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Chio, Salamine, & quelques autres villes fe difputerent la gloire d'avoir donné la naiffance à Homere. On frappa des (a) Médailles en fon honneur ; on lui érigea des Statues, on lui dédia des Temples comme à un Dieu. On voyoit au Théatre d'Athenes les portraits de Ménandre, d'Euripide, de Sophocle, d'Efchyle, & de beaucoup d'autres. La Statue de Demofthene étoit auprès du Temple de Mars, & celle d'Ifocrate auprès du Temple de Jupiter Olympien. L'Empereur Augufte fit élever un tombeau à Virgile; il n'y a guere que deux fiecles qu'on voyoit encore fa Statue à Mantoue. Les Nations polies fe font gloire d'honorer la mémoire de ceux qui

(4) Parmi quelques Médailles d'Homere qui nous reftent, Mylord Pembrock en a une des plus belles. On voit un bufte de ce célebre Poëte à Rome au Palais Farnele, & un marbre très-curieux qui repréfente fon Apothéofe au Palais Colonne.

fe diftinguent par les talens. A Florence l'on conferve avec foin les portraits de tous les Citoyens illuftres dans les Lettres. Les Anglois leur ont donné quelquefois la fépulture avec les Rois. A Roterdam on voit la Statue d'Erasme fur un pont au milieu de la ville. Les Faftes & les Annales fe parent des noms de ceux dont nous parlons. Avec les Princes illuftres, & les grands Capitaines, paroiffent les Orateurs, les Poëtes & les Philofophes. On honore les fiecles qui les ont produits. Quoique rarement on rende au mérite vivant toute la juftice qui lui eft dûe, la beauté de l'efprit, la fupériorité des talens, l'éminence du favoir réparent le défaut de la naiffance : les Princes & les Grands éclairés fe font honneur de diftinguer & de gratifier les Savans, & de les admettre dans leur familiarité. Un particu

lier fe fait gloire de les connoître ; il fe vante même de les avoir vûs?

Qui pourroit donc ignorer l'utilité des lettres, & penfer qu'elles peuvent être négligées fans conféquence? Ne doit-on pas regarder ceux qui s'y diftinguent & qui font un bon ufage de leurs talens, comme des lumieres qui éclairent les autres hommes ? Ne leur devonsnous pas les Archives du genre humain? Ne leur avons-nous pas l'obligation des plus fages préceptes pour le gouvernement des Etats & la conduite de la vie? Ne leur fommes-nous pas redevables d'une infinité de belles découvertes, utiles à la fociété? Ne nous ont-ils pas ouvert des routes, applani des difficultés, pour le progrès des Arts & des fciences? Ne contribuent-ils pas à nos plus doux & à nos plus honnêtes amusemens? Ne nous ontils pas confervé d'une maniere plus

utile, & plus durable que le marbre & l'airain, la mémoire des grands Hommes qui doivent nous fervir de modeles? Ne rapportent-ils pas leurs pensées, leurs fentimens, leurs paroles, leurs actions? Quelle fource de confeils, de préceptes & d'exemples pour tous les états!

Craignons de perdre tous ces avantages par la décadence des lettres. Pendant plus d'un fiecle l'efprit François a fait voir qu'il étoit capable des plus grandes & des plus belles chofes mais ce n'eft que : pour faire honte à notre fiecle, fi la Noblesse ne réforme pas fon goût. C'est elle qui donne le ton : c'est fur elle que le reste de la nation a les yeux fixés. Qu'il eft fâcheux pour le bien des lettres, de méprifer le favoir, de négliger les anciens, les bons ouvrages du dernier fiecle, & ce que nous en avons dans celuici! Peut-on trouver ailleurs autant

de

graces & de folidité? Il eft inutile de rien diffimuler. Quelle honte pour la Nobleffe d'être continuellement plongée dans l'ivresse des paffions, & de n'avoir du goût que pour ce qui les flate & les nourrit. Elle ne s'amufe qu'à des badinages, qu'à des productions bifarres & romanefques, qu'à des contes ridicules, qu'à des hiftoriettes fans vraiffemblance, qu'à des chofes, en un mot, qu'enfantent l'ignorance & le libertinage, qui offenfent la pudeur & l'innocence où nulle bienféance n'est ménagée. Ce font, il eft vrai, des avortons qui meurent en naiffant car tel eft le fort des ouvrages qui n'ont rien de folide. Mais on en eft perpétuellement infecté. Pour peu qu'on parle de tout fans réfléchir, & qu'on ne doute de rien, qu'on ait cultivé la fuperficie de fon efprit, qu'on ait l'imagination rem

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