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J'avoue que l'étude dont je parle dans ce Chapitre eft un peu longue: mais elle eft amufante. D'ail leurs elle eft d'une utilité infinie. Elle donne un moyen de fe diftinguer dans les emplois, rend agréable dans la fociété, forme un goût sûr pour les belles Lettres, procure pendant toute la vie des amusemens qu'on peut porter toûjours avec foi, qui délaffent des occupations férieuses, adouciffent les peines du corps, confolent dans les afflictions, fortifient la vertu, foutiennent l'ame dans l'exil & dans les fers; & contribuent à l'innocence & à la pureté des moeurs, en prévenant les fuites dangereufes de l'oifiveté.

Cependant ce n'eft pas abfolument à tort qu'on fe plaint de la décadence des lettres. Il eft à craindre que le mal n'augmente, de même qu'un corps foible & délicat dé

périt & fuccombe, lorsqu'on prend peu de foin de le conferver. C'est en partie à la Noblesse qu'il s'en faut prendre; je fuis fâché d'en convenir: il femble qu'elle croit qu'aimer les lettres ce feroit déroger: mais peut-on penfer ainfi ? Les talens de l'efprit, ou feulement le goût & le difcernement du bon & du beau ne relevè-t'il pas au contraire l'éclat de la naissance & des poftes éminens? Un Chancelier de I'Hôpital, un Président de Thou un Cardinal de Richelieu, un Cardinal du Perron, un Duc de la Rochefoucault, un Grand Condé même, un Président de Lamoignon, un Fenelon, un Saint-Evremont un Cardinal de Polignac, & tant d'autres que je pourrois citer, fans les chercher dans l'antiquité ou parmi les étrangers; ces hommes illuftres, dis-je, ont-ils dédaigné le favoir & les lettres? Ne font-ils pas à

nos yeux, encore plus recommandables par leurs talens, ou par leur amour pour les lettres, que par leur naiffance, ou par leurs dignités? C'est ajouter la fupériorité de l'efprit aux faveurs du fort. Combien celle-là n'eft-elle pas préférable à celles-ci! Ils fe font rendus refpectables dès leur vivant, ils le font après leur mort, & la mémoire en durera autant que l'empire des lettres.

Si les hommes recherchoient les chofes folides, élevées & utiles avec le même foin, & la même ardeur qu'ils recherchent les chofes frivoles, ils s'éleveroient au-deffus de la fortune; & la gloire, malgré la mort, les rendroit immortels. Doit-on beaucoup eftimer les biens fenfibles? La beauté, la grace, la force du corps paffent rapidement. La naiffance eft en quelque forte un bien étranger. Tous ces avan

tages

tages font indépendans de nous. La fortune, qui nous éleve à des poftes éminens, peut nous rabaiffer tout à coup. Mais peut-elle ôter ce qu'elle ne donne pas ? Etendelle fon empire fur la fcience, le bon goût, la fageffe? A-t'elle du pouvoir fur une ame noble, ferme, éclairée?D'ailleurs l'efprit est le guide de la vie humaine, & le foutien de la fociété. Pourquoi donc négliger ce qui peut le rendre juste, étendu, folide, agréable? L'efprit étant la plus noble partie de l'homme, il peut nous acquérir le plus de gloire, & nous diftinguer davantage des autres hommes. C'eft pourquoi chacun fe pique d'en avoir. L'amour propre lui eft tellement attaché, qu'on fe fait honneur des moindres productions de fon efprit. On veut être connu pour auteur d'un bon mot, d'une Epigramme, d'une Satyre, ou de toute autre II. Part. G

production, quoi qu'il en puiffe arriver. Un grave Auteur met fon nom à la tête d'un pieux ouvrage, où il combat l'orgueil, & veut infpirer la modeftie & l'humilité. Denys, Tyran de Syracuse, mourut de la joie extrème que lui caufa la nouvelle qu'une Tragédie, dont il étoit Auteur, avoit remporté le prix aux fêtes de Bacchus à Athenes (a).

Nous voyons auffi que de tout tems l'on a rendu autant d'honneurs aux hommes illuftres dans les lettres, qu'aux Héros & aux Conquérans. Il y a néantmoins une différence remarquable. La flaterie feule conferve des monumens à ces ambitieux, qui portent par-tout le carnage & l'effroi. C'est un refpe& intérieur & fincere, & l'amour propre même, qui décernent des honneurs à ceux qui fe diftinguent dans les lettres. Smyrne, Colophon, (*) Diod. L. 15.

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