Imágenes de páginas
PDF
EPUB

ger

:

le monde je ne difconviens pas même des grandes utilités qu'on retire de plufieurs animaux, & je n'ignore pas ce que Voffius, dans fon excellent Traité de l'Idolâtrie, dit à ce fujet; mais cette feule confideration auroit-elle suffi pour érides monftres & des infectes en Divinités ? Défions-nous des Auteurs Grecs & Latins, qui n'étoient pas toujours affez bien inftruits des myfteres Egyptiens, que les Prêtres leur cachoient comme à des profanes que la feule curiofité conduifoit dans leur Pays : ils ne font peut-être pas plus croyables fur ce fujet, que fur les calomnies qu'ils publioient des Juifs, qu'ils accufoient d'adorer le Pourceau dont ils s'abstenoient de manger de la chair; & de rendre leurs respects à la tête d'un Afne, dont ils confervoient, felon eux, dans le Temple de Jerufalem la figure en or massif (a).

Judæus licet & porcinum numen adoret

Et celli fummas advocet auriculas (1).

(1) Petr. Sat.

Tachons de penetrer les myfteres Egyptiens, & voyons fi les figures bizarres de leurs Divinités, qui exciterent les railleries & les mepris de Cambyfe, ne nous laifferont pas entrevoir les veritables raifons du culte qu'ils leur rendoient. Je fuppofe d'abord, que tout culte n'eft pas un culte religieux, & que tout culte religieux n'eft pas un culte de latrie; & je ne crois pas qu'il foit neceffaire d'établir ici cette distinction', dont on convient affez. Cela étant, je crois que le culte que les Prêtres Egyptiens rendoient aux animaux, étoit purement relatif, & qu'il fe rapportoit aux Divinités dont ils étoient les fymboles. Mais pour faire voir que je n'avance pas cette propofition fans fondement, il faut la prouver par des temoigna ges inconteftables. On fçait que le bœuf Apis étoit parmi les Egyptiens le fymbole d'Oliris, & qu'Ofiris lui-même étoit le Soleil : de-là l'adoration des Boeufs Mnevis & Apis, dont le premier étoit confacré au Soleil, & l'autre à la Lune (b), qui étoient les grandes Divinités de ce Pays-là (2). Herodote recher- (2) C'est-àchant la raifon pourquoi les Egyptiens reprefentoient Jupiter

(a) Voyez Jofeph contre Apion, Tacite, Plutarque, Suidas, &ic. (b) Porphyre, Alien, Amm. Marcell. & autres.

dire d'Ifis & d'Ofiris.

(1) De Ifide.

avec une tête de Belier, prétend que c'eft parce que ce Dieu apparut fous cette forme à Hercule, qui avoit envie de le voir. Le même Auteur parlant du culte que les habitans de Mendès rendoient à Pan, dit qu'ils le reprefentoient fous la figure d'un Bouc, pour des raifons myfterieuses, quoiqu'ils fçuffent bien qu'il étoit femblable aux autres Dieux. Diodore de Sicile decouvre ce myftere, qu'Herodote n'avoit pas apparemment voulu developper: c'eft que par le fymbole de cet animal le peuple adoroit le principe de la fecondité de toute la nature, qui étoit reprefenté par le Dieu Pan. Voilà donc Ofiris & Ifis, Jupiter & Pan, & non pas les Boeufs, les Beliers & les Boucs qui étoient les veritables objets du culte des habitans de Memphis, d'Heliopolis, de Thebes & de Mendès.

