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ya apparence que Thamus avoit été fuborné pour épouvanter l'Empereur ; fi l'on n'aime mieux dire avec Eufebe que cette voix étoit furnaturelle, & que Dieu vouloit par-là apprendre à l'Univers la mort du Messie, arrivée fous le Regne de cet Empereur Romain.

Le culte rendu au bouc, comme reprefentant le Dieu Pan, nous conduit naturellement à un article important de la Religion des Egyptiens au fujet de celui qu'ils rendoient aux animaux. Nous avons deux chofes à examiner : 1°. Quels étoient les animaux pour lefquels les Egyptiens avoient une veneration particuliere ; 2°. Quelle étoit la nature du culte qu'ils leur rendoient.

(1) Juv. Sat.

15.

CHAPITRE II I.

Du Culte rendu aux animaux par les Egyptiens.

UE les Egyptiens ayent honoré les animaux d'un culte public, & autorisé par les Loix du pays, c'est un fait qu'on ne fçauroit revoquer en doute, & qui leur a été tant reproché, que les invectives que leur ont fait à ce fujet les Grecs & les Romains, font connues de tout le monde.

Quis nefcit, Volufi Bithynice, qualia demens
Ægyptus portenta colat (1) ?

Ce même Poëte les infulte fur ce qu'ils n'ofoient manger ni
porreaux ni oignons.

Porrum & cepe nefas violare, & frangere morfu (a).
O fanétas gentes quibus hæc nafcuntur in hortis
Numina (2) !

Lucien s'eft fouvent mocqué dans fes Dialogues, de cette
folle fuperftition. Encore s'il n'y avoit que des Poëtes & des
Auteurs fatyriques qui les euffent raillé fur ce fujet, on pourroit

(4) Pline penfe comme Juvenal. Allium cepafque, dit-il, inter Deos jurejur ando

16.

(2) Id. Sat,

L. 12. C. 5.

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croire qu'ils avoient moins confulté la verité, que le penchant qu'ils avoient à medire; mais les Hiftoriens les plus graves & les plus judicieux leur ont fait les mêmes reproches. Herodote, Diodore de Sicile, & plufieurs autres, parlent des differens animaux qu'honoroient les Egyptiens; comme nous (1) De Anim. le dirons dans la fuite. Elien (1) n'eft entré fur ce fujet dans quelque détail, que pour fe mocquer de cette folle fupersti(2) De I. & tion. Plutarque (2), qui a cherché à excufer les Egyptiens, convient cependant qu'un culte qui a les animaux pour objet, paroît ridicule au premier coup d'œil. Que penfer en effet d'un Peuple dont les Temples étoient remplis des figures de prefque tous les animaux que produifoit leur pays? Quelle autre idée que celle d'un culte veritablement religieux, pouvoit on fe former en voyant ces animaux nourris & logés avec un foin particulier, ainfi que l'étoient le boeuf Apis à Memphis, le Crocodile à Arfinoé, le Chat à Bubafte, le Bouc à Mendès, &c. Ajoutez qu'on embaumoit après leur mort les Oyfeaux & les animaux facrés, pour les mettre dans les Catacombes qui leur étoient deftinées; & on fera contraint de dire avec Ciceron que les Egyptiens avoient plus de refpect & de veneration pour les animaux, que les Romains pour leurs Temples & pour les Statues de leurs Dieux.

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Enfin quand on fçait qu'ils puniffoient de mort ceux qui tuoient quelqu'un des animaux facrés, il eft bien difficile de ne pas croire qu'ils poufferent cette fuperftition jufqu'au dernier excès. Cependant le fait eft certain, & quand nous n'aurions pas l'hiftoire de ce Soldat Romain qui avoit tué un chat, & qu'il fut impoffible d'arracher à la fureur du Peuple qui le maffacra, malgré l'interêt qu'avoit Ptolemée à ménager le Senat, ainfi que le raconte Diodore de Sicile, le temoignage de Moyfe fuffiroit pour le prouver. Ce faint Legislateur, demandant à Pharaon la permiffion d'aller facrifier dans le Defert, lui dit que s'il immoloit dans l'Egypte même des animaux qui y font honorés, on le lapideroit (b).

