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font fignes d'inftitution des pensées, & des carac teres des mots. On expliquera en traitant des pro-. pofitions, une verité importante fur ces fortes de fignes, qui eft que l'on en peut en quelques occa fions affirmer les chofes fignifiées.

CHAPITRE V.

Des idées confiderées felon leur compofition ou fimplicité, où il eft parlé d: la mani re de connoître par abftraction ou précision.

CE que nous avons dit en paffant dans le cha

pitre 2. que nous pouvions confiderer un mo→ de fans faire une reflexion diftincte fur la fubftance dont il eft mode, nous donne occafion d'expliquer ce qu'on appelle abftraction d'esprit.

Le peu d'étendue de notre efprit fait qu'il ne peut comprendre parfaitement les chofes un peu. compofées, qu'en les confidérant par parties, & comme par les diverfes faces qu'elles peuvent recevoir. C'eft ce qu'on peut appeller generalement connoître par abstraction.

Mais comme les chofes font differemment compofées, & qu'il y en a qui le font de parties réellement diftinctes, qu'on appelle parties integrantes, comme le corps humain, les diverses parties d'un nombre; il eft bien facile alors de concevoir que notre efprit peut s'appliquer à confiderer une partie fans confiderer l'autre, parceque ces parties font réellement diftinctes, & ce n'eft pas même ce qu'on appelle abstraction.

Or il eft fi utile dans ces chofes-là même de confiderer plutôt les parties feparément que le tout, que fans cela on ne peut avoir prefque aucune connoiffance diftinéte. Car, par exemple, le

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moyen de pouvoir connoître le corps humain, qu'en le divifant en toutes fes parties fimilaires & diffimilaires, & en leur donnant à toutes differens noms ? Toute l'Arithmetique eft auffi fondée fur cela. Car on n'a pas besoin d'art pour compter les petits nombres, parceque l'efprit les peut comprendre tous entiers; & ainfi tout l'art confifte à compter par parties ce qu'on ne pourroit compter par le tout, comme il feroit impoffible, quelque étendue d'efprit qu'on eût, de multiplier deux nombres de 8. ou 9. caracteres chacun, en les prenant tous entiers.

La 2. connoiffance par parties, eft quand on confidere un mode fans faire attention à la fubftance, ou deux modes qui font joints ensemble dans une même fubftance, en les regardant chacun à part. C'eft ce qu'ont fait les Geometres, qui ont pris pour objet de leur fcience le corps étendu en longueur, largeur & profondeur. Car pour le mieux connoître, il fe font premierement appliqués à le confiderer felon une feule dimenfion, qui eft la longueur; & alors ils lui ont donné le nom de ligne. Ils l'ont confideré enfuite felon deux dimenfions, la longueur, & la largeur, & ils l'ont appellé furface. Et puis confiderant toutes les trois dimenfions enfemble, longueur, largeur & profondeur, ils l'ont appellé folide ou corps.

On voit par là combien eft ridicule l'argument de quelques Sceptiques, qui veulent faire douter de la certitude de la Geometrie, parcequ'elle fuppofe des lignes & des furfaces qui ne font point dans la nature. Car les Geometres ne fuppofent point qu'il y ait des lignes fans largeur, ou des furfaces fans profondeur; mais ils fuppofent feulement qu'on peut confiderer la longueur fans faire attention à la largeur; ce qui eft indubitable, comme lorsqu'on mefure la diftance d'une ville à une autre, on ne

mefure que la longueur des chemins, fans fe mettre en peine de leur largeur.

Or plus on peut feparer les chofes en divers modes, & plus l'efprit devient capable de les bien connoître. Et ainfi nous voyons que tant qu'on n'a point diftingué dans le mouvement la détermination vers quelque endroit, du mouvement même, & même diverfes parties dans une même détermination, on n'a pu rendre de raifon claire de la reflexion & de la refraction. Ce qu'on a fait aisément par cette diftinction, comme on peut voir dans le chapitre 2. de la Dioptrique de Monfieur Defcartes.

