l'ai déja dit. De-là, dit Athenée, l'usage de confacrer dans les Temples de cette Déeffe, des poiffons d'or & d'argent, & de lui en prefenter tous les jours de veritables. D'autres Auteurs croient que cette veneration pour les poiffons venoit de ce qu'ils avoient fauvé Derceto, lorsqu'elle tomba dans le Lac dont nous avons parlé. Enfin il y en a, qui fur l'autorité de Menandre cité par Porphyre (1), difent que les Sy- (1) De Abst. riens ne s'abftiennent de manger du poiffon, que par la crainte de contracter certaines incommodités du foye & des entrailles, dont ils croyoient que la Déesse, à qui cet animal étoit confacré, puniffoit ceux qui en mangeoient. Liv. 4. Quoiqu'il en foit, je penfe que cette coutume prit fon origine dans la perfuafion où l'on étoit, qu'autrefois les Dieux pour éviter la persecution des Geants, avoient emprunté la figure de plufieurs`animaux, comme nous l'avons dit dans l'Histoire des Dieux d'Egypte. Or on apprenoit par cette fable que Venus, qui étoit la même qu'Atergatis ou Derceto, s'étoit metamorphofée en poiffon : Pifce Venus latuit, comme le dit Ovide (2): ce même Poëte affûre que c'étoit l'opinion des (2) Met. L. 5. Peuples de Babylone & de la Palestine. Les habitans de α » Babylone, dit-il, racontent comment Derceto, couverte (3) Met. L. 4. V. 43. Semiramis. On vient de voir que Derceto avoit expofé fa fille; c'étoit la fameufe Semiramis. Quelques Bergers l'ayant trouvée, la porterent (4) chez Simma, femme d'un maître des troupeaux (4) Dio. L. 2. du Roi du pays, qui lui donna le nom de Semiramis, qui en langue Syriaque fignifie une colombe. De-là apparemment est venue la fable qui dit qu'elle avoit été nourrie par des colombes, & qu'elle fut metamorphofée en cet oiseau, qui fut depuis en grande veneration parmi les Affyriens (a). (a) Luther fur ces paroles de Jeremie, facta eft terra eorum in defolationem à facie columba, dit que le Prophete fait ici allufion à l'Hiftoire de Semiramis, & des colombes qui étoient en grande veneration parmi les Affyriens: ainfi que dans cet autre paffage du même Prophete, qui voulant prédire aux Juifs que les Affyriens viendroient defoler leur pays, leur dit: fugite à facie gladii colomba. Syria. Je ne m'étends pas au refte, fur l'Hiftoire de cette fameuse Heroïne, qui après la mort de fon mari Ninus qui avoit fondé le premier Empire des Affyriens, fit tant de belles conquêtes, & éleva ces fameux Jardins, qui ont paffé pour une des fept merveilles du monde ; ainfi que les murailles de Babylone, dont tant d'Hiftoriens ont fait la defcription. Comme je n'en dois parler qu'autant que fon hiftoire a rapport à la Mythologie, je me contente de dire ici, pour expliquer les fables qu'on a mêlées à fon fujet, que fon fils Ninias voulant la faire mourir, elle ne fit aucune refiftance, s'étant reffouvenue de l'Oracle qui lui avoit prédit, que lorfque ce Prince lui drefferoit des embûches, elle difparoîtroit, & feroit enfuite adorée comme une Déeffe. En effet, foit que Ninias pour favorifer cette erreur, eût fait cacher le corps de fa mere; ou que pendant qu'on l'affaffinoit, on eût vû fortir du Palais quelques colombes, on publia que c'étoit elle qui s'étoit envolée fous cette figure, & dès lors les colombes furent confacrées parmi les Affyriens, qui les porterent dans leurs Enfeignes. C'eft à ce refpect pour ces oifeaux, peints dans les Etendars des Affyriens, que fait allufion l'Ecriture Sainte dans l'endroit où il eft dit : Fugite à facie gladii Columba. Les habitans