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Cour, où l'on étudie & où l'on pratique mieux

l'art de plaire que par-tout ailleurs, ont der manieres fort agreables, fous lefquelles ils font paffer beaucoup de faux jugemens; & il y en a d'autres au-contraire, qui n'ayant aucun exterieur, ne laiffen: pas d'avoir l'efprit grand & folide dans le fond. Il y en a qui parlent mieux qu'ils ne penfent, & d'autres qui pensent mieux qu'ils ne parlent. Ainfi la raifon veut que ceux qui en font capables n'en jugent point par ces chofes exterieures, & qu'ils ne laiffent pas de fe rendre à la verité, non feulement lorfqu'elle eft propofée avec ces manieres choquantes & defagreables: mais lors même qu'elle eft mêlée avec quantité de fauffetés: Car une même perfonne peut dire vrai en une chofe, & faux dans une autre, avoir raison en ce point, & tort en celui-là.

Il faut donc confiderer chaque chofe feparément, c'eft-à-dire, qu'il faut juger de la maniere par la maniere, & du fond par le fond; & non du fond par la maniere, ni de la maniere par le fond. Une perfonne a tort de parler avec colere, & elle a raifon de dire vrai: & au-contraire une autre a raifon de parler fagement & civilement, & elle a tort d'avancer des fauffetés.

Mais comme il eft raisonnable d'être fur les gardes, pour ne pas conclure qu'une chofe eft vtaie ou fauffe, parcequ'elle eft propofée de telle ou telle façon, il eft jufte auffi que ceux qui defirent perfuader les autres de quelque verité qu'ils ont reconnue, s'étudient à la revêtir des manieres favorables qui font propres à la faire approuver & à éviter les manieres odieufes qui ne font capables que d'en éloigner les hommes.

Ils fe doivent fouvenir que quand il s'agit d'en

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trer dans l'efprit du monde, c'eft peu de chofe que d'avoir raifon; & que c'eft un grand mal de n'avoir que raifon, & de n'avoir pas ce qui eft neces faire pour faire goûter la raifon.

S'ils honorent ferieusement la verité, ils ne doi vent pas la deshonorer en la couvrant des marques de la fauffeté & du menfonge, & s'ils l'aiment fincerement, ils ne doivent pas attirer fur elle la haine & l'averfion des hommes, par la maniere choquante dont ils la propofent. C'eft le plus grand précepte de la Rhetorique, qui eft d'autant plus utile, qu'il fert à regler l'ame auffi-bien que les paroles. Car encore que ce foient deux chofes differentes d'avoir tort en la maniere, & d'avoir tort dans le fond, neanmoins les fautes de la maniere font fouvent plus grandes & plus confiderables que celles du fond.

En effet toutes ces manieres fieres & préfomtueufes, aigres, opiniâtres, emportées,, viennent toûjours de quelque déreglement d'efprit, qui eft fouvent plus confiderable que le défaut d'intelligence & de lumiere que l'on reprend dans les autres; & même il eft toûjours injufte de vouloir perfuader les hommes de cette forte: car il eft bien jufte que l'on fe rende à la verité quand on la connoît mais il eft injufte qu'on exige des autres qu'ils tiennent pour vrai tout ce que l'on croit, & qu'ils déferent à notre feule autorité. Et c'eft néanmoins ce que l'on fait en propofant la verité avec ces manieres choquantes. Car l'air du difcours entre ordinairement dans l'esprit avant les raifons, l'efprit étant plus prompt pour appercevoir cet air, qu'il ne l'eft pour comprendre la folidité des preuves, qui fouvent ne fe comprennent point du tout. Or l'air du difcours étant ainfi feparé des preuves, ne marque que l'autorité que celui qui parle s'attribue; de forte que s'il

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eft aigre & imperieux, il rebute neceffairement l'efprit des autres, parcequ'il paroît qu'on veut emporter par autorité, & par une espece de tyran nie ce qu'on ne doit obtenir que par la perfuafion & par la raifon.

Cette injuftice eft encore plus grande, s'il arrive qu'on emploie ces manieres choquantes pour combattre les opinions communes & reçûes; car la raifon d'un particulier peut bien être préferée à celle de plufieurs, lorfqu'elle eft plus vraie: mais un particulier ne doit jamais prétendre que fon autorité doive prévaloir à celle de tous les autres.

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Ainfi non feulement la modeftie & la prudence, mais la juftice même obligent de prendre un air rabaiffé quand on combat des opinions commuou une autorité affermie; parcequ'autrement on ne peut éviter cette injustice, d'oppofer l'autorité d'un particulier à une autorité ou publique ou plus grande & plus établie. On ne peut témoigner trop de moderation quand il s'agit de troubler la poffeffion d'une opinion reçûe, ou d'une créance acquife depuis long-temps. Ce qui eft fi vrai, que faint Auguftin l'étend même aux verités de la religion, ayant donné cette excellente regle à tous ceux qui font obligés d'instruire les autres.

Voici de quelle forte, dit-il, les Catholiques fages & religieux enfe gnent ce qu'ils doivent enfeigner aux autres: Si ce font des choses communes & autorisées, ils les propofent d'une maniere pleine d'affùrance, & qui ne témoigne aucun doute; en l'accompagnant de toute la douceur qui leur eft poffible. Mais fi ce font des chofes extraordinaires, quoiqu'ils en reconno fant très-clairement la verité, ls les proposent plutit comme des doutes & comme des questions à exa miner, que comme des dogmes & des décisions

arrêtées, pour s'accommoder en cela à la foibleffe de ceux qui les écoutent. Que fi une verité eft fi haute qu'elle furpaffe les forces de ceux à qui on parle, ils aiment mieux la retenir pour quelquetemps, pour leur donner lieu de croître & de s'en rendre capables, que de la leur découvrir en cet état de foibleffe, où elle ne feroit que les acca bler.

QUATRIEME PARTIE

DE LA

LOGIQ U E

De la Methode.

L nous refte à expliquer la derniere partie de la Logique, qui regarde la Methode, laquelle eft fans doute l'une des plus utiles & des plus importantes. Nous avons cru y devoir joindre ce qui regarde la démonstration, parcequ'elle ne confifte pas d'ordinaire en un feul argument, mais dans une fuite de plufieurs raifonnemens, par lefquels on prouve invinciblement quelque verité; & que même il fert de peu pour bien démontrer, de favoir les regles des fyllogifmes, qui eft à quoi on manque très-peu fouvent; mais que le tout eft de bien arranger fes penfées, en fe fervant de celles qui font claires & évidentes, pour penetrer dans ce qui paroiffoit le plus caché."

Et comme la démonftration a pour fin la fcience, il eft neceffaire d'en dire quelque chofe aupa

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