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mes, on donne un nom à cette proprieté, en diLant: J'appelle tout nombre qui eft divisible en deux également, nombre pair. Cela fait voir que toutes les fois qu'on fe fert du mot qu'on a défini, il faut fubftituer mentalement la définition en la place du défini, & avoir cette définition fi prefente, qu'auffi-tôt qu'on nomme, par exemple, le nombre pair, on entende précifément que c'eft celui qui eft divifible en deux également, & que ces deux chofes foient tellement jointes & inféparables dans la pensée qu'auffi-tôt que le difcours en exprime l'une, l'efprit y attache immediatement l'autre. Car ceux qui définiffent les termes, comme font les Geometres avec tant de foin, ne le font que pour abreger le difcours, que de fi frequentes circonlocutions rendroient ennuyeux, Ne affiduè circumloquendo moras faciamus, comme dit faint Auguftin; mais ils ne le font pas pour abreger les idées des chofes dont ils difcourent; parcequ'ils prétendent que l'efprit fuppléera la définition entiere aux termes courts, qu'ils n'emploient que pour éviter l'embarras que la multitude des pa roles apporteroit.

CHAPITRE XIII.

Obfervations importantes touchant la définition des noms.

A

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Près avoir expliqué ce que c'eft que les définitions des noms & combien elles font utiles & neceffaires, il eft important de faire quelques obfervations fur la maniere de s'en fervir, afin de n'en pas abufer.

La 1. eft, qu'il ne faut pas entreprendre de dé

finir tous les mots, parceque fouvent cela feroit inutile, & qu'il eft même impoffible de le faire. Je dis qu'il feroit fouvent inutile de définir de certains noms. Car lorfque l'idée que les hommes ont de quelque chofe eft diftincte, & que tous ceux qui entendent une langue forment la même idée en entendant prononcer un mot, il feroit inutile de le définir, puifqu'on a déja la fin de la définition, qui eft que le mot foit attaché à une idée claire & diftincte. C'eft ce qui arrive dans les chofes fort fimples dont tous les hommes ont naturellement la même idée, de forte que les mots par lefquels on les fignifie font entendus de la mêine forte de tous ceux qui s'en fervent; ou s'ils y mêlent quelquefois quelque chofe d'obfcur, leur principale attention néanmoins va toûjours à ce qu'il y a de clair; & ainfi ceux qui ne s'en fervent que pour en marquer l'idée claire, n'ont pas fujet de craindre qu'ils ne foient pas entendus. Tels font les mots, d'être, de penfe d'étendue, d'égalité, de durée, ou de temps, & autres femblables. Car encore que quelques-uns obfcurciffent l'idée du temps par diverfes propofitions qu'ils en forment, & qu'ils appellent définitions, comme que le temps eft la mefure du mouvement felon l'anteriorité & la pofteriorité, néanmoins ils ne s'arrêtent pas euxmêmes à cette définition, quand ils entendent parler du temps, & n'en conçoivent autre chofe que ce que naturellement tous les autres en conçoivent. Et ainfi les favans & les ignorans entendent la même chofe, & avec la même facilité, quand on leur dit qu'un cheval eft moins de temps à faire une lieue qu'une tortue.

Je dis de plus, qu'il feroit impoffible de définir tous les mots. Car pour définir un mot, on a neseffairement befoin d'autres mots qui défignent

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l'idée à laquelle on veut attacher ce mot & fi on vouloit encore définir les mots dont on fe feroit Tervi pour l'explication de celui-là, on en auroit encore befoin d'autres, & ainfi à l'infini. Il faut donc neceffairement s'arrêter à des termes primitifs qu'on ne définiffe point : & ce feroit un auffi grand défaut de vouloir trop définir, que de ne pas affez définir, parceque par l'un & par l'autre on tomberoit dans la confufion que l'on pré

tend éviter.

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La feconde observation eft, qu'il ne faut point changer les définitions déja reçûes, quand on n'a point fujet d'y trouver à redire, car il est toujours: plus facile de faire entendre un mot lorsque l'ufage déja reçû au-moins parmi les favans, l'a attaché à une idée, que lorfqu'il l'y faut attacher de nouveau & le détacher de quelqu'autre idée avec laquelle on a accoûtumé de le joindre. C'eftpourquoi ce feroit une faute de changer les définitions reçues par les Mathématiciens, fi ce n'eft qu'il y en eût quelqu'une d'embrouillée, & dont l'idée n'auroit pas été défignée affez nettement, comme peut être celle de l'angle & de la proportion dans Euclide.

