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perfonne caché ici; mais la recherche qu'on en fit fut inutile, & ne fervit qu'à augmenter fa confufion. Il fut agité de mille differentes penfées, & fon extravagance allafi loin,qu'il crut que cette fille avoit pu mourir par quelque accident, & que fon efprit le venoit remercier de la bonne volonté qu'il avoit eue de la fecourir. Enfin ces foupirs ayant recommencé pour la troifième fois, au grand étonnement de fon valet de chambre, qui dit que la voix fembloit venir de deffous le lit, où toutefois il n'avoit rien vu; le Marquis s'éfraya, & ne put de meurer couché davantage. Il fe fit donner fa robbe de chambre, & ayant levé la tapifferie pour entrer dans fon cabinet, il fut fupris d'en trouver la porte ouverte il fe fouvint toutefois qu'il avoit oublié de la fermer. Le grand jour commençoit d'y paroître, il y croyoit diffiper fes penfées lugubres dans la lecture de quelque livre; mais pour troifiéme aventure, il n'y eut point fait le premier pas, qu'il y vit cette belle fille qui dormoit fur un lit de repos. Elle étoit couchée d'une maniere fi avantageufe pour fa beauté & dans un jour fi favorable, qu'il fembloit que fon vifage répandît des rayons de lumiere. Le fo leil levant qui entroit par une fenêtre ouverte, produifoit ce merveilleux ef fet, & en faifoit autant fur fon beau fein à demi découvert. Le Marquis en étoit tout hors de lui-même, tant par la fur

prife de cette rencontre, que par l'amour qui l'embrafa de nouveau à cette veue. Il eut befoin de toute fa fageffe pour retenir l'impetuofité de fes premiers tranf ports. Il fe contenta neanmoins de s'approcher de cette belle dormeufe, & de lui dérober quelques baifers, tandis qu'elle dormoit affez fort pour ne s'en pas fcandalifer. Il y demeura à genoux quelque temps à la contempler, puis pour ne la point éfaroucher en l'éveil lant avant que d'être habillé, il revint dans fa chambre, où il fe mit en état de la revoir avec plus de bienfeance. A peine eut-il achevé de s'habiller, qu'elle s'éveilla d'elle-même. Il y courut, & lui témoigna la joye qu'il avoit de ce qu'el le n'étoit point enlevée ; & lui ayant demandé par quelle avanture elle étoit là, il lui baifa mille fois les mains, fans qu'elle fe donnât la peine de le repouf fer. Elle lui répondit avec fa melancolie ordinaire, que comme elle étoit pour fuivie de prés, fon bonheur lui avoit fait trouver une porte ouverte à un coin du château: qu'elle s'étoit jettée dedans, pendant que fon raviffeur ne pouvoit s'en appercevoir; & qu'ayant trouvé ce cabinet entr'ouvert fous la tapifferie, elle y avoit cherché un azile, ne croyant pas que fon ennemi eût la hardieffe de l'y pourfuivre. Elle ajouta beaucoup d'excufes de la liberté qu'elle en avoit prife, à quoi le Marquis tout brûlant d'amour, nc répondit qu'en fe jettant à fes genoux,

parcequ'elle étoit encore affife fur le bord du lit, & lui ferrant tendrement la main entre les fiennes; Madame, lui dît-il d'un air tout paffionné, ce n'eft pas la feule liberté que vous avez prise dans la maifon de Vaux, & dont on vous excufe bien volontiers. Il lui conta enfuite toutes les aventures qu'il avoit eues en la voulant fecourir, & la conjura trés-instamment de lui nommer fon ennemi, afin qu'il en prît vengeance. Mais cette belle lui jettant encore un de ces regards languiffans qui l'avoient déja rendu amoureux ; Seigneur, lui répondit-elle, j'ai pour ennemi le plus honnête homme des Romains, mais je ne lui veux pas de mal: il fuffit que je puiffe éviter fa prefence. Le Marquis jugeant au mot de Seigneur dont elle ufoit qu'elle pouvoit être étrangere,& fe confirmant dans cette penfée,parcequ'on attendoit à la Cour quelques Italiens, & qu'elle n'avoit pas l'accent trop françois, fe tint dans un plus grand respect qu'auparavant. Il la fupplia de lui vouloir du moins donner quelque connoiffance de fa condition, & lui promit de la conduire en tel lieu de fureté qu'elle defireroit. La belle y répondit de cette forte.

Apprenez, genereux étranger, que je fuis la fille de ce courageux Clelius, qui fut contraint de fe retirer à Carthage pour éviter la fureur du dernier des Tarquins, & qui à fon retour contribua

beaucoup à mettre Rome' en liberté. Mon nom eft Clelie, & mes actions font fi connues, qu'il faut être des pays les plus reculez, pour les ignorer. Le Marquis comme tombé des nues à cette extravagance, reconnut auffi-tôt la nature de la maladie qu'elle avoit. Jamais homme ne fut fi furpris que lui, lorfqu'il fit reflexion fur toutes les peines qu'il s'étoit données pour une vifionaire; & il ne pouvoit fe pardonner les foucis, les craintes & les esperances qu'il avoit prifes fi ferieufement dans une avanture fi ridicule. Toutefois s'étant un peu remis, & voyant que cela n'ôtoit rien de la beauté de cette fille qui lui avoit tant plu, il fe confola, & fe réfolut d'avoir le plaifir de lui entendre faire fon hiftoire jufqu'au bout. Il la remit en train de conter, & elle n'oublia rien de toutes les intrigues ingenieufes qu'on lit dans l'hiftoire d'Aronce & de Clelie,qui font partie du roman de ce même nom.Elle commença par l'embarquement de Clelius pour paffer en Afrique; conta fon naufrage & la maniere dont il avoit fauvé le jeune Aronce. L'amour qu'Aronce prit pour elle & par quelle avanture Horace devint fon rival; le retour de Clelius à Rome aprés la fuite des Tarquins; comme Horace y fut choifi pour l'époux de Clelie, & Aronce reconnu depuis pour le fils du Roi Porfenna, ce qui fit que Clelius le préfera à Horace. Et enfin comment le

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jour qu'elle devoit époufer cet illuftre Aronce, il arriva cet épouventable tremblement de terre qui donna occasion à Horace de l'enlever à fon rival: n'oubliant rien, comme j'ai dit, de tout ce qui fuivit cet enlevement jufques à la rencontre du Prince de Numidie qui la voulut arracher à ce raviffeur. Elle remercia même en cet endroit le Marquis de Riberville qu'elle prit pour ce Prince, & érigea tout d'un temps, le canal deVaux en ce lac de Peroufe fur lequel le Prince de Numidie avoit combattu Horace.

Le Marquis reconnut encore à cette Principauté qu'elle lui donna, qu'en s'échauffant à parler de fes chimeres, elle les augmentoit infenfiblement;& le plaifir qu'il prenoit à l'entendre, ne l'empê chant pas d'avoir de la compaffion d'une fi pitoyable maladie, il crut qu'il falloit la laiffer un peu repofer, pour voir fi dans quelques bons intervalles, elle ne nommeroit pas d'autres parens que Clelius, à qui on pût donner avis qu'elle étoit à Vaux. Pour cet effet, il la mit entre les mains de la concierge, à qui il la recommanda. Cette concierge la fit mettre au lit, & donna ordre qu'elle fut fervie par quelques femmes. Cependant on vint avertir le Marquis, qu'un Gentil-homme demandoit à lui parler, & c'étoit le même que cette belle vifionnaire avoit pris pour un raviffeur le jour d'auparavant. L'impatience de fçavoir

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