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Là je communiquai le fecret de ma bonne fortune à un officier du Prince ; & comme il n'y a guere de courtisans qui ne fervent volontiers un ami auprès d'une amie, je lui fis donner fa parole, qu'il iroit voir la Dame comme fi c'eût été de la part de fon maître, afin que fi elle promettoit quelques doux momens, je les allaffe fort bien paffer avec elles fous le nom du Prince. O quelle malice! dit la jeune Madame de Mulionne. J'ai oui parler de cette aventure, ajouta le Marquis; mais je ne croyois pas, dît-il, au Chevalier, que tu en fuffes le heros, & on ne nommoit perfonne. Cela eft vrai, reprit Montal, c'est qu'on m'avoit fait promettre folemnellement que je ne la publicrois pas, mais la chofe a changé de face.

Les affaires étant donc difposées de la forte, je menai la Dame au vieux château. Elle y vit encore une fois dîner le Prince; il étoit venu voir le Roi ce jourlà. Mon ami ne manqua pas l'après-dîné de lui faire le meffage concerté; il lui dit que le Prince l'avoit reconnue pour cette même Dame dont la beauté l'avoit touché fur le chemin de Marfal, & à Marfal même, & qu'il l'envoyoit vers elle pour la prier de fouffrir qu'il la vint voir la nuit fuivante. Elle fit femblant d'abord de fe gendarmer contre une telle propofition, fuivant la coutume du fexe de rejetter d'abord les plaifirs qu'il fouhaite le plus. Le Prince, répondit-elle

en pleurant, a bien peu de confidération pour moi de vouloir commencer par où il devroit finir. Quoi donc ! une pauvre femme eft-elle fi malheureufe, qu'elle ne puiffe aimer un homme fans qu'il s'imagine auffi-tôt que c'eft pour ces folies-là? & depuis le plus petit Gentil-homme jufqu'au Prince, du moment qu'ils croyent être aimez, c'eft là le beau compliment qu'ils ont à nous faire. Les larmes interrompirent un peu cette lamentation, puis comme fi elle eût gagné une importante victoire fur fon amour; Non Monfieur, ajouta-t-elle, je n'y confentirai jamais. He bien, lui répartit mon ami en fe retirant tout froidement, je Avais porter vôtre réponse au Prince. Hé, mon Dieu ! reprit-elle, vous êtes bien prefsé. Voudriez-vous que je dife oui tout d'un coup? N'eft-ce pas à vous à chercher des raifons pour détruire les miennes avant que de vous en aller ? Si tous les meffagers étoient faits comme vous, il n'y a point d'amante qui ne fe vît réduite à faire d'éternels réfus.

Madame de Mulionne ne pût s'empêcher d'interrompre encore le Chevalier, en difant: Voilà un homme qui nous en donneroit bien à garder, fi nous le voulions croire, & qui fait de jolis portraits des femmes. Madame, lui répondit-il, je vous fais le portrait d'une folle qui ne reffemble à pas une de vous ; mais je n'ai pas dit la moitié de ce que je pourrois dire d'elle.

Tu

Tu connois Saint-Soulieu, pourfulvit-il en s'adreffant au Marquis, & comme c'est lui que j'employai, tu peux juger ce que l'homme a été capable de faire. Il eft vrai que Saint-Soulieu eft un froid bouffon, dit le Marquis. Je veux mourir, ajouta le Chevalier, s'il n'eut un entretien d'une heure avec cette vifionaire,où ils dirent des chofes quivaudroient infiniment plus que ce que jevous ai conté, fi je pouvois m'en reffouvenir. Hé bien, à cela près, concluez, dit Mademoiselle Velzers. Ah! reprit-il, Mademoifelle, j'aime cette charmante impatience en vous, & c'est une marque que vous êtes curieufe des beaux endroits. Il la fit rougir cruellement avec ces paroles, puis reprenant fon difcours; Enfin, dît-il, la Dame accorda au Prince l'entrevûe qu'il lui avoit fait demander, à condition toutefois que pour foulager fa pudeur, elle l'attendroit fans lumiére, quitte à en faire allumer après qu'ils auroient fait connoiffance. Elle ne fit en cela que prévenir heureufement la demande que Saint-Soulieu lui devoit faire de cette précaution. Il fut donc arrêté que le Prince viendroit à minuit avec une fimple lanterne fourde, qu'il n'ouvriroit qué quand la belle lui en donneroit la permiffion: Que l'hôte du logis, où elle demeuroit tiendroit fa porte ouverte toute la nuit: Qu'il y feroit la garde tout feul, & qu'il laifferoit monter à la chambre de la Dame fans s'informer Tom. I. D

