le Nil dans une certaine faifon de l'année, depuis le Caire jufqu'à Rofette, avec une fi grande affluence de monde, que le fleuve reffemble à une ville flotante (a). Les Inftrumens de mufique, les Hôtelleries, & les injures qu'on dit à ceux qui font fur les bords du Nil, tout y reffemble à l'ancienne Fête de Bubafte. Mais rien ne fut jamais fi magnifique, fi pompeux, que la Proceffion folemnelle faite par l'ordre de Ptolemée, dont on trouve la defcription dans Theocrite, & dans Athenée, qui l'a tirée d'un ancien Auteur. A la Fête de Bufiris qu'on celebroit à l'honneur d'Ifis, les Sacrifices étoient fuivis d'une flagellation dont les hommes & les femmes ne s'exemptoient pas; mais c'étoient fur-tout les Cariens qui habitoient en Egypte, qui fe donnoient le fouet avec plus de courage, & ils ajoutoient même à cette ceremonie, celle de fe percer le front avec la pointe d'une épée. Ce qui diftinguoit la fête de Minerve à Saïs, étoit le grand nombre de lampes qu'on y allumoit pendant la nuit ; & ceux qui ne pouvoient affifter à cette fête, en allumoient chez eux. La Fête d'Heliopolis & celle de Butès, n'avoient pour toutes Ceremonies que les Sacrifices qu'on y offroit au Soleil & à Latone. Mais celle qu'on celebroit à Pampremis en l'honneur de Mars, étoit accompagnée d'une fingularité remarquable. Les Prêtres portoient fur un char à quatre roues la Statue de ce Dieu, qui étoit enfermée dans une petite chapelle de bois doré ; & dans le temps qu'ils s'efforçoient de faire entrer le char & la Statue dans le Temple de cette Divinité, des hommes armés de maffues fe prefentoient pour l'empêcher: & comme les Prêtres qui accompagnoient la Proceffion avoient auffi leurs armes, il fe livroit un combat, où narurellement il devoir perir beaucoup de monde. Les Egyptiens affuroient cependant que perfonne ne mouroit des coups qu'on recevoit en cette occafion. Les Egyptiens avoient encore plufieurs fortes de Proceffions, mais moins folemnelles que celles que je viens de décrire. Macrobe (1) nous apprend qu'on promenoit fur un (1) Sat. L. brancard, le Jupiter d'Heliopolis, porté fur les épaules des hommes, à peu près comme les Romains portoient leurs Dieux dans la pompe des Jeux du Cirque, & comme nous portons dans de pareilles occafions les Chaffes de nos Saints. Les Hebreux qui prirent des Egyptiens le funefte penchant qu'ils avoient pour l'idolâtrie, ne les imiterent que trop fouvent, non feulement dans la folemnité du Veau d'or, ainsi que nous l'avons dit, mais encore dans l'ufage de leurs Proceffions. Le Prophete Amos leur reproche d'avoir porté dans le Defert la Tente du Dieu Moloch, l'Image de leur Idole, & l'Etoile du Dieu Rempham (a). Saint Etienne, dans les (1) Chap. 7. Actes des Apotres (1), leur fait à peu près le même reproche. Voilà des Dieux portés en ceremonie, logés dans une tente; des figures d'Aftre, & une Divinité reconnue pour le Roi de ceux qui l'adoroient; c'est-à-dire, les Dieux d'Egypte, le Soleil ou Ofiris, & les autres que ce Peuple fuperftitieux croyoit les avoir delivrés de la fervitude, & qui difoit : Voilà tes (2) Ex. 32. Dieux, qui t'ont tiré d'Egypte (2). T. 43. Eul. Præp. L. 1. n. 10. Plufieurs autres Peuples pratiquoient les mêmes Ceremonies, foit qu'ils les euffent apprifes des Egyptiens, comme il y a beaucoup de vraisemblance, foit qu'ils les euffent inventées eux-mêmes. Philon de Byblos, en parlant d'Agrotès fameuse Divinité des Pheniciens, raconte au rapport d'Eu(3) Apud. febe (3), qu'on la portoit en Proceffion dans une Niche couverte, fur un chariot trainé par des animaux. Servius (4) nous ap(4) Ad 6. En. prend que les Carthaginois avoient des