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le nom & la qualité de cette pauvre fille, le fit aller au devant de ce Gentilhomme pour lui demander fi c'étoit elle qu'il cherchoit. Ce Gentilhomme lui répondit qu'il n'y avoit point de lieux où il n'eut été aux environs pour en apprendre des nouvelles : mais inutilement. Le Marquis lui conta comment elle s'étoit retrouvée dans le château. Il n'eft donc plus befoin, lui repartit ce Gentilhomme , que je vous inftruife de fon malheur; ilvous a été bien aifé de le connoître, puifque vous l'avez fait parler. Tout ce que je vous puis dire, Monfieur, c'eft qu'elle appartient à des perfonnes de qualité, qui font inconfolables de la voir en cet état. Il eft affurément pitoyable, repliqua le Marquis, & ma furprise a été extraordinaire, quand elle m'a dit qu'elle s'appelloit Clelie. Un moment aprés le Marquis reconnut ce Gentilhomine pour être de la Maifon du Roy, & ce dernier lui donna une pleine connoiffance de fon nom & de fa famille, qui étoit une des plus confiderables de l'Agenois. Il lui dit que Madame la Marquife de Sarbedat famere étoit tutrice de cette malheureufe Demoiselle,& que depuis peu ils étoient venus demeurer fort prés de là, chez une parente, pour être moins éloignez de la Cour où ils avoient fouvent des affaires, & pour amener quelquefois la malade fe divertir à la belle maifon de Vaux, comme ils avoient fait le jour

précedent. Mais, interrompit le Marquis, eft-ce qu'il n'y a point de remede à cette maladie; & que cette pauvreDemoiselle est toujours dans cette prodigieufe alienation d'efprit? Nous l'en croyions prefque guerie, répondit le Gentilhomme, & on ne l'avoit amenée ici fe promener, que parce qu'il y avoit plus de dix jours, qu'elle n'avoit été malade. Je l'ai fait mettre au lit, repliqua le Marquis, & des femmes qui font ich en ont foin, pour voir fi fon accés ne diminuera pas. Monfieur, dit ce Gentilhomme, de la maniere que vous m'avez conté les chofes, il doit être paffé; car il ne lui dure jamais plus de dix ou douze heures; aprés quoi c'en est fait pour deux jours, fans qu'il paroiffe la moindrealterationdans fon efprit.Elle eft raifonnable comme un autre, elle chante divinement & a beaucoup de charmes dans la converfation: fi ce n'eft que de temps en temps on lavoit tomber dans je ne fçai quelle mélancolie, qui comme je croi, ne vient que de la reflexion qu'elle fait fur fon malheur; car elle le reconnoît trés-bien, & c'eft ce qui eft de plus fâcheux pour elle, & de plus particulier à fa maladic. Peut-être que fi on ne lui parloit jamais de Rome ni de Romains, il feroit plus aisé de la guerir. Nous avons, remarqué que fon accés la prend bien plûtôt en ce temps-là qu'en un autre; mais on ne peut point la tenir enfermée, cela augmente fa trifteffe &

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irrite fa maladie. D'autre côté il feroit fâcheux d'avertir tout le monde avec qui elle fe trouve, des vifions qu'elle a fur ce point là. Je ne demande plus, dit le Marquis, d'un air un peu étonné, ce qui caufa hier fon defordre. Il me fou vient que parmi toutes les fleurettes que je lui dis, je comparai la majefté de fa taille, & même la beauté de fon vifage à celle de je ne fçai quelle Romaine qui lui reffemble, & qui eft peinte dans ce château; c'est moi fans doute qui ay tout gâté. Oui, dit le Gentilhomme, & j'ai achevé de tout perdre par ma préfence. Vous lui avez donné lieu, reprit le Marquis, de vous prendre pour Horace en courant aprés elle, & c'est peutêtre que vous êtes le rival de quelqu'un qu'elle aime. Helas! Monfieur, repliqua le Gentilhomme, il n'eft que trop vrai, je l'ai autrefois bien aimée & je ne m'en deffens encore qu'avec peine; mais quand vous vîtes que je tâchois de lui couper chemin, c'étoit feulement de peur qu'elle ne fe blessât en courant, je m'imaginai bien que fon accés lui avoit repris.Cependant je ne laiffe pas de vous remercier de la peine que vous vous êtes donnée en cette occafion; car on me dit hier, que vous étiez monté à cheval avec une intention fort genereufe. Vraiment, lui repartit le Marquis en riant, vous m'aviez mis dans une furieufe colere, & j'avois pris une étrange refolu tion contre vous; fi je vous euffe ren

contré

contré, nous nous ferions battus à qui auroit eu la Dame. Il lui conta enfuite la feconde avanture qu'il avoit eue du Chevalier de Montal qu'on vouloit affaffiner; & le Gentilhomme lui dit,qu'il étoit moins fâché que l'accés eût reprit à Clelie,puifque celaétoitcaufe qu'unauffi galant homme queMontal,n'avoit point été aflaffiné. Mais, Monfieur, pourfuivit le Marquis, encore faut-il que je fcache, fi vous le trouvez bon, comment cette maladie eft venue à cette pauvre Demoiselle, car où auroit-elle été prendre cette manie, de croire que Clelius eft fon pere; qu'il s'eft retiré à Carthage; qu'il a fauvé Aronce; & qu'un tremblement de terre eft arrivé le jour qu'elle devoit époufer cet Aronce, s'il n'y avoit quelque conformité de fes avantures avec celles de Ċlelie? Il faudroit vous dire toute l'hiftoire, répondit le Gentilhomme, pour vous donner la fatisfaction que vous fouhaitez; mais je laifferois trop languir ceux qui attendent impatiemment des nouvelles.He! Monfieur, reprit le Marquis, nous n'avons qu'à leur envoyer un de mes gens, il les inftruira de tout; & même, fi vous m'en croyez, vous ferez venir la gouvernante ici, il ne tiendra qu'à elle d'y demeu rer avec fa malade, autant qu'il lui plai ra. Je vous prie donc, dit le Gentil homme, de me faire donner du papier & de l'encre pour écrire un mot à cette I femme,parce qu'à moins de cela, peut

Tome I.

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être feroit-elle difficulté d'y venir. Oui, dit le Marquis; car je la crois un peu* capricieufe. Elle s'enfuit hier du jardin, comme fi elle eut été coupable, au lieu d'y attendre mon tetour. Ce fut pour n'être pas obligée à vous rendre conte d'une fi étrange maladie,ditleGentilhomme, la bonne femme n'aime pas à publier les deffauts de notre famille. Le billet fe fit; & on l'envoya à la gouvernante qui demeuroit à une petite lieue de là, avec la tante de la malade. Ils entrerent enfuite tous deux dans le jardin ; & aprés y avoir fait choix d'un lieu commode pour s'affeoir, le Gentilhomme commença ainfi l'histoire de cette belle malade.

Hiftoire de Mademoiselle fuliette

d'Arviane.

Vous avez peut-être oui parler quelquefois de Meffieurs d'Arviane. Ils font d'une des plus nobles familles de Gafcogne. Le dernier. Comte de ce nom, qui n'eft mort que depuis le mariage du Roi, étoit le pere de cette belle fille. Mais afin que vous puiffiez mieux connoître les caufes des applications de fes avantures à celle de Clelie, il faut que je prenne d'un peu plus haut l'hiftoire du pere de mon Heroïne. Je l'appelle ainfi, continua-t-il en fouriant, puifqu'elle me fait faire auprés de vous le perfon nage d'un écuyer de roman. Le Comte d'Arviane avoit armé en 1644. un grand

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