d'Afcalon avoient un fouverain refpect pour les colombes. Ils n'ofoient ni en tuer, ni en manger, de peur de fe nourrir de leurs Dieux mêmes. Philon affûre qu'il avoit vû dans cette ville un nombre infini de pigeons qu'on nourriffoit, & pour lefquels on avoit une veneration particuliere. Tibulle a très-heureufement exprimé ce refpect des Syriens pour les pigeons, dans ces deux vers: Quid referam, ut volitet crebras intacta per urbes Semiramis mourut âgée de foixante ans, après en avoir re(1)De Dea gné quarante-deux. Lucien (4) parlant d'une Statue de cette Princeffe qui étoit dans le parvis du Temple de la Déeffe de Syrie à Hierapolis, dit qu'elle y étoit reprefentée dans l'attitude d'une perfonne qui étendoit la main & montroit le Temple, dont la raifon étoit, dit-il, qu'ayant ordonné un jour nous l'avons dit. On ajoutoit qu'un fanglier avoit caufé la mort d'Adonis, parce que cet animal eft le symbole de l'hyver, comme le dit Macrobe (1): Hyems veluti vulnus eft folis, quæ (1) Loc. cit. & lucem ejus nobis minuit & calorem, quod utrumque animantibus accidit morte. D'autres prétendent qu'Adonis marquoit le grain, qui est renfermé pendant fix mois dans les entrailles de la terre, comme s'il étoit entre les bras de Proferpine, qui en eft la Déeffe; d'où il venoit voir fa chere Venus, lorfqu'il commençoit à croître. Mais ne prêtons-nous pas trop d'efprit aux premiers inventeurs des ceremonies & des fêtes, qui n'avoient d'autre but que de rappeller le fouvenir des évenemens qui y avoient donné lieu? Le Soleil, pour s'éloigner pendant l'hyver, defcend-il aux Enfers? Abandonne-t'il les hommes, furtout dans la Syrie & la Phenicie, où les hyvers font fi courts, & quelquefois plus fupportables que les étés ? Si c'étoient des Lappons ou des Siberiens qui euffent inftitué cette fête, on pourroit croire que l'abfence totale du Soleil les y auroit portés; mais on ne fçauroit fe le perfuader des habitans de la Syrie, qui jouiffent toujours d'un ciel fi ferein, & où l'inégalité des jours n'eft pas même fort confiderable. D'ailleurs, fi ce systême étoit vrai, il auroit fallu celebrer la fête d'Adonis dans des temps differens de l'année, & à fix mois l'une de l'autre ; au lieu qu'on ne la celebroit qu'une fois l'an, & dans un mois éloigné des deux Equinoxes, qui auroient mieux marqué le moment où le Soleil commence à s'éloigner ou s'approcher de notre Pole. J'aime donc mieux croire que le fondement de cette double ceremonie, étoit tiré de la tradition qui portoit, qu'Adonis ne mourut point de la bleffure qu'il avoit reçue fur le mont Liban, & que le Medecin Cocytus le guerit contre toute forte d'apparence. Car c'eft en ce fens que Ptolemée, fils d'Epheftion, prend un vers grec de l'Hyacinthe d'Euphorion, où il eft dit que ce Medecin, Difciple de Chiron, lava feul la playe d'Adonis ; c'eft-à-dire, qu'il fut le feul qui fut employé à une cure fi difficile: autrement ce vers n'auroit aucun fens raisonnable. On regarda cette guérison comme une espece de: de Voffius, qui croit que le nom d'Atergatis veut dire, quafi fine pifcibus, fans poissons, parce que ceux qui honoroient cette Déeffe, s'abftenoient d'en månger, comme nous venons de le dire; & dès là nous la diftinguons de Dagon, comme on va le voir dans le Chapitre suivant. DA CHAPITRE IV. Dagon. AGON étoit une des plus celebres Divinités des Philiftins, & une de celles dont l'Ecriture Sainte parle le plus fouvent. Si nous nous en rapportons à Sanchoniathon, l'origine de ce Dieu eft fort