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d'écrire, on leur fera compofer quelques difcours oratoires.

Je ferai encore une réflexion, fur ce que j'ai remarqué que la plupart des jeunes gens, après avoir paffé plufieurs années à l'étude, font dans le plus grand embarras lorfqu'il s'agit d'écrire une lettre. Ceci eft néantmoins d'autant plus utile, qu'il eft d'un ufage journalier, & que ne fachant pas le faire, ils manquent à des bienféances, & à des chofes néceffaires ; ou bien s'ils écrivent mal, ils previennent contre eux. Je voudrois donc les exercer au ftyle Epiftolaire. Les lettres dans le commerce ordinaire, font, en quelque maniere, des converfations par écrit. Elles fervent à s'entretenir des affaires publiques ou particulieres, ou fervent feulement à un commerce de liaison ou d'amitié. La diction doit être pure, le tour aifé, le style clair, léger, agréaF

ble, naturel, concis ; il faut éviter la longueur. On peut être enjoüé avec fes amis mais il ne faut pas prendre un air trop libre avec ceux qu'on doit refpecter. Le rang & la dignité des perfonnes demandent quelquefois un peu d'élévation. Il faut toûjours des marques de confidération & d'amitié, pour ceux à qui l'on écrit. Le cœur doit y parfer. Les fentimens tendres & délicats rendent les lettres touchantes. Comme elles font la peinture de l'ame, elles doivent exprimer les bonnes moeurs. On trouve avec plaifir dans les lettres des traits d'efprit, des pensées ingénieuses, des tours nouveaux, une certaine élégance: mais ce n'eft qu'autant qu'ils ne fentent l'étude ni l'affectation. Les lettres d'un commerce ordinaire ne demandent point d'érudition. Cependant fi l'on y parle d'affaires ou de sciences, il faut un peu plus

d'ordre & d'application. Les Lettres de Cicéron font de vrais modeles à imiter, foit qu'il écrive à fes parens & à fes amis, foit qu'il parle d'affaires. Voiture s'est acquis une grande réputation par fes lettres : cependant il y en a beaucoup qui ne feroient pas du goût de ce fiecle; fi elles plaisent à l'efprit, elles ne touchent guere le cœur, elles manquent de fentimens. Cependant on y voit un bel efprit, toûjours en belle humeur, il donne un tour fingulier aux chofes qu'il dit : mais quelquefois affecté ; fon ftyle a quelque chofe de naïf & d'aifé dans fon affectation même: fon langage commence à vieillir. Les Lettres du C. de Buffi Rabutin font d'un homme de qualité qui a de l'efprit, il égaye ce qu'il dit. Il y a dans celles qu'il écrit au Roi une noble facilité, un tour élégant & ingénieux, elles font touchantes, elles le feroient en

core davantage fans l'air de vanité qui s'y fait quelquefois fentir. Les Lettres de Madame de Sévigné ont un air libre, des traits vifs & délicats: elle donne une grace finguliere à tout ce qu'elle dit, elle narre d'une façon nette, concife & naïve: il femble qu'elle peint. Il y a dans toutes fes lettres beaucoup de tendreffe pour fa fille, & souvent elle dit peu de chofes en beaucoup de paroles mais c'est toûjours d'une maniere agréable. On fera bien de lire les plus belles Lettres Françoifes fur toutes fortes de fujets, tirées des meilleurs Auteurs, avec des Notes par Richelet. Il n'eft pas néceffaire de faire lire aux jeunes gens les Recueils entiers des Lettres que je viens de citer, il leur fuffit d'en lire une partie, & d'en bien examiner le ftyle, le tour & l'expreffion. Les impreffions faites à l'imagination deviennent comme

naturelles, & fe préfentent d'ellesmêmes, fans, pour ainfi dire, favoir comment: on en verra l'effet en leur donnant enfuite des fujets de lettres pour écrire à différentes perfonnes, par exemple, à un Grand Seigneur, à un Miniftre, pour demander quelque grace, pour lui rendre compte de quelque chofe, ou pour lui faire compliment fur quelque évenement heureux ou malheureux. On leur fera écrire auffi quelques lettres à des parens, à des amis, à des égaux, & à des inférieurs. On y fera entrer des nouvelles, des narrations, des defcriptions. En un mot on fera écrire des lettres en tout genre & à toutes fortes de perfonnes, d'une maniere polie, felon l'ufage, & les bienféances. Après cela, lorfque les jeunes gens entreront dans le monde, ils ne feront nullement embarraffés d'écrire, & vraiffemblablement ils écriront bien.

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