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fimplement pour être connues; mais beaucou plus pour être aimées, reverées & adorées par les hommes il eft fans doute que la maniere noble, élevée & figurée dont les faints Peres les ent traitées, leur eft bien plus proportionnée qu'un stile fimple & fans figure coinme celui des fcholaftiques, puifqu'elle ne nous enfeigne pas: feulement ces verités, mais qu'elle nous repréfen→ te auffi les fentimens d'amour & de reverence a-vec lefquels les Peres en ont parlé ; & que por tant ainfi dans nôtre efprit l'image de cette fainte difpofition, elle peut beaucoup contribuer à y en imprimer une femblable, au-lieu que le ftile fcholaftique étant fimple, & ne connoiffant que des idées de la verité toute nue, eft moins capable de produire dans l'ame des mouvemens de ref pect & d'amour que l'on doit avoir pour les verités chrétiennes ; ce qui le rend en ce point non feulement moins utile, mais auffi moins agreable, le plaifir de l'ame confiftant plus à fentir des mouvemens, qu'à acquerir des connoiffan

ces.

Enfin, c'eft par cette même remarque qu'om peut réfoudre cette queftion celebre entre les anciens Philofophes; s'il y a des mots deshonnêtes,

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& que l'on peut refuter les raifons des Stoïciens,.

qui vouloient qu'on le pût fervir indifferemment: des expreffions qui font cftimées ordinairement anfames & impudentes.

Ils prétendent, dit Ciceron dans une lettre qu'il a faite fur ce fujet, qu'il n'y a point de paroles: fales ni honteufes. Car, ou l'infamie (difent-ils }} vient des chofes, ou elle eft dans les paroles.. Elle ne vient pas fimplement des chofes, puisqu'il eft permis de les exprimer en d'autres paroles qui ne paffent point pour des honnêtes. Elle n'eft pas auffi dans les paroles confiderées comme:

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Tons; puifqu'il arrive fouvent, comme Ciceron le montre, qu'un même fon fignifiant diverfes chofes, & étant eftimé deshonnête dans une fignification, ne l'eft point en une autre.

Mais tout cela n'eft qu'une vaine fubtilité,. qui ne naît que de ce que ces Philofophes, n'ont pas affez confideré ces idées acceffoires que l'efprit joint aux idées principales des chofes. Car il arrive de-là qu'une même chofe peut être exprimée, honnêtement par un fon, & deshonnêtement, par un autre, fi l'un de ces fons y joint quelqu'autre idée qui en couvre l'infamic, & fi l'autre au contraire la préfente à l'efprit d'ane maniere impudente. Ainfi les mots d'adultere, d'incefte, de peché abominable ne font pas infames, quoiqu'ils repréfentent des actions très-infames., parcequ'ils ne les reprófentene que couvertes d'un voile d'horreur, qui fait qu'on ne les regarde que comme des crimes, de forte que ces. mots fignifient plutôt le crime de ces actions. que les actions mêmes: au-lieu qu'il y a de certains mots qui les expriment fans en donner de l'horreur, & plutôt comme plaifantes que comme criminelles, & qui y joignent même une idée d'impudence & d'effronterie. Et ce font motslà qu'on appelle infames & deshonnêtes

Il en eft de même de certains tours par lefquels on exprime honnêtement des actions, qui quoique legitimes, tiennent quelque chofe de la corruption de la nature. Car ces tours font en effet honnêtes, parcequ'ils n'expriment pas fimplement ces choses; mais auffi la difpofition de celui qui en parle en cette forte, & qui témoi-gne par fa retenue qu'il les envisage avec peine,, & qu'il les couvre autant qu'il peut, & aux autres & à foi-même. Au lieu que ceux quien parJoroient d'une autre maniere, feroient paroître

L

qu'ils prendroient plaifir à regarder ces fortes d'objets : & ce plaifir étant infame, il n'eft pas étrange que les mots qui impriment cette idée foient eftimés contraires à l'honnêteté.

