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Ainfi quoique la lettre de faint Clement à faine Jacque Evêque de Jerufalem, ait été traduite par ́ Ruffin, il y a près de treize cens ans, & qu'elle foit alleguée comme étant de faint Clement par un Concile de France, il y a plus de douze cens ans'; il est toutefois difficile de ne pas avouer qu'elle eft fuppofée, que puifque faint Evêque de Jerufalem ayant été martyrisé avant faint Pierre, if eft impoffible que faint Clement lui ait écrit depuis la mort de faint Pierre, comme le suppose cette

lettre.

De même, quoique les commentaires fur faint Paul attribués à faint Ambroise, ayent été cités fous fon nom, par un très-grand nombre d'Auteurs, & l'œuvre imparfait fur faint Mathieu fous celui de faint Chryfoftome, tout le monde néanmoins convient aujourd'hui qu'ils ne font pas de ces Saints, mais d'autres Auteurs anciens engagée dans beaucoup d'erreurs.

Enfin, les actes que nous voyons des Conciles de Sinueffe fous Marcellin, de deux ou trois de Rome fous faint Sylveftre, & d'un autre de Rome, fous Sixte III. feroient fuffifans pour nous perfuader de la verité de ces Conciles,s'ils ne contenoient rien que de raifonnable, & qui eût du rapport au temps qu'on attribue à ces Conciles: mais ils en contiennent tant de déraisonnables, & qui ne conviennent point à ces temps-là., qu'il y a grande ap-parence qu'ils font faux & fuppofés..

Voilà quelques remarques qui peuvent servir en ces fortes de jugemens. Mais il ne faut pas s'ima-, giner qu'elles foient de fi grand usage, qu'elles empêchent toûjours qu'on ne s'y trompe. Tout ce qu'elles peuvent au-plus, eft de faire éviter les fautes les plus groffieres, & d'accoûtumer l'efprit à ne fe pas laiffer emporter par des lieux communs qui ayant quelque verité en general, ne laiffent

pas d'être faux en beaucoup d'occafions partilieres, ce qui eft une des plus grandes fources des erreurs des hommes.

CHAPITRE X VI.

Du jugement que l'on doit faire des accidens futurs.

Es regles qui fervent à juger des faits paffés,

venir. Car comme l'on doit croire probablement qu'un fait eft arrivé, lorfque les circonftances certaines que l'on connoît font ordinairement jointes avec ce fait; on doit croire auffi probablement qu'il arrivera, lorfque les circonstances prefentes font telles qu'elles font ordinairement fuivies d'un tel effet. C'eft ainft que les Medecins peuvent juger du bon ou du mauvais fuccès des maladies; les Capitaines des évenemens futurs d'une guerre, & que Fon juge dans le monde de la plupart des affaires contingentes.

Mais à l'égard des accidens où l'on a quelque part, & que l'on peut ou procurer ou empêcher en quelque forte par les foins, en s'y expofant ou en les évitant, il arrive à plufieurs perfonnes de tomber dans une illufion qui eft d'autant plus trompeufe, qu'elle leur paroît plus raifonnable. C'eft qu'ils ne regardent que la grandeur & la confequence de l'avantage qu'ils fouhaitent, ou de l'inconvenient qu'ils craignent, fans confiderer err aucune forte l'apparence & la probabilité qu'il ya que cet avantage ou cet inconvenient arrive, ou n'arrive pas.

Ainfi lorfque c'eft quelque grand mal qu'ils apprehendent, comme la perte de la vie où de tout Teur bien, ils croient qu'il eft de la prudence de ne

negliger aucune précaution pour s'en garantir: Et fi c'eft quelque grand bien; comme le gain de cent mille écus, ils croient que c'eft agir fagement que de tâcher de l'obtenir si le hazard en coûte peu, quelque peu d'apparence qu'il y ait qu'on y réulfiffe.

C'eft par un raifonnement de cette forte, qu'une Princeffe ayant oui dire que des perfonnes avoient été accablées par la chûte d'un plancher,ne vouloit jamais enfuite entrer dans une maison fans l'avoir fait vifiter auparavant, & elle étoit tellement perfuadée qu'elle avoit raison, qu'il lui fembloit que tous ceux qui agiffoient autrement étoient imprudens.

C'eft auffi l'apparence de cette raifon qui engage diverfes perfonnes en des précautions incommodes & exceffives pour conferver leur fanté. C'est ce qui en rend d'autres défians jufques à l'excès dans les plus petites chofes, parcequ'ayant été quelquefois trompés, ils s'imaginent qu'ils le feront de même dans toutes les autres affaires C'eft ce qui attire tant de gens aux loteries : Gagner, difent-ils, vingt mille écus pour un écu, n'eftce pas une chofe bien avantageufe: Chacun croit être cet heureux à qui le gros lot arrivera; & perfonne ne fait refléxion que s'il eft, par exemple, de vingt mille écus, il fera peut-être trente mille foisplus probable pour chaque particulier qu'il ne l'obtiendra pas, que non pas qu'il Pobtiendra.

