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pouvoit avoir ce billet, ne l'aiffa pas de me rendre effectivement tres-amoureux; & je commençai dés-lors à chercher mille inventions pour la voir. Elles me devinrent d'autant plus neceffaires, que fon mari fut jaloux de moi, & ne me permit plus d'aller chez lui. Ce deffein me coûta bien de l'argent à Thoul durant un hiver qu'elle y fut amenée par ce jaloux qui y avoit un procês. Il n'avoit pas voulu la laiffer feule en fon château. Il n'y a point de déguisement que je n'aye pratiqué pour lui pouvoir parler, jufqu'à ce qu'enfin, ayant eu occafion de lui dire, qu'elle fit femblant d'être en colere contre moi de ce que j'avois follicité pour leur partie,cette artifice diminua un peu la défiance de fon mari. Alors pour aller fouvent dans fon logis, je m'habillai en femme; ce qui me réuffit fi bien, que je n'en bougeois toutes les fois que le mari étoit hors de la maifon. Mais j'avoue à ma honte que je n'avançois rien auprês de la Dame; & qu'après bien des équivoques, & pour le moins autant de foupirs que j'en ai déja fait pour Mademoiselle Velzers, je penfai tomber des nues lorfqu'elle voulut par pitié me faire fon confident, ne pouvant m'accepter pour fon amant. Cela arriva de la plus plaifante façon du monde. Comme j'étois à fes genoux tout tranfporté,& qu'en accufant fes cruautez de caufer ma mort, je lui proteftois que j'euffe voulu être fils ou frere

de Roi, pour être plus digne d'elle, elle fit un profond foupir, & me donnant fa main à baifer, comme une grande faveur: Ah, dît-elle, mon cher Chevalier , que vous êtes cruel de me bleffer par où je fuis fi fenfible! Et pourquoi, Madame, lui répondis-je, prenant toujours pour moi ce qu'elle difoit, aimeriez-vous mieux que je mouruffe en me taifant? Allez, pourfuivit-elle, je ne veux plus abufer de votre patience; & comme je connois la force de votre tendreffe envers moi, je vais aussi vous témoigner par l'aveu que je vous ferai la grandeur de l'eftime que j'ai pour vous. J'attendois aprês cela qu'elle m'affurât de mon bonheur, & tout mourant d'amour dans cette pensée, je ne fçai à vrai dire à quoi déja je ne me difpofois pas, quand cette vifionnaire m'affaffina de la fotte confidence de fon amour pour le Prince.

Quoique je viffe tromper mes efperances, je ne pus m'empêcher d'en rire; & la nouveauté de cette extravagance étonna même fifort mon amour,qu'ilme fembla s'enfuir de mon cœur auffi vîte qu'il y étoit venu. Pourtant le dépit d'avoir dépensé tant d'argent inutilement, & un certain point d'honneur, que vous nommerez comme il vous plaira, ne purent confentir à me laiffer entierement abandonner ma pourfuite; & changeant de batterie auprès d'elle, je m'obftinai à n'en être pas la dupe. Je continuai à la

vifiter tous les jours en habit déguisé, & je me mis fi bien auprês de cette folle avec la qualité qu'elle m'offroit de fimple confident, que je n'en voulus plus d'autre. Je lui faifois à toute heure des portraits avantageux du Prince: c'étoit une chofe qui fe pouvoit faire fans le flater. Je le feignois amoureux d'elle pour la rendre elle même plus amoureufe,& ajoutant à cela mille promef fes de faire en forte qu'elle pût l'entretenir un jour en particulier, & de donner envie à ce Prince de la venir voir incognito quand je ferois retourné à la Cour, je la mettois fi fort hors d'ellemême, & je lui caufois tant de joye,que je puis dire qu'elle fe donnoit en proye à mon amour fans y fonger. Ah! Madame, iui difois-je une fois affis fur fon lit où elle étoit encore, pendant que je lui paffois éfrontément la main fur la gorge; fi c'étoit le Prince qui prît cette liberté, au lieu que ce n'eft qu'un confident, quel plaifir! L'extravagante fems'écria Madame de Mulione! Hé Madame, ajouta Barbefieux, dites plutôt l'extravagant homme de nous conter de telles folies, & fi peu vrai-femblables. Ah! reprit-il, je fois le plus miferable du monde, fi je ne vous dis la verité, & s'il n'eft affuré que la Dame ne m'eût pas repouffé, pourvu que je n'euffe rien entrepris que par comparaifon de ce qu'auroit pu faire le Prince. O bien Chevalier, lui dît cette même De

me,

moiselle avec une mine un peu fevere; nous vous avertiffons que nous ne voulons pas entendre des folies pareilles à celles-là. Mais, Mademoiselle,réponditil, vous voulez fçavoir mon histoire, & c'en font-là les points principaux. Il faudra bien que vous ayez patience fi vous êtes curieufes d'entendre le refte Va, va continue, lui dît le Marquis, je les retiendrai fi elles veulent s'en aller. Mon Dieu! reprit le Chevalier, est-ce qu'il ne faut pas qu'elles faffent un peu de façons à tout? il y va de leur honneur. Mais n'importe je prendrai garde à ce que je dirai.

Enfin, Mefdames, au milieu de mes délices,le Ciel me voulut faire éprouver un trait de fa rigueur, & je reçus un ordre de la Cour pour m'en aller avec mon regiment dans une autre ville affez éloignée. Je vous laiffe à deviner combien je me plaignis de la Fortune devant la Dame,combien j'accufai la Cour d'injuftice, qui ne devoit pas ignorer que je me plaifois mieux à Toul que par tout ailleurs. Et pour l'amour de vous & de votre fcrupuleufe honnêté, je ne vous dirai point auffi qu'elle me donna plus de mille baisers à mon départ. Elle pleura comme une folle l'éloignement d'un homme qui contrefaifoit fi bien ce que fon Prince eût pu faire. Elle m'écrivit vingt léttres les plus tendres du monde, pour me faire reffouvenir d'aller parler d'elle au Prince; & elle m'en importuna

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tant, qu'enfin l'idée de fa beauté toute puiffante fur un homme de mon temperamment, me fit prendre la refolution que je vais vous dire. Je retournai exprès aux environs de fon château un jour qu'on y devoit faire la Saint Hubert; & menant avec moi quatre ou cinq de mes cavaliers, je me trouvai à cette chaffe, où de fens froid je tuai plufieurs des chiens de fon mari, & fis faire quelqu'autre dégât fur fes terres. La Dame que j'avois inftruite le follicita auffitôt d'en prendre vengeance, & lui perfuada de me faire un procés criminel. Ce procés, comme nous l'avions bien prévu, fut évoqué au Confeil du Roi, à caufe de certaines circonftances,& cette belle continuant à faire l'enragée contre moi, s'offrit pour aller elle-même le folliciter. D'abord le mari fit affez de difficulté de l'y mener; mais une fâcheufe goute à quoi il étoit fujet, bien qu'il fût encore jeune, le cloua dans fon lit. L'affaire preffoit, il l'envoya enfin à Paris toute feule. Je la fuivis bien vîte & nous y recommençâmes nos confidences jufqu'à ce qu'il fe prefenta une occafion de faire mieux. Cette prétieufe occafion arriva plus belle que je ne l'avois cfperé, par le moyen du départ du Roi, qui s'en alla de Paris à Saint Germain après la mort de la Reine Mere; & le Confeil ayant fuivi la Cour, Madame de Laumer eut un prétexte pour s'y rendre, & c'étoit où je la voulois.

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