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vaiffeau & un petit pour aller faire des courfes avec le Chevalier d'Arviane fon Frere. Comme il vint à fortir de l'emboucheure de la Garonne, il arriva tout à propos pour être témoin du naufrage d'un navire étranger, qui fe brifa aux environs de la tour de Cordouan,& dont on ne pût fauver qu'un petit enfant dans fon berceau qui s'étoit accroché au rocher. Le refte fut pouffé en pleine mer par un vent de terre, & perit fans qu'on pût deviner à qui appartenoit le vaiffeau. Le Comte fit prendre ce pauvre petit garçon, le recommanda à la femine d'un matelot; & trois mois après étant revenu de fes courfes, & voyant que perfonne ne l'avoit reclamé, il le fit apporter à Madame la Comteffe d'Arviane fa femme, qui n'en ayant pas encore eu depuis quatre ans de mariage, fe divertit à le faire élever. Voilà Clelius tout fait, interrompit le Marquis, & elle a raifon dans la comparaison, fi elle ne l'a pas dans l'application. Deux ans aprés, pourfuivit le Gentilhomme, Madame d'Arviane accoucha d'une fille qui fut nommée Juliette: la fille & le garçon furent élevez enfemble jufqu'à la guerre de Bordeaux; & ( il n'y a pas de roman dans ce que je vai vous dire) on ne pouvoit rien voir de plus accompli que ces deux enfans.

Durant cette guerre un des revoltez croyant gagner mon pere, en lui pro curant de grands avantages, lui proposa

mon mariage avec Juliette', laquelle, quoiqu'elle n'eut encore que cinq ou fix ans, ine fut neanmoins accordée. On avoit conçu de moi de bonnes esperances; j'avois du bien; j'étois parent; le Chevalier d'Arviane étoit mort; on croyoit qu'il y auroit moyen de remettre la maifon d'Arviane en fon éclat, en me donnant cette fille avec trente mil livres de rente; car Madame fa mere ayant une incommodité qui l'empêchoit d'avoir jamais d'autres enfans, je devois prendre le nom & les armes de la maifon, mais la guerre eut une iffue toute contraire à celle qu'on efperoit. Tous ces beaux deffeins s'évanouirent par la fuite du Comte. Il fut obligé de fe refugier en Angleterre, jufqu'à ce qu'il pût juftifier fon innocence. Ses biens furent confifquez en même-temps; Juliette y fut emmenée avec le jeune étranger, qui eut tout le loifir d'y gagner fes inclinations à mesure qu'ils avancerent en âge. Enfin, que vous dirai-je ? Ils vinrent tous deux à s'aimer tout de bon.LeComte d'Arviane qui s'en apperçut, ne voulut pas laiffer enraciner cette amour. Quelque vertu qu'il vît reluire dans cet Aronce, fa naiffance ne répondoit peutêtre pas à celle de fa fille; & il n'avoit pas de bien. Le Comte prit donc refolution de les feparer, & ce jeune garçon n'eut pas plûtôt atteint l'âge de quinze ans,qu'il fenvoya hors de Londres dans une des plus celebres Academies du

Royaume pour y faire fes exercices. Cependant la beauté de Juliete commença à faire du bruit à la Cour du Protecteur.Elle fut recherchée de plufieurs grands Seigneurs Anglois. Comme entre un grand nombre de foupirans, il y en a toujours qui s'attachent plus que les autres, le fils d'un Milord en devint paffionément amoureux, & cet amour vint à la connoiffance de tout le monde. Juliette neanmoins n'y répondoit pas, & bien au contraire, elle écrivit fon déplaifir à fon jeune amant, lequel entrant dans un defefpoir furieux de ce que le Comte d'Arviane approuvoit les foins de fon rival, s'en revint fecretement à Londres, fit une querelle au fils du Milord, le bleffa dangereufement, & il fut arrêté en même-temps. Le bleffé étant un homme de grande qualité, on crut le jeune étranger perdu. Le Comte d'Arviane même fut obligé de l'abandonner par politique; mais voici encore un fujet d'application pour notre Clelie. Un des Seigneurs du Parlement nommé le Marquis de Vingfter, fçachant comment ce jeune homme avoit été recueilli du naufrage; & ayant pris garde au jour & à l'année que ce naufrage étoit arrive, & remarquant outre cela des traits qui le toucherent dans le vifage du criminel, il entra en quelque foupçon que ce ne fut le fils de fon frere, dont il avoit tou jours cru que le vaiffeau s'étoit perdu la même année en fuyant d'Angleterre au

commencement des troubles. Enfin ce Seigneur ménagea fi bien quelques seances de la Chambre, qu'il eut le temps de s'éclaircir. L'étranger fut reconnu pour le fils de Milord Vingfter, & fon oncle obtint fa grace. Je ne vous parle point de la joye de la pauvre Juliette. Ce fut une Clelie qui avoit vû reconnoître fon Aronce pour le fils du Roi Porfenna. Sa joye fut telle, que n'ayant pû la cacher à toute l'Angleterre, le bleffé en mourut de déplaifir plûtôt que de fes bleffures.

Cependant la faveur du Marquis de Vingiter oncle de notre Aronce, étant fort grande auprés de Cromwel, le Comte d'Arviane tâcha de faire fa paix par fon moyen, avec Monfieur le Cardinal Mazarin, & rentra dans fes biens. Il revint en Gascogne. Le jeune Vingster y revint aufli avec fa chere Juliette.C'étoit alors une fille de quatorze ans, la plus charmante du monde. On vint ensuite à Paris, où on lut la Clelie. Monfieur de Scuderi, dit-elle cent fois en la lifant, a prédit dans ce roman les avantures que je devois avoir. Elle ne pouvoit ceffer d'admirer ce rapport furprenant de celles de Clelie avec les fiennes:Elle les lût jour & nuit deux ans durant, pendant lefquels Vingiter ne la laiffa point manquer d'autres divertiffemens. Il n'y avoit pas de Fêtes magnifiques qu'il ne donnât à fa belle maîtreffe. Non pas qu'il ait demeuré ces deux années danscette oifiveté

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amoureuse, car il commandoit les troupes auxiliaires d'Angleterre; mais quand il pouvoit dérober quelque temps à la guerre, il venoit en pofte le donner à fon amour, Enfin, on vint à parler de paix entre les deux Couronnes. L'oncle du jeune Vingster, & le Comte d'Arviane jugeant les partis fortables, fe refolurent de marier Juliette avec fon amant. On retourna en Gafcogne pour faire les nôces:Voici une étrange fimpathie avec le Roman de Clelie. Le jour même qu'on les devoit marier, il arrive à Bordeaux un furieux tremblement de terre. Les flâmes &les cendres n'en fortoient point comme à Capoue; mais une espece de rocher en fortit de la terre fur le rivage de la Garonne. Quelques perfonnes en furent englouties fur les grands chemins. Plufieurs maifons en furent abbatues ; & afin que l'avanture de cette Demoiselle reffemblât de tout point à celle de laRomaine, ma jaloufie m'avoit conduit juftement à l'heure de ce défordre vers la maifon de campagne où ces noces fe devoient faire, pour tâcher d'enlever Juliette. J'y arrivai affez à temps pour l'emporter entre mes bras, comme cette maifon même s'alloit écrouler. Voilà, Monfieur, toute l'hiftoire de Mademoifelle d'Arviane, & ce qui donna commencement à fa maladie. Je me fervis du prétexte du tremblement pour me purger du rapt dont on m'accufa; mais elle qui en fçavoit la verité en conçut un

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