Le défaut de ce raifonnement eft, que pour ju ger de ce que l'on doit faire pour obtenir un bien, on pour éviter un mal, il ne faut pas feulement confiderer le bien & le mal en foi, mais auffi là probabilité qu'il arrive ou n'arrive pas ; & regarder géometriquement la proportion que toutes ces chofes ont ensemble: ce qui peut être éclairci par cet exemple:

Il y a des jeux où dix perfonnes mettant chacun un écu, il n'y en a qu'un qui gagne le tout, & tous les autres perdent ; ainfi chacun n'eft au hazard que de perdre un écu, & en peut gagner neuf. Si l'on ne confideroit que le gain & la perte en foi, il fembleroit que tous y ont de l'avantage : mais il faus de plus confiderer que fi chacun peut gagner neuf écus, & n'eft au hazard que d'en perdre un, il eft auffi neuf fois plus probable à l'égard de chacun qu'il perdra fon écu, & ne gagnera pas les neuf. Ainfi chacun a pour foi neuf écus à esperer, un écur à perdre, neuf degrés de probabilité de perdre un écu, & un feul de gagner les neuf écus: Ce qui met la chofe dans une parfaite égalité.

Tous les jeux qui font de cette forte font équitables, autant que les jeux le peuvent être,& ceux qui font hors de cette proportion font manifeftement injuftes: E c'eft par là qu'on peut faire voir qu'il y a une injuftice évidente dans ces efpeces de jeu, qu'on appelle loteries, parceque le maître. de loterie prenant d'ordinaire fur le tout une dixiéme partie pour fon préciput, tout le corps des joueurs eft dupé en la même maniere que fi un homme jouoit à un jeu égal, c'est à-dire, où il y a autant d'apparence de gain que de perte, dir piftoles contre neuf. Or fi cela eft défavantageux à tout le corps, cela l'eft auffi à chacun de ceux qui le compofent, puifqu'il arrive de là que la probabilité de la perte furpaffe plus la probabilité du. gain, que l'avantage qu'on efpere ne furpaffe le défavantage auquel on s'expofe, qui eft de perdre. ce qu'on y met.

Il y a quelquefois fi peu d'apparence dans le fuccès d'une chofe, que quelque avantageuse qu'el le foit, & quelque petite que foit celle que l'on hazarde pour l'obtenir, il eft utile de ne la pas. Lazarder. Ainfi ce feroit une fotife de jouer vings.

fous contre dix millions de livres, ou contre un royaume, à condition que l'on ne pourroit le gagner, qu'au cas qu'un enfant arrangeant au hahard les lettres d'une Imprimerie, compofat toutd'un-coup les vingt premiers vers de l'Eneïde de Virgile: Auffi fans qu'on y penfe, il n'y a point de moment dans la vie où l'on ne la hazarde plus, qu'un Prince ne hazardera fon royaume en le jouant à cette condition.

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Ces refléxions paroiffent petites, & elles le font en effet fi on en demeure là; mais on les peut faire fervir à des chofes plus importantes : & le principal ufage qu'on en doit tirer, eft de nous rendre plus raifonnables dans nos esperances & dans nos craintes. Il y a, par exemple, beaucoup de perfonnes qui font dans une frayeur exceffive lorfqu'ils entendent tonner. Si le tonnerre les fait penfer à Dieu & à la mort, à la bonne-heure, on n'y fauroit trop penfer; mais fi c'eft le feul danger de mourir par le tonnerre qui leur caufe cette apprehenfion extraordinaire, il eit aifé de leur faire voir qu'elle n'eft pas raifonnable. Car de deux millions de perfonnes, c'eft beaucoup s'il y en a une qui meure en cette maniere, & on peut dire même qu'il n'y a gueres de mort violente qui foit moins commune. Puis donc que la crainte du mal doit être proportionné non feulement à la grandeur du mal; mais auffi à la probabilité de l'événement; comme il n'y a guéres de genre de mort plus rate que de mourir par le tonnerre, il n'y en a guéres auffi qui nous dût caufer moins de crainte, vũ même que cette crainte ne fert de rien pour nous la faire éviter.

C'est par là non feulement qu'il faut détromper ces perfonnes qui apportent des précautions extraordinaires & importunes pour conferver leur vie &leur fanté, en leur montrant que ces précautions.

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