Dieux representés par des Simulacres fort petits, qu'ils portoient dans des chariots couverts, & qui rendoient des Oracles par le mouvement (5) Liv. 4. qu'ils imprimoient à leur voiture. Quinte-Curce (5) affure, (6) Chap. des ainfi que nous l'avons dit ailleurs (6), que l'Oracle de Jupiter Hammon fe rendoit à peu près de la même maniere. Les an(7) De Mor. ciens Germains, au rapport de Tacite (7), avoient une Déesse qui refidoit dans un bois facré d'une Ifle de l'Ocean, & cet Auteur ajoute qu'il y avoit dans ce même bois un chariot couvert, dont perfonne n'ofoir approcher que fon Sacrifica Oracles. German. . (a) Le texte Hebreux dit, » Vous avez porté les Tentes de votre Roi, & la baze » de vos figures, l'étoile de vos Dieux: ou, fuivant un autre Leçon, Chium votre image, & l'Aftre votre Dieu que vous vous etes faits. Amos. Ch. 26. teur. teur. Ce Prêtre obfervoit le temps que la Déeffe y entroit, & alors il accompagnoit avec un grand refpect cette Litiere, tirée par deux Geniffes, dans la Proceffion qui fe faifoit à cette occafion. Tacite dit encore que partout où paffoit le chariot, la Déeffe étoit reçue avec des fêtes & des rejouissances publiques; qu'après la Proceffion la Déeffe rentroit dans fon bois, comme fatiguée du commerce des mortels; & qu'alors le chariot, le voile qui le couvroit, & la Déeffe elle-même,' étoient plongés dans un lac, & lavés par des Efclaves qu'on noyoit après cette Ceremonie. Sulpice Severe dit que les Payfans Gaulois avoient coutume de porter leurs Dieux par la campagne, couverts d'un voile blanc. Simulachra Dæmonum candido tuta velamine, miferâ per agros fuos circumferre dementiâ. CHAPITRE VI I. Explication de la Table Ifiaque UOIQUE CE Monument foit plus du reffort des Antiquaires que des Mythologues, je crois devoir le faire connoître en peu de mots, parce qu'on y trouve Ifis & Ofiris, & prefque tous les autres Dieux d'Egypte avec leurs fymboles. Ainfi l'explication que je vais en donner fervira à faire entendre ce que nous en avons dit. La Table Ifiaque, ainsi nommée parce qu'elle paroît renfermer les myfteres d'Ifis, étoit une grande plaque de cuivre, gravée au premier burin & affez groffierement, fur laquelle étoient representés prefque tous les Dieux de l'Egypte ; mais furtout Ifis & Oliris, qui y font repetés plufieurs fois avec tous leurs fymboles. Sur ce fond de cuivre, ou de bronze, étoit un émail noir, entremêlé avec art de petites bandes d'argent. Lorsqu'en 1525. le Connétable de Bourbon prit la ville de Rome, un Serrurier l'acheta de quelque foldat, & la vendit enfuite au Cardinal Bembo, après la mort duquel elle paffa au Duc de Mantoue; & fut perdue enfin, fans qu'on ait jamais pu en apprendre aucune nouvelle, lorfqu'en 1630. les Imperiaux fe rendirent maîtres de cette ville. Heureufement elle avoit été gravée dans toute fa grandeur, & avec toute l'exactitude poffible par Enée Vico de Parme. Cette efpece de Tableau étoit divifé en trois bandes horisontales, dans chacune defquelles étoient differentes feparations, qui contenoient differentes actions. Ces compartimens font comme differens cartouches, diftingués quelquefois par de fimples traits feulement, mais plus fouvent par une bande affez large, qui eft remplie d'hieroglyphes, c'est-à-dire, de cette écriture mysterieufe, confacrée par les anciens Egyptiens aux myfteres de la Religion. Les quatre côtés de la Table étoient fermés par une bordure remplie comme le fond, de plufieurs figures de Dieux Egyptiens, & d'un grand nombre d'hieroglyphes. Cette Table reprefente-t'elle feulement les myfteres d'Ifis, dont la figure pofée dans une espece de niche, en occupe le