque aux extrêmités de l'Egypte, & que fon pouvoir n'avoit point de bornes : par les nuages qui environnoient fa tête, qu'il n'avoit cherché pendant toute fa vie qu'à brouiller l'Etat ; & par le feu qui fortoit de sa bouche, qu'il portoit le ravage partout où il paffoit. C'eft pour cela qu'à Cynopolis on le reprefentoit quelquefois fous la figure d'un loup: & quoique Strabon, qui parle du culte que cette ville rendoit à cet animal, n'en dife pas la raifon, il y a bien de l'apparence que c'étoit pour appaifer Typhon, que Plutarque dit (1) avoir été changé en loup; mais il étoit plus (1) In Ifid. fouvent reprefenté fous la figure d'un Crocodile, à caufe de fa reffemblance avec cet animal, également redoutable par fes artifices & pár fa cruauté ; ou fous celle d'un Hippopotame; ce qui fait dire à Plutarque (2), que les Egyptiens confacroient (2) In Ifid. à Typhon le plus ftupide des animaux, qui eft l'âne; & les deux plus feroces, le Crocodile & l'Hippopotame (a).

Cette tradition des Egyptiens n'a pas été ignorée des Grecs, & je prétends que toutes les fables qu'ils ont publiées de leur Typhon ou de Python, doivent s'y rapporter. Car, premierement, qu'a voulu dire Ovide par le Serpent Python, forti des boues du Deluge & tué par Apollon, qui épuifa prefque fon carquois fur ce monftre?

Hunc Deus arcitenens, &c.

Mille gravem telis, exhaustâ penè pharetrâ›
Perdidit effufo per vulnera nigra veneno (3).

Ne fait-il pas une allusion visible à Typhon, dont le nom eft
le même par une fimple tranfpofition? S'il en fait un Serpent
monftrueux, Typhon n'étoit-il representé fous cette figure?

(a) Elien nous apprend que Typhon s'étoit metamorphofé en Crocodile; & que c'étoit fur cette tradition que les habitans d'Heliopolis avoient en horreur cet animal. de Anim. L. 10. c. 21.

(3) Met. L. 1.

1

fans avoir recours, avec Bochart, au mot Pethen, qui dans la Langue Hebraïque veut dire un Serpent. Si le même Poëte le fait fortir des bouës du Deluge, ne marque-t'il pas par-là les mauvaises exhalaifons qui s'élevent en Egypte lorfque les eaux du Nil fe font retirées ? Enfin s'il dit qu'Apollon le tua à coups de fléches, ne cache-t'il pas fous cet emblême la victoire d'Orus fur Typhon, ou du moins le triomphe des rayons du Soleil fur les mauvaises exhalaisons de l'Egypte?

Secondement, fi les Poëtes Grecs mettent Typhon à la tête des Geants dans la guerre qu'ils declarerent aux Dieux, ne font-ils pas une allufion manifefte aux perfecutions de ce Prince contre fon frere, qui a toujours été regardé comme la grande Divinité de l'Egypte? S'ils font fuir tous les Dieux dans ce Royaume, où pour fe dérober aux poursuites de ce monftrueux Geant, ils font obligés de fe cacher sous la figure de plufieurs animaux, ne veulent-ils pas dire que les Grands, & les Satrapes d'Egypte, qui étoient du parti d'Ofiris, voyant ce Prince mort, fe cacherent dans les antres les plus reculés, ou perirent la plûpart par les armes des conjurés? Les figures que les Poëtes leur font prendre, marquent peut-être qu'Ŏfiris ayant partagé fon armée en differens corps, leur avoit donné pour Enfeignes les figures de ces animaux, ainsi que nous (1) De If.& l'apprenons de Plutarque (1).

of.

(2) Liv. 1.

Troifiémement, que veut dire Apollodore (2), lorsqu'il raconte fi myfterieufement que Mercure & Pan redonnerent à Jupiter les mains & les pieds que Typhon lui avoit coupés? (2) Liv. 2. fi non que ces deux Princes, que Diodore (3) reconnoît avoir vécu fous le regne d'Ofiris, & dont il parle comme de deux perfonnes extrêmement fages, retablirent par Ieur prudence, fes affaires qui étoient en très-mauvais état; lui regagnerent les Troupes que fon frere lui avoit débauchées, & raffermirent en lui trouvant de l'argent, qui eft le nerf de la guerre, fon parti chancelant.

Quatrièmement, quoique les Poëtes & les Hiftoriens Grecs faffent perir Typhon en differens lieux, & hors de l'Egypte où il eft für qu'il eft mort, on voit par les circonftances qu'ils y joignent, qu'ils fuivent la tradition de ce Peuple, par laquelle on apprend qu'il fut tué d'un coup de foudre, ou, ce

(1) Iliad. 6.

qui revient au même, qu'il fut englouti dans un tourbillon de feu. Homere (1) dit que ce Geant perit iv Apios: la terre, dit ce Poëte, retentiffoit fous leurs pieds, comme lorfque Jupiter irrité lance fes foudres fur le mont qui couvre Typhoeus dans le pays des Arimes, où l'on dit qu'est le tombeau de ce Geant. Madame Dacier (2) prétend que par ce mot v A'fíuos, Homere (2) Note, fur a voulu parler de l'Ifle Enaria, ou Pithecufe, dans la mer cet endroit. de Tofcane ; & c'eft, felon elle, ce que veut dire aussi Virgile dans ces vers :

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(3) Æn. L. 9.

Mais ce Poëte s'eft certainement trompé en voulant imiter trop fervilement Homere, & ne faifant qu'un feul mot d'Inarime. Les Sçavans font partagés fur la situation du pays des Ariméens ; il y en a qui, au rapport de Strabon (4), les pla- (4) Liv. 12. cent dans la Phrygie, d'autres dans la Cilicie; mais il eft certain que ce mot ne doit s'entendre que de la Syrie ; & Strabon qui eft de ce fentiment rapporte un fragment de Poffidonius (5) qui dit que ce n'eft ni de la Cilicie, ni d'aucun (5) Liv. 16. autre Pays, qu'Homere veut parler en cet endroit, mais de la Syrie même, habitée par les Ariméens que les Grecs appellent, ou Arimens, ou Arimiens, A'pies, A'piμss. Če même Auteur ajoute (6) que Typhon fut frappé de la foudre près d'Antioche, & qu'étant entré dans la terre il en fit fortir fleuve Oronte, qui portoit autrefois le nom de ce monftre. Enfin Jofeph ne laiffe aucun lieu de douter de ce que dit Strabon, puifqu'il affûre qu'Aramus fut pere des Araméens, que les Grecs, dit-il, appellent Syriens.

(6) Liv. 5.

Les autres Poëtes ne s'accordent pas fur le lieu où perit Typhon, mais ils font tous allufion à fa trifte Catastrophe.. En effet, Pindare nous apprend que Jupiter le tenoit enfermé dans les antres du mont Etna (7), où selon Ovide, il vomiffoit (7) Pyth. 1. ces torrens de flammes qui fortent des gouffres de cette mon

tagne.

Degravat Etna caput, fub quá refupinus arenas
Ejectat, flammamque fero vomit ore Typhoeus (8).

(8) Met, L. s.

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