Plutarque (1) remarque judicieufement que la vigilance ordinaire aux chiens, porta les Egyptiens à les confacrer au plus rufé & au plus vigilant de tous les Dieux ; ou, ce qui revient au même, on ne peignoit Mercure, avec une tête de chien, comme le dit Servius, que parce qu'il n'eft point d'animal plus vigilant (a). On voit par cet exemple la veritable raifon du dogme de la confecration des animaux, & que ce n'étoit pas à eux, mais aux Dieux qu'ils reprefentoient, que fe terminoit le culte religieux dont nous parlons. Herodote decide la quef(2) Liv. 2. tion, lorsqu'il dit (2), » que les Egyptiens offroient leurs vœux à ces animaux, en adreffant leurs prieres aux Dieux à qui ils étoient confacrés »; & fi l'on veut fçavoir quels étoient ces vœux qui s'adreffoient aux animaux, ce judicieux Auteur nous l'apprend, en difant que c'étoit une offrande d'argent qu'on leur donnoit pour leur nourriture. Diodore de Sicile dit la même chofe, & explique plus nettement ce (3) Liv. 1. myftere (3). Les Egyptiens, dit-il, offroient aux Dieux des voeux pour la guerifon de leurs enfans malades ; & lorfqu'ils étoient hors de danger, ils les conduifoient dans le Temple, & leur ayant coupé les cheveux, ils les mettoient » dans une balance avec une fomme d'argent de même poids, qu'ils donnoient à ceux qui avoient foin de nourrir les animaux facrés ».

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

(a) Ait Servius in octavum Æneidos.

Lucain, après s'être mocqué des Egyptiens qui fervirent, dit-il, plufieurs de leurs Dieux fur la table de Cefar (a), ajoute cependant que les Prêtres interrogés par ce Prince fur le culte qu'ils rendoient à ces animaux, lui firent entendre qu'ils honoroient en eux la Divinité dont ils étoient les fymboles. Auffi quand nous apprenons qu'ils plaçoient dans leurs Temples parmi toutes leurs Idoles celle d'Harpocrate, avec le doigt fur la bouche, nous voyons évidemment qu'ils y renfermoient des myfteres qu'il n'étoit pas permis à tout le monde de pénetrer, & qu'il falloit les mediter en filence.

[ocr errors]
[ocr errors]

Mais pourquoi avoir choisi des animaux pour reprefenter les Dieux ? Quelles furent les raifons de la preference qu'on donna à quelques-uns d'eux ? Plutarque repond en general (1), (1) De Ifide. » que c'est à caufe du rapport qu'ont ces animaux avec la Divinité qu'ils reprefentent: car, pour me fervir de fa comparaifon, l'image de Dieu éclate dans quelques-uns, comme celle du Soleil dans les gouttes d'eau qui font frappées de fes rayons: ainfi le Crocodile n'ayant point de langue, > eft confideré comme le fymbole de la Divinité, qui fans proferer une feule parole, imprime les Loix de l'équité » & de la fageffe dans le filence de nos cœurs. En effet, ajoute ce fçavant Auteur, fi on a trouvé bon que des nombres, qui n'ont ni corps ni ame, ayent été regardés par les Pythagoriciens, comme les types de la Divinité, n'est-il pas plus raifonnable que des Etres qui en font doués, foient confiderés comme des images dans lesquelles elle a voulu fe faire voir à nos yeux ? Et fi toute la nature n'eft elle-même qu'un miroir, dans lequel le Soleil de la Divinité fe peint avec fes differens attributs, cela n'eft-il pas encore plus vrai des creatures animées ; & y eut-il de Statue, quelque excellente qu'elle foit, qui reprefente mieux l'Etre Souverain, que le moindre corps organisé » ?

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

A cette excellente raifon de Plutarque, j'en joindrai quatre autres, que je tire de l'Aftrologie, de l'Hiftoire, de la Theologie des Egyptiens, & de l'utilité que l'Egypte tiroir de quelques animaux.

Non mandante fame, multos volucrefque ferafque

[ocr errors]
[ocr errors]