milieu ? ou contient-elle les principaux points de la Theologie des Egyptiens, puifque tous leurs Dieux y font reprefentés ? c'est ce qu'on ne fçauroit decider. Tout y paroît mysterieux & énigmatique, fuivant le genie de cette Nation. Pignorius fut prié d'expliquer ce Monument, & ne parut ceder qu'à regret aux empreffemens de fes amis. Auffi voit-on toujours un air de timidité dans les conjectures qu'il propofe. Son Ouvrage, intitulé Menfa Ifiaca, fut imprimé in 4o. à Amfterdam, l'an 1669. Le Pere Kirker le fuivit de près, & traita le même fujet dans fon Edipe, avec cet air de confiance que lui donnoient la fuperiorité de fon efprit & la grande connoiffance qu'il avoit de la Religion des Egyptiens. Enfin Chifflet ajouta de nouvelles conjectures à celles du fçavant (1) In Notis Jefuite (1). Une Analyfe abregée de ce qu'ont rapporté au fujet de ce Monument les trois Antiquaires que je viens de nommer, fervira de fupplément à ce que j'ai dit des Dieux d'Egypte, & fera connoître plus particulierement leurs fymboles. ad Mallarium. Dans la bande fuperieure, en commençant par la gauche, on voit Ofiris qui tient d'une main un anneau, où paroît une croix bien formée; & de l'autre, un bâton, ou plûtôt un Sceptre, terminé par une tête d'oifeau. Que la croix fe trouve parmi les symboles des Divinités Egyptiennes, c'eft ce qui paroît, quoiqu'en dife Jufte Lypfe (1), non feulement dans (1) DeCruce. les figures qui nous restent, mais encore fur les Obelifques que le temps nous a confervés. L'Oifeau eft fans doute l'Epervier, confacré à Isis. On voit après cela un Prêtre qui immole un chevreuil à cette Déeffe, qui eft vis-à-vis de lui, l'Autel au milieu. Ifis y eft representée tenant d'une main un anneau avec fa croix, & de l'autre fon fceptre, terminé par la fleur du Lotus, qui étoit fon symbole ordinaire. Son ornement de tête eft un peu different de ceux qu'elle porte dans d'autres figures; nous en parlerons dans la fuite. Vient après Ofiris le Sceptre à la main, qui prefente un Oifeau à Ifis, laquelle de fon côté lui prefente un Vase en forme de gobelet. Derriere la Déeffe eft un homme, qui tient d'une main un vase femblable à celui que tient Ifis, & de l'autre un couteau recourbé comme une ferpe. Entre Ifis & Ofiris, dans la partie fuperieure du cartouche, eft un bouc, & dans l'inferieure le Singe, que l'on nommoit Cercopitheque. Le perfonnage qui vient enfuite, & qui porte fur la tête un ferpent à tête d'oiseau, pendant qu'il tient d'une main un rameau, & de l'autre un bâton recourbé par le haut en forme de croffe, eft encore une Ifis. Ofiris avec les fymboles qu'il porte dans les autres figures, vient après, & fe trouve en regard avec une autre Ifis, qui tient une fleur à la main : le Griffon, animal confacré au Soleil, eft au milieu. La bande eft terminée par trois figures, dont l'une eft encore un Ofiris, l'autre une Ifis, & la troifiéme, qui eft au milieu, un Prêtre qui tient un bâton d'une main, & de l'autre quelque efpece d'offrande, qu'on ne fçauroit diftinguer. La bande du milieu, qui paroît la principale, represente des scenes differentes : celle qui occupe le fond eft la principale. C'est d'abord une Ifis fur un Thrône, dont la corniche eft foutenue par deux colomnes. L'ornement de tête de la Déeffe eft fingulier : c'eft un oiseau couché, dont les ailes éployées, vont jufques fur fes épaules. Cet oifeau, qui paroît tout moucheté, eft felon Pignorius, la poule de Numidie, que Martial appelle, Numidica guttata (2). Au deffus font (1) Lib. 3. deux tiges, apparemment du Lotus, qui au lieu de fleurs, Epig. 58. n'ont encore que des boutons : le tout furmonté de deux |