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nous l'avons dit. On ajoutoit qu'un fanglier avoit caufé la mort d'Adonis, parce que cet animal eft le fymbole de l'hyver, comme le dit Macrobe (1): Hyems veluti vulnus eft folis, quæ {(1) Loc. cit. & lucem ejus nobis minuit & calorem, quod utrumque animantibus accidit morte.

D'autres prétendent qu'Adonis marquoit le grain, qui est renfermé pendant fix mois dans les entrailles de la terre, comme s'il étoit entre les bras de Proferpine, qui en eft la Déesse, d'où il venoit voir fa chere Venus, lorfqu'il commençoit à croître.

Mais ne prêtons-nous pas trop d'efprit aux premiers inventeurs des ceremonies & des fêtes, qui n'avoient d'autre but que de rappeller le fouvenir des évenemens qui y avoient donné lieu? Le Soleil, pour s'éloigner pendant l'hyver, def cend-il aux Enfers? Abandonne-t'il les hommes, furtout dans la Syrie & la Phenicie, où les hyvers font fi courts, & quelquefois plus fupportables que les étés ? Si c'étoient des Lappons ou des Siberiens qui euffent inftitué cette fête, on pourroit croire que l'absence totale du Soleil les y auroit portés; mais on ne fçauroit fe le perfuader des habitans de la Syrie, qui jouiffent toujours d'un ciel fi ferein, & où l'inégalité des jours n'eft pas même fort confiderable. D'ailleurs, fi ce fyftê

me étoit vrai, il auroit fallu celebrer la fête d'Adonis dans des temps differens de l'année, & à fix mois l'une de l'autre ; au lieu qu'on ne la celebroit qu'une fois l'an, & dans un moist éloigné des deux Equinoxes, qui auroient mieux marqué le moment où le Soleil commence à s'éloigner ou s'approcher de notre Pole.

J'aime donc mieux croire que le fondement de cette double ceremonie, étoit tiré de la tradition qui portoit, qu'Adonis ne mourut point de la bleffure qu'il avoit reçue fur le mont Liban, & que le Medecin Cocytus le guerit contre toute forte d'apparence. Car c'eft en ce fens que Ptolemée, fils d'Epheftion, prend un vers grec de l'Hyacinthe d'Euphorion, où il eft dit que ce Medecin, Difciple de Chiron, lava feul la playe d'Adonis, c'eft-à-dire, qu'il fut le feul qui fut employé à une cure fi difficile: autrement ce vers n'auroit aucun fens raifonnable. On regarda cette guérison comme une espece de:

(1) Met. I. 10.

la vie, alloient après la mort habiter dans les Aftres, on voulut bien croire que celles de ce Prince & de fon Epouse avoient pris le Soleil & la Lune pour leur demeure, & on les honora comme ces Aftres mêmes, dont le culte étoit déja établi : car il faut toujours fe reffouvenir que les Aftres & les Planetes furent les premiers Dieux du Paganisme; & que la même Divinité pouvoit être un Dieu naturel, ou physique, & un Dieu animé.

Ce n'eft pas que l'Hiftoire nous ait confervé le détail des actions de ces anciens Princes, qui meriterent après leur mort d'être mis au rang des Dieux, les monumens qui la contenoient s'étant perdus; mais il eft aifé de juger que les fables qui font parvenues jufqu'à nous, font allufion à l'Hiftoire de ces hommes celelebres. Celles que les Grecs & les Latins ont publiées de Venus & d'Adonis, étoient fondées fans doute fur quelques anciennes traditions que les Pheniciens leur avoient apprifes : le fond de ces traditions étoit hiftorique ; mais ces peuples l'avoient embelli de plusieurs fictions, pour rendre leurs Dieux plus refpectables.

