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offres, il ne put obliger cette charmante perfonne à entrer en converfation avec lui: il n'en tira que deux ou trois regards languiffans qui lui donnerent de l'amour. Ceci fent l'avanture de confequence, dîtil en lui-même; mais voyons ce qui en arrivera. Il fit venir le fontainier, & ne laiffa point de dire toujours quelque mot en paffant à cette belle melancolique, qui n'y répondit que par des foupirs, Mais comme il n'y a rien qui embarraffe tant un homme qui parle bien, que de fe trouver avec des gens qui ne veulent point parler,c'étoit un galant fort empêché de fa perfonne. Ce ne fut toutefois encore rien que cela. Il amena fa belle fur un petit fiege de gazon, pour voir à fon aife l'effet des fontaines. A peine y fut-elle affife, que tournant la tête, elle fe leva avec un grand effroi; Monfieur, cria-t-elle au Marquis de Riberville, fauvez-moi d'un homme qui me cherche par tout pour m'enlever. A ces mots elle s'enfuit avec une viteffe incroyable, Le Marquis tout étonné, vit effectivement qu'un Gentil-homme affez bien fait couroit aprês elle & tâchoit de lui couper chemin. Mais la vieille femme, voulant arrêter la fugitive, étoit tombée dans le canal où elle fe noyoit. Il crut être obli❤ gé de la fauver avant que d'aller aux autres; & cela fut caufe que la belle & le raviffeur eurent beau courir avant qu'il pût les atteindre. Il cria au fontainier & à un laquais qu'ils arrêtaffent ce Gentil

homme, s'il étoit poffible; mais il n'étoit plus temps, l'avanturier & l'inconnuë avoient déja gagné la cour du château; quand on y vint il n'y avoit plus perfonne, & à la fortie du pont-levís on ne vit plus qu'un caroffe à fix chevaux qui s'éloignoit en grande diligence. Le Marquis entre en colere; on lui enlevoit quelque chofe qui lui plaifoit. Il ordonne qu'on lui felle des chevaux, & revient dans le jardin en attendant, pour tirer quelque éclairciffement de la vieil le:ilne la trouve plus,elle s'étoit dérobée. Ah! dit-il, elle eft complice de l'enlevement ! Cela redouble fa furie; il commande qu'on la cherche aux environs & monte à cheval pour aller aprés le caroffe. A un quart de lieuë de Vaux, on lui dit que ce caroffe avoit tourné par le chemin de Combreux, & cc qui le confirme dans la penfée que c'eft celui du raviffeur, il apprend qu'il n'y a dedans qu'une Dame & un Gentil-homme. Il pouffe fon cheval par la même route. Il fait une lieuë, & malgré la nuit qui tombe tout à coup, il croit enfin avoir trouvé ce qu'il cherche : il lui femble entrevoir le caroffe de fon homme fur une éminence. Mais il fe trompe ; il étoit deftiné à de frequentes avantures ce foir-là; c'étoit un autre caroffe qui étoit arrêté. Il s'en approche: au lieu de fa belle enlevée, il trouve quatre Dames toutes effrayées qui faifoient leurs efforts pour empêcher que deux cavaliers n'affaffi

naffent un Gentil-homme qui étoit avec elles.