de quoi que ce fût, ceux qui viendroient pour la voir à cette heur-là. Ce que Saint-Soulieu ordonna auffi-tôt de la part du Prince à cet hôte, qui tint à beaucoup d'honneur qu'une fi noble intrigue fe passât dans fa maifon. J'allai me préparer de mon côté à faire le Prince le mieux qu'il me feroit poffible, & quand l'heure vint, que j'avois attendue avec l'impatience d'un homme à bonne fortune, je me mis en chemin avec mon ami Saint-Soulieu, pour aller au champ de bataille. Mais une difgrace effroyable m'y attendoit que je n'avois nullement prévue. Le mari averti que je follicitois plus fouvent fa femme que mes Juges, & fe trouvant délivré de fa goutte, étoit venu en pofte à Paris pour obferver notre conduite. N'y ayant pas trouvé la belle, il ne fe donna le loifir que de faire repaître fes chevaux, & vint le plus vite qu'il pût à S. Germain. Etant arrivé il fe fit conduire au logis de fa femme par un valet d'écurie; il demanda fa chambre à l'hôte qui la lui enfeigna, croyant qu'il fut officier du Prince. Il y monta juftement un peu devant que j'y arrivaffe,& fa femme l'ayant traité d'Alteffe à l'entrée de la porte, où elle le prit pour le Prince, cela caufa un défordre épouvantable: car comme j'entrai chez elle immediatement après lui, il me faifit par le bras. Je fus contraint d'ouvrir ma lanterne fourde pour me reconnoître. La Dame tomba éva

nouie en reconnoiffant fon mari. Ce jaloux me fuivit dans la rue, où je defcendis malgré fa réfistance. Nous y mîmes l'épée à la main ; & nous allions nous battre, fi Saint-Soulieu & beaucoup de voifins ne nous euffent feparez. Voilà Mesdames, ajouta le Chevalier, la veritable caufe de l'accident qui m'arriva hier. Saint-Soulieu avoit neanmoins fait je ne fçai quel accommodément entre nous; car comme nous nous étions fervis du nom du Prince, nous étions bien aifes d'empêcher que le bruit de cette aventure ne vint à fes oreilles, quoiqu'il n'y eût qu'à rire pour le Prince même. Et après avoir remontré au jaloux que fon heureuse arrivée lui avoit fauvé ce qui lui pouvoit faire de la honte en cette occafion; aprés mille fermens qu'on me fit faire que je n'en dirois jamais mot, & à lui de ne s'en plus reffouvenir; aprés enfin m'être condamné volontairement aux dépens du procés, on nous obligea de nous embraffer, & je le fis d'auffi bon cœur, que fi je ne lui euffe point voulu de mal de m'avoir empêché d'embraffer fa femme. Cependant, vous avez vu par la noire action qu'il voulut hier commettre, qu'il n'a pas pris autant de patience que moi; mais auffi c'eft une raifon qui fera que je ne m'abftiendrai plus d'en faire déformais de bons contes à fes dépens.

Et par quelle aventure, dît le Marquis au Chevalier, t'eft-il venu rencontrer fi

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