La troifiéme obfervation eft, que quand on est obligé de définir un mot, on doit autant que l'on peut, s'accommoder à l'usage, en ne donnant pas aux mots des fens tout-à-fait éloignés de ceuxqu'ils ont, & qui pourroient même être contraires à leur étymologie, comme qui diroit: J'appelle parallelograme une figure torminée par trois, lignes mais fe contentant pour l'ordinaire de dépouiller les mots qui ont deux fens, de l'un de ces fens pour l'attacher uniquement à l'autre. Comme la chaleur fignifiant dans l'ufage commun, & le fentiment que nous avons, & une qualité que nous nous imaginons dans le feu tout-à

fait femblable à ce que nous fentons: pour éviter cette ambiguité, je puis me fervir du nom de chaleur en l'appliquant à l'une de ces idées, & le détachant de l'autre ; comme fi je dis, j'appelle chaleur le fentiment que j'ai quand je m'approche du feu, & donnant à la caufe de ce fentiment ou un nom tout-à-fait different, comme feroit celui d'ardeur, ou ce même nom avec quelque addition qui le détermine & qui le diftingue de chaleur prife pour le fentiment, comme qui diroit chaleur vir

tuelle.

La raifon de cette observation eft, que les hommes ayant une fois attaché une idée à un mot, ne s'en défont pas facilement ; & ainfi leur ancienne idée revenant toujours, leur fait aifément oublier la nouvelle que vous leur voulez donner en définiffant ce mot: de forte qu'il feroit plus facile de les accoûtumer à un mot qui ne fignifieroit rien dutout, comme qui diroit, j'appelle bara. une figure terminée par trois lignes, › que de les accoutumer à dépouiller le mot de parallelograme de l'idée d'une figure dont les côtés oppofés font paralleles, pour lui faire fignifier une figure dont les côtés ne peuvent être paralleles.

C'eft un défaut dans lequel font tombés tous les Chimiftes, qui ont pris plaifir de changer les noms à la plupart des chofes dont ils parlent, fans aucune utilité, & de leur en donner qui fignifient déja d'autres chofes qui n'ont nul veritable rapport avec les nouvelles idées aufquelles ils les lient. Ce qui donne même lieu à quelques-uns de faire des raifonnemens ridicules, comme eft celui d'une perfonne qui s'imaginant que la pefte étoit un mal faturnien, prétendoit qu'on avoit gueri des peftiferés en leur pendant au col un morceau de plomb, que les Chimiftes appellent Saturne, fur lequel on avoit gravé un jour de Sa

medi, qui porte auffi ie nom de Saturne, la figure... dont les Aftronomes fe fervent pour marquer cette planete, comme fi des rapports arbitraires & fans raifon entre le plomb & la planete de Saturne, & entre cette même planete & le jour du Samedi, & la petite marque dont on la défigne, pouvoient avoir des effets réels, & guerir effectivement des maladies.

Mais ce qu'il y a de plus infupportable dans ce langage des Chimiftes, eft la profanation qu'ils font des facrés myfteres de la Religion, pour fervir de voile à leurs prétendus fecrets: jufques-.. là-même qu'il y en a qui ont paffé jufqu'à ce point d'impieté, que d'appliquer ce que l'Ecriture dit des vrais Chrétiens, qu'ils font la race choifie, le facerdoce royal, la nation fainte, le peuple que Dieu s'eft acquis, & qu'il a appellé des tenebres à fon admirable lumiere, à la chimerique Confrerie des Rofecrois, qui font, felon eux, des Sages qui font parvenus à l'immortalité bienheu reufe, ayant trouvé le moyen par la pierre philofophale, de fixer leur ame dans leur corps, d'autant, difent-ils, qu'il n'y a point de corps plus fixe & plus incorruptible que l'or. On peut voir ces reveries & beaucoup d'autres femblables dans l'examen qu'a fait M. Gaffendi de la philofophie de Flud, qui font voir qu'il n'y a gueres de plus mauvais caracteres d'efprit que celui de ces écrivains énigmatiques, qui s'imaginent que les penfées les moins folides, pour ne pas dire les plus fauffes & les plus impies, pafferont pour de grands myfteres, étant revêtus des manieres de parler inintelligibles au commun des hommes.

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