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Il avoit trop bien commencé fa foirée, pour ne pas faire le heros de roman en cette occafion. A moi ! cria-t'il,affaffins, à moi ! & non pas contre un homme feul qui n'a que fon épée. Il fe lance fur ces deux cavaliers comme un Orondate les met en fuite, délivre le Gentil-homme de peril, & les Dames de peur. Elles étoient de fa connoiffance, & le Gentilhomme auffi; c'étoit fon meilleur ami le Chevalier de Montal. Les quatre Dames étoient Mademoiselle de Barbefieux, Madame de Mulionne femme d'un Confeiller de la Cour, Mademoiselle de Velzers Hollandoife, & Mademoiselle de Kermas Bretonne. Elles alloient voir la maifon de feu Monfieur le Prevoft Confeiller au Parlement qui étoit à vendre,& où Madame de Mulionne devoit les régaler. On rend mille graces au Marquis de fon fecours, & on lui demande par quel bonheur il s'eft rencontré là fi à propos. Il conte fon aventure & demande des nouvelles du caroffe qui alloit à Combreux; mais on fe mocque de lui: on lui dit qu'il fait une hiftoire à plaifir; auere embaras & autre confufion pour ce pauvre aventurier. Je fois damné dit-il,fi ce que je vous raconte n'est vrai, Tu te mocques de nous, Marquis, lui répond Montal, on feroit bien fon rendez-vous d'un jardin comme celui de Vaux, pour enlever une femme en plein

jour, & encore de la maniere que tu le viens de dire: cela ne peut feulement tomber dans l'efprit d'une perfonne qui a de la raifon. Mais mon Dieu! ajouta Mademoiselle de Barbefieux, qui connoifsoit l'humeur galante du Marquis; ne fçavez-vous pas que Mademoiselle de Sencelles ne demeure pas loin d'ici ? Et fans obliger Monfieur de Riberville à nous dire où il va, ne devrions-nous pas nous contenter de le deviner, pour n'être pas ingrates du fervice qu'il nous vient de rendre? Raillez tant que vous voudrez, Mademoiselle, reprit le Marquis; mais je meure fi je ne fuivois ce carroffe, pour la raifon que je vous ai dite. Si cela eft, répondit Madame de Mulionne, vous n'avez qu'à retourner fur vos pas; car c'eft celui de M. de Combreux qui s'en va chez lui avec Madame fa femme, & nous leur avons dit adieu en passant. Le Marquis retourna fur cette parole, fit escorte à la compagnie, & aprês quelques entretiens affez gais, le caroffe arriva où l'on devoit aller coucher. De là aprês beaucoup de complimens & de promeffes reciproques de fe vifiter, Marquis reprit le chemin de Vaux.

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Ses gens lui dirent à fon retour que la vieille étoit revenue dans le jardin avec un laquais de livrée feuille-morte, & qu'elle avoit prié le concierge, en cas qu'on eût des nouvelles de la Demoifelle, d'en faire au plutôt donner avis à Madame fa tante qui étoit à une petite

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lieue de Vaux-le-Vicomte. Ils ajouterent que cette vieille les avoit priez de ne point faire d'infulte au raviffeur, fi par hazard il tomboit entre leurs mains, & qu'il avoit eu ordre de cette tante de faire ce qu'il avoit fait. Ce n'étoit pas pour éclaircir le pauvre Marquis. Il pefta contre le Concierge de ce qu'il n'avoit pas arrêté cette vieille, & il fe coucha peu aprés avec un tel chagrin, qu'il n'en dormit pas de toute la nuit. Il étoit au defefpoir quand il vouloit chercher quelque lumiere parmi toutes ces ob fcuritez, & il ne repaffoit pas une feule fois dans fon imagination la beauté de fon inconnue, ni ne pouvoit fonger aux regards qu'il en avoit reçus, & à cette aimable melancolie avec laquelle elle avoit touché fon cœur, qu'il ne fût inconfolable de n'avoir pu empêcher fon enlevement. Il s'affoupit toutesfois vers le point du jour avec affez d'apparence de dormir enfin quelques heures; mais il n'y avoit pas long-temps qu'il fommcilloit, quand il crut entendre cette belle foupirer à l'entour de fon lit. Il fe réveilla en furfaut, & ouvrit promtement fes rideaux pour s'éclaircir, mais il ne vit rien paroître.Il accufa la force de fon imagination de cette tromperie, & tâcha de fe rendormir; mais les mêmes foupirs recommencerent & le mirent dans un trouble inconcevable. Il appella fon valet de chambre. Regardez exactement par tout, lui dît-il, s'il n'y a

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