(a) Firmiores apud Egyptios opiniones effe de beftiis quibusdam, quàm apud Romanos de Janctiffimis Templis & Simulachris Deorum. De Nat. Deor. L. 1.

(b) Quod fi mactaverimus ea quæ colunt Egyptii, coram eis, lapidibus nos obruent. Exod. 8.

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Ainfi Jofeph, difputant contre Apion (1), avoit raifon de (1) Liv. z. lui dire, que fi l'Univers avoit embraffé la Religion Egyptienne, il auroit bien tôt été fans hommes, & tout peuplé d'animaux. Mais pour faire mieux connoître cet article de la Theologie Egyptienne, il faut entrer dans quelque détail.

Nous avons déja vû de quelle maniere les Egyptiens honoroient les Boeufs Apis & Mnevis, fymboles de leur Ofiris; Anubis avec une tête de chien, & Pan fous la figure d'un bouc. On fçait auffi qu'à Arfinoé, ville fituée près du Lac Moris, on avoit un grand refpect pour les Crocodiles, qu'on les nourriffoit avec foin, & qu'après leur mort on les embaumoit, & on les enterroit dans les chambres foûterraines du Labyrinthe: qu'à Bubafte, dans la Baffe-Egypte, les Chats étoient en telle veneration, qu'il étoit défendu fous peine de la vie, de les tuer. Herodote (2) observe à cette occafion que (2) Liv. 2. quand il arrive quelque incendie, les chats font agités d'un c. 66. mouvement divin, & que les Egyptiens qui les gardent, negligent l'incendie pour obferver ce que font alors ces animaux; & il ajoute, que malgré les foins qu'on fe donne pour les retenir, ils s'échapent & vont fe jetter dans le feu. Alors continue cet Auteur, les Egyptiens prennent le deuil, & pleurent la perte qu'ils viennent de faire. Le même Historien remarque encore, que quand un chat meurt de fa mort naturelle, tous ceux de la maifon où cet accident eft arrivé, se rafent les fourcils en figne de trifteffe; & fi c'est un chien qui meurt, ils fe rafent tout le corps & la tête. Le deuil fini, on embaume les chats, & on va les enfevelir à Bubaste.

Le Chien, le Lion, l'Ichneumon, l'Epervier, le Singe, & d'autres animaux encore, étoient l'objet de la veneration du même Peuple ; ce qui fait dire à Herodote, que les Egyptiens regardoient comme facrés, tous les animaux qui naiffoient dans leur Pays; dont le nombre cependant n'étoit pas bien confiderable, quoiqu'ils fuffent voifins de la Libye, qui en produit en fi grande abondance. De - là tant de figures monftrueufes de Divinités Egyptiennes, qu'on trouve dans les Antiquaires, avec des têtes de chat (a), de chien, de loup, de lion, de finge, &c.

(a) Voilà quel étoit en Egypte le Dieu Chat ou Elurus, dont on trouve plufieurs

Une preuve bien certaine du respect & de la veneration qu'on avoit pour les animaux, est que les villes qui les honoroient, en portoient les noms. Telles étoient Bubafte, Mendès, Crocodilopolis (a), Leontopolis, & plufieurs autres, qui étoient ainfi appellées parce qu'elles avoient en finguliere veneration, les Chats, les Boucs, les Crocodiles, les Lions, &c. Plufieurs Nomes portoient dans le même pays les noms des animaux qu'on y honoroit. L'Oxyrinchien étoit ainsi ap pellé à caufe du Poiffon Oxyrinchus; le Lycopolitain, du Loup; le Cynocephale, du Chien, &c. Je ne m'étends pas davantage fur un sujet fi connu ; mais je ne sçaurois me dif(1) Liv. 2. penfer de remarquer avec Herodote (1), que pendant qu'une ville mettoit quelques animaux au rang de fes Dieux, une autre les avoit en abomination: ainfi les Mendefiens qui honoroient le bouc, lui immoloient des brebis, qui étoient l'objet de la veneration des Saïtes, lesquels à leur tour offroient en facrifice des boucs à leur Jupiter Ammon. Les Crocodiles de même fi honorés à Arfinoé, étoient regardés avec horreur dans le refte de l'Egypte, où l'on croyoit que l'ame de Typhon étoit paffée dans cet amphibie. De-là ces guerres de Religion, dont parle Plutarque, d'une Province contre l'autre; effet de la politique d'un ancien Roi d'Egypte, qui comme nous l'apprend Diodore de Sicile, voyant fon Peuple peu docile & porté à la revolte, le diftribua en differentes Préfectures, dans chacune defquelles il établit le culte de quelque animal, & en défendit l'ufage pour la nourriture, afin que chacune de ces Provinces entêtée de fon culte, meprifât celui de fon voisin, & vînt insensiblement à le haïr; ce qui fut la fource d'une infinité de guerres.