ayant

La troifiéme maniere de concevoir les choses par abftraction, eft quand une même chofe divers attributs, on penfe à l'un fans penfer à l'autre, quoiqu'il n'y ait entre eux qu'une diftinction de raison. Et voici comme cela fe fait. Si je fais, par exemple, reflexion que je penfe, & que par confequent je fuis moi qui pense, dans l'idée que j'ai de moi qui penfe, je puis m'appliquer à la confideration d'une chofe qui penfe, fans faire attention que c'eft moi, quoiqu'en moi, moi & celui qui penfe ne foit que la même chofe. Et ainfi l'idée que je concevrai d'une perfonne qui penfe, pourra reprefenter non feulerent moi, mais toutes les autres personnes qui penfent. De même ayant figuré fur un papier un triangle équilatere, fi je m'attache à le confiderer au lieu où il eft avec tous les accidens qui le déterminent, je n'aurai l'idée que d'un feul triangle. Mais fi je détourne mon efprit de la confideration de toutes ces circonftances particulieres, & que je ne m'applique qu'à penfer- que c'eft une figure bornée par trois lignes égales, l'idée que je m'en formerai me reprefentera d'une part plus nettement cette égalité des lignes, & de

l'autre fera capable de me reprefenter tous les triangles équilateres. Que fi je paffe plus avant, & que ne m'arrêtant plus à cette égalité des lignes, je confidere feulement que c'eft une figure terminée par trois lignes droites, je me formerai une idée qui peut reprefenter toutes fortes de triangles. Si enfuite ne m'arrêtant point au nombre des lignes, je confidere feulement que c'eft une furface platte, bornée par des lignes droites, l'idée que je me formerai pourra reprefenter toutes les figures rectilignes, & ainfi je puis monter de degré en degré jufqu'à l'extenfion. Or dans ces abstractions on voit toujours que le degré inferieur comprend le fuperieur avec quelque détermination particuliere, comme moi comprend ce qui penfe, & le triangle équilatere comprend le triangle, & le triangle la figure rectiligne; mais que le degré fuperieur étant moins déterminé peut reprefenter plus de chofes.

Enfin il eft vifible que par ces fortes d'abftractions les idées de fingulieres deviennent communes, & de communes plus communes, & ainst cela nous donnera lieu de paffer à ce que nous avons à dire des idées confiderées felon leur univerfalité ou particularité.

CHAPITRE VI.

Des idées confiderées felon leur generalité, parè ticularité, & fingularité.

Q

UOIQUE toutes les chofes qui exiftent foient fingulieres, neanmoins par le moyen des abftractions que nous venons d'expliquer, nous ne laiffons pas d'avoir tous plufieurs fortes d'idées, dont les unes ne nous reprefentent qu'une feule

chofe, comme l'idée que chacun a de foi-même, & les autres en peuvent reprefenter également plufieurs, comme lorfque quelqu'un conçoit un triangle fans y confiderer autre chofe, finon que c'est une figure à trois ligues & à trois angles, P'idée qu'il en a formée lui peut fervir à concevoir tous les autres triangles.

Les idées qui ne reprefentent qu'une feule chofe s'appellent fingulieres, ou individuelles, & ce qu'elles reprefentent des individus, & celles qui en reprefentent plufieurs s'appellent univerfelles, communes, generales.

Les noms qui fervent à marquer les premieres, s'appellent propres, Socrate, Rome, Bucephale. Et ceux qui fervent à marquer les dernieres, communs & appellatifs, comme homme, ville, cheval. Et tant les idées univerfelles que les noms communs, fe peuvent appeller termes generaux.

Mais il faut remarquer que les mots font gene raux en deux manieres: l'une que l'on appelle univoque, qui eft lorfqu'ils font liés avec des idées generales de forte que le même mot convient à plufieurs, & felon le fon, & felon une même idée qui y eft jointe: tels font les mots dont on vient de parler, d'homme, de ville, de cheval.

des

mais

L'autre qu'on appelle équivoque, qui eft lorfqu'un même fon a été lié par les hommes idées differentes, de forte que le même fon convient à plufieurs, non felon une même idée ; felon les idées differentes aufquelles il se trouve joint dans l'usage: ainfi le mot de canon fignifie une machine de guerre, & un decret de Concile, & une forte d'ajuftement; mais il ne les fignific que felon des idées toutes differentes.

Neanmoins cette univerfalité équivoque eft de deux fortes. Car les differentes idées jointes à un même fon, ou n'ont aucun rapport naturel entre

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