Lucien (a), après avoir dit que les Egyptiens avoient » mesuré le cours de chaque Aftre, & divifé l'année en mois » & en saisons, la reglant fur le cours du Soleil, & les mois fur celui de la Lune, ajoute qu'ayant partagé le ciel en douze parties, ils avoient representé chaque Constellation par la figure de quelque animal ». Voilà donc d'abord les douze fignes du Zodiaque representés par autant d'animaux, fubftitués à la place des Aftres, qui étoient, comme je l'ai dit, les premieres Divinités du monde idolâtre. Ce même Auteur dit enfuite, » Que les Egyptiens reveroient le Bœuf Apis en memoire du Taureau celeste, & que dans POracle qui lui étoit confacré, on tiroit les prédictions de la » nature de ce Signe, comme les Afriquains de celle du Belier, en memoire de Jupiter Ammon qu'ils adoroient sous cette figure ». C'étoient donc les Aftres qu'on adoroit réellement, & fi on rendoit un culte religieux aux animaux qui les reprefentoient, ce n'étoit qu'un culte relatif.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Il eft vrai que le Peuple ne portoit pas toujours fa vûe jusques dans le ciel, pour y adorer ces premiers Dieux, & que fon culte fe terminoit fouvent aux fymboles; mais ce n'eft pas de la Religion du Peuple qu'il eft queftion, c'eft de celle des Prêtres & des Sages d'Egypte : & je ne crois pas qu'il y eût de Religion dans le monde qui fût exempte de reproche, fi l'on n'avoit égard qu'aux pratiques populaires, qui ne font fouvent qu'une fuperftition peu éclairée. La feconde raison est tirée de l'Hiftoire ancienne d'Egypte, qui nous apprend, comme nous l'avons déja dit, que les Dieux pourfuivis autrefois par Typhon, s'étoient cachés fous les figures de differens animaux, ainfi que nous le lifons dans Ŏvide, dans Manilius & dans Diodore de Sicile. Rien n'étoit plus propre à fonder le culte dont nous parlons, que cette Hiftoire; car foit qu'on crût que veritablement les Grands & les Princes du parti d'Ofiris que Typhon fon frere perfecutoit, avoient été dans la fuite mis au rang des Dieux, ou plûtôt que ce paffage mysterieux des Dieux dans le corps des animaux, étoit une allegorie ingenieufe, par laquelle on enfeignoit que les Dieux celeftes venoient quelquefois habiter dans ces fymboles qui (a) Traité de l'Aftrologie Judiciaire.

les

les reprefentoient, on étoit toujours obligé d'avoir pour les animaux un grand refpect, crainte de violer l'asyle facré de la Divinité même.

La feule objection raisonnable qu'on puiffe faire contre cette conjecture, eft que cette fable eft Grecque d'origine, & que ce n'eft que des Auteurs Grecs & Latins que nous l'avons apprife mais fans dire ici que la plupart des fables de ces deux Peuples venoient d'Egypte, comme je l'ai prouvé, & qu'en particulier celle du combat des Geants, n'eft qu'une tradition defigurée de l'Hiftoire de Typhon & d'Ofiris, ne voit-on pas en Egypte des monumens plus anciens que les fables des Grecs ; des villes fondées, un culte public, établi à l'honneur des mêmes animaux dont on nous dit que ces Dieux avoient pris les figures? Car enfin, fi Ovide publie que Jupiter avoit emprunté celle d'un Belier (1):

Duxque gregis fit Jupiter, unde recurvis

Nunc quoque formatur Libys & cum cornibus Ammon,

Ne l'adoroit-on pas fous cette forme dans le Temple fameux qu'il avoit dans la Libye? Que Diane s'étoit revêtue de celle d'une chatte, Fele foror Phabi, la ville de Bubafte, dont le nom, felon Stephanus étoit celui de cette Déeffe, & dans laquelle on adoroit les chats, n'étoit-elle pas un monument autentique de cette tradition? Que Bacchus, ou felon d'autres, Pan, prit la figure d'un Bouc; Proles Semeleia Capro. La ville de Mendès n'en rend-t'elle pas un temoignage affûré? que Junon, ou Ifis, avoit pris la forme d'une Vache; nived Saturnia vacca: n'étoit-elle pas honorée à Memphis fous le fymbole de cet animal? Que Venus s'étoit cachée fous les écailles d'un Poiffon; Pifce Venus latuit, ou comme dit Manilius (2),

Inferuitque fuos fquammofis pifcibus ignes.

Les Syriens ne s'abftinrent-ils pas pour cette raifon de manger du Poiffon? Enfin, que Mercure avoit pris la figure d'un Ibis; Cyllenius Ibidis alis ignore-t'on le culte que Les Egyptiens rendoient à cet Oifeau? Croira-t'on que les Egyptiens

(1) Met. L. 5.

(2) Aftur. L. 4.

« AnteriorContinuar »