On ne peut rien ajouter au foin que prenoient les Egyptiens des animaux facrés. Ils avoient des Parcs publics, où on les entretenoit à grands frais. Ceux qui en avoient soin

reprefentations dans les Antiquaires, tantôt fous la figure de cet animal, ainfi qu'on en voit une dans Frabetti; plus fouvent fous celle d'un homme avec la téte de cet animal, & l'ornement qui accompagne ordinairement celle d'Ofiris ; quelque fois avec un fceptre à la main, qui étoit le fymbole d'Ifis.

(a) Cette ville s'appelloit Arfinoé. Parmi les Crocodiles qu'on y honoroit, les Prêtres en avoient toujours un apprivoilé, qu'ils nommoient Suchus. On l'ornoit d'or & de pierreries; & ceux qui venoient le voir, lui prefentoient du pain & du vin.

les nourriffoient de pâtes fines, delayées dans du lait mêlé avec le miel, de la chair de canard qu'on avoit fait cuire, ou de quelqu'autre mets qui leur étoit propre. On les baignoit & on les parfumoit. Les Loges où ils fe retiroient, étoient également propres & ornées. Lorfque quelqu'un de ces animaux venoit à mourir, après le deuil que prefcrivoit la Loi, on l'embaumoit & on l'enterroit dans les Catacombes. Il arrivoit même souvent que les funerailles de ces animaux excedoient les facultés de ceux que leur emploi deftinoit à les fervir. Diodore de Sicile obferve que ceux qui avoient ce foin, avoient depensé cent talens en une feule année. Au refte ces Gardiens des animaux facrés, étoient bien reçus partout ; & bien-loin de rougir de leur emploi, ils portoient des marques qui caracterifoient les fortes d'animaux qui leur étoient confiés. Quelquefois même on fe mettoit à genoux, lorsqu'on les voyoit paffer.

morts, pour

Ceux qui étoient engagés dans une guerre étrangere, rapportoient à leur retour les chats & d'autres animaux qui étoient leur procurer une fepulture honorable; mais ce qui prouve encore mieux le grand refpect pour les animaux facrés, c'est que dans une extrême famine dont l'Egypte fut affligée, le peuple s'étant porté jufqu'à manger de la chair humaine, perfonne n'ofa toucher à celle de ces animaux.

Mais eft-il poffible qu'un Peuple auffi éclairé & auffi poli que l'étoient les Egyptiens, chez lefquels les plus fçavans hommes de la Grece alloient pour s'inftruire dans la Philofophie & dans les matieres de la Religion; dont les Loix étoient fi fages & fi bien obfervées ; qu'un tel Peuple, dis-je, ait porté la fuperftition jufqu'à adorer les animaux, les infectes, & les plantes de leurs jardins? Ne doit-on pas fe défier des Auteurs qui les ont infultés à cette occafion? Des Etrangers font-ils propres à nous apprendre la Religion d'un Pays, où les Prêtres avoient tant de foin d'en cacher les myfteres? Si les Egyptiens ont eu des Critiques qui les ont tournés en ridicules, ils ont trouvé auffi des Apologiftes qui les ont défendus. Examinons le fond de cette queftion: voyons de quelle nature étoit le culte que l'Egypte rendoit aux animaux, & pefons les raifons qui l'ont portée à les honorer.

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