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A CELLE QUI MA RAVI MON

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Avez-vous bien dormi cette nuit, Madame? vous trouve bienheureufe fi cela eft. Pour moi, je n'ai fait que penser à vous & aux moyens de vous tenir encore au même lieu où vous m'appellates bier infolent. Helas! Madame, vous y languiffiez de douleur, & je pourrois vous y voir languir de plaifir. Etesvous de celles qui s'offenfent qu'on les aime avec traufport, & qu'on leur dife tout d'un coup les pensées que leur beauté a fait naître ? Non, Madame, vous avez trop d'esprit, & il faut que vous m'aimie. Hier vos yeux me parlerent en amis de cette affaire. Ils me dirent veritablement que vous étiez une três-belle Dame, mais ils m'apprirent auffi que j'étois affez beau garçon, &qu'ils avoient du plaifir à me voir. Pai fçu d'ailleurs que vous avez un vieux mari. Tout cela, Madame, vous preferit ce qu'il faut que vous faffiez. Pai à vous dire encore que l'on me croit fi folâtre dans le monde, qu'on ne me soupçonnera jamais d'avoir une affaire fi ferieufe. Ne perdons point de temps, Madame, il n'appartient qu'aux filles de laiffer languir un amant, parce qu'elles ont leurs raifons & cela eft indigne d'une belle femme.

Cet homme - là étoit fou, dît Mademoiselle de Barbefieux. Non, lui répartit le Marquis, je croi plûtôt qu'il avoit réuffi auprês de quelques femmes par cette liberté; car il y en a de

telles que le badinage & l'éfronterie gagnent dix fois plûtôt que tous les foins qu'on leur peut rendre ; & le galant s'imagina fans doute que Madame de Mulionne fe prendroit par là. Vous l'avez deviné, dît-elle, au Marquis; mais le mal qu'il y eut pour lui, fut que les impertinences n'avoient jamais me→. rité de moi que des foufflets; ( ces mots s'adreffoient à Montal) & que cependant, ajouta-t'elle, j'avois donné effectivement de l'amour à ce petit jeune homme, ce qu'il n'avoit pas fenti pour celles auprês de qui il avoit peutêtre reuffi. Cela fervit auffi à me venger comme il faut de fon infolence : car dans la colere où fon procedé m'avoit mife, dês que je m'apperçus qu'il en tenoit tout de bon, il n'y eut point de fierté, point de mépris qu'on ne me vit affecter, afin de rabatre un peu fon orgueil. Il eut beau changer de façon de vivre avec moi, & devenir enfin auffi refpectueux, & auffi timide, qu'il avoit été hardi & éfronté ; je n'eus jamais pour lui une douce parole: je ravalai toujours les plus belles chofes qu'il difoit; je favorifai de mon entretien tous ceux qu'il en croyoit moins dignes que lui, bref, je lui fis tant de maux, qu'environ un mois aprês je fus la caufe qu'un homme que je lui avois préferé dans un bal penfa être tué. Voici comment ce malheur arriva.

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Le Baron de Greaumont (car c'étoit un Baron) m'obfedoit continuellement ; & en quelque lieu que je me trouvaffe avec lui, y eût-il des Princeffes, j'avois toujours fes premiers hommages & fes premiers foins. Il penfa donc me prendre à ce bal pour danfer le branle, & même par preference à la Marquife de Samé qui le vouloit danfer avec lui; mais je lui refufai ma main pour la donner à une autre dont je fçavois qu'il étoit jaloux quoiqu'il valût autant l'être d'un cheval de carroffe. Mon petit Baron cut bien de la peine à digerer cet affront; & je ne paffois pas de fois devant lui, quand quelqu'un menoit le branle où enfin il s'étoit fourré avec une autre, qu'il ne me jettât à raverfe quelques plaintes qui fentoient l'indignation. Mais comme j'étois curieufe de fçavoir jufqu'où pourroit aller la patience d'un homme qui avoit été fi libertin,car j'ai oublié de vous dire qu'à peine aimoit-il deux jours fes maitreffes; je n'arrêtai pas encore là mes cruautez. Etant venu une autrefois me demander ma main pour danser une courante, je la lui donnai bien, pour ne rendre pas toute l'affemblée témoin d'un petit jeu que je voulois qui ne fût qu'entre nous; mais je ne lui rendis pas fa courante & lorfqu'on m'eut reprise pour danfer, j'allai encore prendre fon benêt de rival au lieu de lui; ce qui penfa le faire defefperer.

Auffi la colere prit pour un temps la

place de l'amour: & voyant que fon rival me donnoit la main pour me remener à mon carroffe aprês que le bal fut fini; Madame, me dit-il tout haut affez fierement, j'ay l'école des femmes dans ma poche, & je vous la ferai lire quand vous voudrez. Je devinai ce qu'il vouloit dire par là, quoiqu'il eût cité affez mal à propos cette école des femmes, qui étant celle de Moliere ne pouvoit être appliquée à fon fujet. Il lui avoit fuffi, fans doute, de croire qu'en parlant d'école, on préfuppoferoit que je meriterois d'y aller pour apprendre à vivre ; mais quoiqu'il. en foit, ce furent fes propres termes. Son rival, qui fe crut obligé de lui repartir, lui dît d'un ton affez doux : Monfieur, ce n'eft pas là le moyen de gagner Madame. Oh! vraiment, reprit le petit emporté, je le fçai bien, & je ne la gagnerai jamais,à moins que je ne devienne auffi fot que vous. De ces paroles ils en vinrent à de plus hautes; ils fe querellerent, mirent tous deux l'épée à la main : mais le fot fut toujours fot, & rendit fon épée au Baron qui la lui rejetta par dedain. Cependant le vaincu avoit été blessé, & le combat faifoit du bruit. Mon galant fut contraint de fe cacher, en forte que j'eus fujet d'apprehender que cette abfence ne me fit perdre un amant fi paffionné cependant j'en reçus le lendemain un autre billet, à peu prês conçu en ces termes.

Je me fuis caché, Madame, & je tâche d'éviter la mort qu'on merite en tirant l'épée contre les défenfes du Rois parce que fi j'ai à mourir bien-tôt , je veux que ce ne soit que d'amour: mais je jure aussi que j'en mourrai à vos pieds, ou que vous me traiterez mieux. Quoi, ingrate! j'ai plus foupiré pour vous que pour dix autres : Vous êtes la premiere, s'il le faut dire pour qui j'aye fenti un veritable amour. Pai toujours été preferé où je l'ai vou lu être à la vue de tout le monde vous me preferez un fot! Ah! j'en fuis dans un defefpoir furieux ; & fi un homme comme lui eft digne de vos faveurs, je meurs de dépit de ne pouvoir m'empêcher d'y afpirer. Au moins, cruelle croyez que c'est avec des pleurs d'amour & de rage que je vous écris ceci : tar vous m'avez mis dans un état à faire pitié) qu'il ne me foit pas plus difficile de lui éter un jour votre eftime, qu'il me le fut hier de lui ôter fon épée.

Ces lettres-là, dît Mademoiselle de Barbefieux, font vraiment fort plaifantes; & je commence à aimer affez ce ftile mutin. Hé bien, quelle réponse y fîtesvous ? Bon! dît Madame de Mulionne, vous vous moquez de moi de croire que je fuffe affez fotte pour répondre à de telles folies. Eft-ce que vous y répon driez vous autres filles? Quel mal y trouvez-vous, reprit Mademoiselle de Barbefieux,quand ce n'eft que pour fe divertir? car auffi-bien ne receviez-vous pas

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