Selon Ovide (1), Adonis étoit le fruit du commerce de Cinyras avec fa fille Myrrha. Cette Princeffe obligée de se derober à la colere de fon pere, qui s'en étoit approché fans la connoître, dans le temps qu'une fête que celebroit la Reine, la feparoit de fon mari, fe retira en Arabie, où les Dieux touchés de fes malheurs & de fon repentir, la changerent en l'arbre qui porte le parfum précieux auquel elle a donné fon nom. Ce fut en cet état qu'elle mit au monde le jeune Adonis, que les Nymphes du voifinage reçurent en naissant, & nourrirent dans les antres de l'Arabie. Adonis devenu grand, alla à la Cour de Byblos dans la Phenicie, dont il fit tout l'ornement. Ici les Poëtes fe font donné une libre carriere. Venus, difent-ils (a), en devint éperduement amoureuse, préfera fa conquête à celle des Dieux-mêmes, & abandonna le fejour de Cythere, d'Amathonte & de Paphos, pour le fuivre dans les forêts du mont Liban, où il alloit chaffer. Mars jaloux de la préference que cette Déeffe donnoit à ce jeune Prince, employa pour fe venger le fecours de Diane, qui

(a) Voyez Theoc. Hygin, Ovide, &c.

fufcita un Sanglier qui ôta la. vie à Adonis (a). Venus ayant
appris ce trifte accident, donna toutes les marques de la plus
vive douleur ;

Pariterque finus, pariterque capillos
Rupit, & indignis percuffit pectora palmis (1).

Cependant le jeune Prince defcendit dans le Royaume de
Pluton, & infpira de tendres fentimens à Proferpine. Venus
monta au ciel pour obtenir fon retour de Jupiter fon pere,
& la Déeffe des Enfers refufa de le rendre. Le pere des Dieux
embarraffé d'une affaire fi difficile, s'en remit à la décision
de la Mufe Calliope, laquelle crut contenter les deux Déesses
en le leur rendant alternativement: on députa les Heures chez
Pluton qui ramenerent Adonis, & depuis ce temps-là il de-
meura chaque année fix mois fur la terre auprès de fa chere
Venus, & fix mois dans les Enfers.

Voilà fans doute une fable bien myfterieufe, & une énigme qu'on feroit bien embarraffé d'expliquer dans tous fes points: mais il eft aifé de juger qu'elle eft mêlée d'Hiftoire & de Phyfique, & c'est ce que nous tâcherons de développer dans la fuite.

(1) Ovi. Met. Liv. 10.

T. 3.

M. le Clerc, après Selden & Marsham, ayant mieux aimé prendre cette fable dans Phurnutus & dans d'autres Mythologues que dans Ovide, la rapporte & l'explique ainfi (2). (2) Bib. Uni. Cinnyr, ou Cinyras, grand-pere d'Adonis, ayant bû un jour avec excès, s'endormit d'une maniere indecente, Mor ou Myrrha fa bru, femme d'Ammon, accompagnée de fon fils Adonis, l'ayant vû en cet état, en avertit fon mari : celui-ci après que l'yvreffe de Cinyras fut paffée lui apprit cette avanture, dont il fut fi piqué qu'il combla de maledictions fa fille & fon petit-fils. Voilà d'abord, dit M. le Clerc, le fondement du prétendu incefte de Myrrha, dont parle Ovide; ce Poete ayant representé l'indifcrete curiofité de cette Princeffe, comme un veritable incefte. Myrrha chargée des maledictions de

(a) Il y a une autre tradition qui porte que c'étoit Apollon qui avoit fufcité le Sanglier pour fe venger de Venus, qui avoit aveuglé Erimanthe fils de ce Dieu, pour s'être mocqué de fes galanteries.

fon pere, fe retira en Arabie, où elle demeura quelque temps; & c'eft encore ce qui a donné lieu au même Poëte de dire que ce fut dans ce pays qu'elle accoucha d'Adonis, parce qu'en effet ce jeune Prince y fut élevé. Quelque temps après, continue M. le Clerc, Adonis avec Ammon fon pere & Myrrha fa mere, alla en Egypte, où Ammon étant mort, ce jeune Prince s'appliqua entierement à cultiver l'efprit de ce Peuple, lui enfeigna l'Agriculture, & fit plufieurs belles Loix touchant la proprieté des terres. Aftarté ou Ifis sa femme l'aimoit avec paflion, & ils vivoient enfemble comme un amant & une maîtreffe. Adonis étant allé en Syrie fut bleffé à l'aine par un fanglier dans les bois du mont Liban, où il chaffoit. Aftarté qui crut que fa bleffure étoit mortelle, fit paroître tant de douleur qu'on le crut mort, & il fut pleuré dans l'Egypte & dans la Phenicie. Cependant il guerit, & la joye fucceda à la trifteffe. Pour perpétuer la memoire de cet évenement on inftitua une fête annuelle, pendant laquelle, après avoir pleuré Adonis comme mort, on fe réjouiffoit enfuite comme s'il étoit reffufcité. Adonis fut tué, fuivant le même Auteur, dans une bataille ; & fa femme le fit mettre au rang des Dieux. Après la mort d'Adonis, Aftarté gouverna paifiblement l'Egypte, & merita les honneurs divins. Les Egyptiens, dont la Theologie étoit toute fymbolique, les reprefenterent dans la fuite l'un & l'autre fous la figure d'un boeuf & d'une vache, pour apprendre à la pofterité qu'ils avoient enfeigné l'Agriculture.