ancienne. Le Ciel, dit cet Auteur (a), eut plufieurs enfans, & entr'autres Dagon, ainfi nommé du niot Dagan, qui en Phenicien veut dire du froment. Comme il fut l'inventeur de la charue, & qu'il apprit aux hommes à fe fervir de bled pour faire du pain, il fut après fa mort furnommé Jupiter Agrotès, ou le Laboureur. Saturne, continue cet Auteur, dans le temps qu'il faifoit la guerre à Cœlus, ou Ouranos, ayant fait prisonniere une de fes femmes, il la fit époufer à Dagon. Suivant cette opinion, Dagon n'eft plus un Dieu moitié homme moitié poiffon, comme l'ont imaginé les Rabbins : ce n'eft plus l'Atergatis ou la Derceto, dont je viens de parler; c'eft le Dieu du bled, l'inventeur du labourage, qui merita après fa mort les honneurs divins. Son nom ne vient point du mot Hebreu Dag, un poisson, mais c'eft un nom Phenicien, Dagan, qui dans cette langue veut dire du froment. Bochart perfuadé que c'eft à l'Auteur Phenicien qu'il faut s'en rapporter pour l'origine des Dieux de fon pays, a donc raifon de ne regarder que comme des fables Rabbiniques, tout ce qui a été debité sur la figure de Dagon. En effet, quelques-uns de ces Docteurs de la Loy, confondant ce Dieu avec Atergatis ou Derceto, difent qu'on le reprefentoit comme (a) Voyez le Fragment de cet Auteur que nous avons rapporté dans l'Article des Theogonies. (1) Rabbi Kimchi. (3) Aburba nel. (3) Rabbi Silom. un homme, dans la partie fuperieure de fon corps, & comme un poiffon de la ceinture en bas (1); pendant que d'autres veulent au contraire qu'il ait eu la forme de poiffon dans le haut du corps, & la figure humaine des cuiffes en bas (2). Quelques-uns prétendent (3) qu'il étoit tout poiffon; quelques autres que fa figure étoit celle d'un homme, depuis la tête jufqu'aux pieds; & ceux-là ont fans doute plus de raifon. C'est l'idée qu'en donne l'Ecriture Sainte, lorfqu'elle raconte (4) (4) 1. Reg. qu'à la prefence de l'Arche du Seigneur, que les Philiftins avoient mife dans le Temple de ce Dieu, après la défaite des Ifraëlites, fon Idole fut renversée, & qu'on trouva sa tête & fes mains fur le feuil de la porte de ce Temple, pendant que le refte du corps étoit demeuré fur le pied-d'eftal. Caput Dagon, & due palme manuum ejus abfciffe erant fuper limen. Porrò Dagon folus truncus remanferat in loco fuo. Voilà donc une tête, des mains, & un tronc ; & fi on ajoute des pieds, comme ont fait les Septante, en disant que la tête, les mains & les pieds de l'Idole s'étoient trouvés enfemble, feparés du tronc, ce fera une figure humaine dans toutes fes parties. Quoiqu'il en foit, les Philiftins avoient une grande veneration pour Dagon, & fes Temples étoient magnifiques. Il falloit que celui qu'il avoit à Gaza fût très-vafte, puifque Samfon qu'on y avoit conduit en le retirant de la prifon où il étoit, pour infulter à ce redoutable ennemi, qu'ils croyoient avoir perdu toutes fes forces par la trahifon de Dalila; ayant renversé les colomnes qui le foutenoient, il écrafa fous fes ruines plus de trois mille hommes. Le Temple que ce Dieu avoit à Azoth, n'étoit pas moins celebre, & ce fut dans celui-ci que fut mise en depôt l'Arche du Seigneur, où arriva le miracle que je viens de rapporter. La tête de Saül fut auffi depofée dans un des Temples de ce même Dieu, comme on le voit dans le Livre des Juges (5), & fes armes dans celui (5) Chap. 6. d'Aftaroth; nouvelle preuve, pour le dire en le dire en paffant, que Da- v. 23. & 24. gon & Aftaroth ou Aftarté, étoient deux Divinités differentes. |