Pour ce qui regarde la fuite de Myrrha, dont parle Ovide, elle ne fignifie, dit M. le Clerc, que la malediction qu'elle s'attira, & fa retraite en Egypte avec fon mari ; & fa metamor phose en arbre n'a été inventée que fur l'équivoque du nom de Mor qu'elle portoit, & qui parmi les Arabes vouloit dire de la myrrhe.

On voit par cette explication, que le fçavant Auteur que je viens d'abreger, étoit perfuadé qu'Adonis & Aftarté étoient les mêmes qu'Ofiris & Ifis, & il n'eft pas le feul qui foit de ce fentiment, qui ne manque pas de vraisemblance. Lucien, & Plutarque, parmi les Anciens; Selden, Marsham & plufieurs autres, parmi les Modernes, l'avoient dit avant lui. M. le

Clerc, pour prouver cette opinion rapporte plufieurs raifons qu'on peut voir dans le troifiéme Tome de fa Bibliotheque Univerfelle. Les principales font, que pendant qu'on celebroit en Egypte la fête d'Oliris, on en celebroit une femblable dans la Phenicie pour Adonis. On pleuroit l'un & l'autre, comme morts, & on fe rejouiffoit enfuite comme s'ils étoient reffufcités: mais ce qui eft encore plus décifif, d'anciens Auteurs affûrent que les Egyptiens pendant la celebration de leur fête, mettoient fur le Nil dans un panier d'ofier une Lettre que les flots de la mer portoient en Phenicie, près de Byblos, où dès qu'elle étoit arrivée on ceffoit de pleurer Adonis, & on commençoit à fe réjouir de fon retour. C'étoit donc la même fête ; & comme il n'eft pas douteux qu'elle ne fût celebrée en Egypte en l'honneur d'Ifis & d'Ofiris, on en doit conclure que c'étoit pour eux-mêmes que les Syriens la celebroient.

On pourroit ajouter à ces preuves, qu'Adonis & Aftarté étoient parmi les Pheniciens le fymbole du Soleil & de la Lune, comme Ofiris & Ifis l'étoient en Egypte, & qu'Af tarté étoit reprefentée fur les monumens, avec une tête de vache; ou du moins avec fa dépouille, comme Ifis l'étoit parmi les Egyptiens. Enfin que dans les fêres d'Adonis & d'Aftarté, on portoit des reprefentations infames, ainsi que dans celles d'Ifis & d'Ofiris. Voilà les preuves de ceux qui foutiennent ce fentiment expofées dans toute leur force. Ĉependant je fuis perfuadé qu'il faut diftinguer ces quatre perTonnages, dont deux ont regné en Egypte, & les deux autres en Phenicie; quoiqu'après leur mort ils foient devenus les uns & les autres, par les biens dont ils avoient comblé leurs Peuples, le fymbole du Soleil & de la Lune. Je ne nie pas qu'il n'y ait pu avoir un grand commerce de Religion entre deux Peuples auffi voifins que l'étoient les Egyptiens & les Pheniciens; mais ce commerce ne prouve pas l'identité de leurs Rois & de leurs Dieux; & fi l'on trouve quelques traits de leur hiftoire qui fe reffemblent, il y en a un plus grand nombre encore qui ne peuvent pas convenir aux uns & aux autres. Car enfin, que peut avoir de commun avec l'histoire d'ifis ce qu'on raconte de Cinyras & de fon incefte; trait

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