C'eft pourquoi il arrive auffi quelquefois qu'un même mot eft eftimé honnête en un temps, & honteux en un autre. Ce qui a obligé les docteurs Hebreux de fubftituer en certains endroits de la Bible des mots hebreux à la marge, pour être prononcés par ceux qui la liront au lieu de ceux dont l'Ecriture fe fert. Car cela vient de ce que ces mots, lorfque les Prophetes s'en font fervis, n'étoient point deshonnêtes, parcequ'ils étoient liés avec quelque idée qui faifoit regarder ces objets avec retenue & avec pudeur: mais depuis, cette idée en ayant été separée, & l'ufage y en ayant joint une autre d'impudence & d'effronterie, ils font devenus honteux, & c'est avec raifon que pour ne frapper pas l'efprit de cette mauvaise idée, les Rabbins veulent qu'on en prononce d'autres en lifant la Bible, quoiqu'ils n'en changent pas pour cela le texte.

Ainfi c'étoit une mauvaise défense à un Auteur, que la profeffion Religieufe obligeoit à une exacte modeftie, & à qui on avoit reproché avec raifon de s'être fervi d'un mot peu honnête pour fignifier un lieu infame, d'alleguer que les Peres n'avoient pas fait difficulté de fe fervir de celui de lupanar, & qu'on trouvoit fouvent dans leurs écrits les mots de meretrix, de leno, & d'autres qu'on auroit peine à fouffrir en notre langue. Car la liberté avec laquelle les Peres fe font fervis de ces mots, lui devoit faire con noître qu'ils n'étoient pas eftimés honteux de leur temps, c'est-à-dire, que l'ufage n'y avoit pas joint cette idée d'effronterie qui les rend infames & il avoit tort de conclure de là

qu'il

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lui fût permis de fe fervir de ceux qui font eftimés deshonnêtes en notre langue; parceque ces mots ne fignifient pas en effet la même chofe que ceux dont les Peres fe font fervis, puifqu'outre l'idée principale en laquelle ils conviennent, ils enferment auffi l'image d'une mauvaife difpofition d'efprit, & qui tient quelque chofe du libertinage & de l'impudence.

Ces idées accessoires étant donc fi confiderables, & diverfifiant fi fort les fignifications principales, il feroit utile que ceux qui font des dictionaires les marquaffent, & qu'ils avertiffent, par exemple, des mots qui font injurieux, civils, aigres, honnêtes, deshonnêtes ou plutôt qu'ils retranchaffent entierement ces derniers, étant toûjours plus utile de les ignorer que de les favoir.

CHAPITRE XV.

Des idées que l'efprit ajoûte à celles qui font préci fément fignifiées par les mots.

O

N peut encore comprendre fous le mot d'idées acceffoires, une autre forte d'idée que l'efprit ajoûte à la fignification précise des termes par une raifon particuliere. C'eft qu'il arrive fouvent qu'ayant conçû cette fignification précife qui répond au mot, il ne s'y arrête pas quand elle eft trop confufe & trop generale. Mais portant fa vue plus loin, il en prend occafion de confiderer encore dans l'objet qui lui eft représenté, d'autres attributs & d'autres faces, & de le concevoir ainfi par des idées plus diftinctes.

C'est ce qui arrive particulierement dans les

pronoms démonftratifs, quand au-lieu du nom pro pre, on fe fert du neutre hoc, ceci, car il eft clair que ceci fignifie cette chofe, & que hoc fignific bac res, hoc negotium. Or le mot de chofe, res, marque un attribut très-general & très-confus de tout objet, n'y ayant que le néant à quoi on ne puiffe appliquer le mot de chose.

Mais comme le pronom démonftratif hoc, ne marque pas fimplement la chofe en elle-même, & qu'il la fait concevoir comme préfente, l'efprit ne demeure pas à ce feul attribut de chofes ; il y joint d'ordinaire quelques autres attributs diftincts: ainfi quand l'on fe fert du mot de ceci, pour montrer un diamant, l'efprit ne fe contente pas de le concevoir comme une chofe préfente, mais il y ajoûte les idées de corps dur & éclatant qui a une telle forme.

mot,

& ces

Toutes ces idées tant la premiere & principale que celle que l'efprit y ajoûte, s'excitent par le mot de hoc, appliqué à un diamant. Mais elles ne s'y excitent pas de la même maniere ; car Fidée de l'attribut de chofe préfente s'y excite comme la propre fignification du autres s'excitent comme des idées que l'efprit conçoit liées & identifiées avec cette premiere & principale idée, mais qui ne font pas matquées précisément par le pronom hoc. C'estpourquoi, felon que l'on emploie le terme de hoc en des matieres differentes les additions font differentes. Si je dis hoc, en montrant un diamant, ce terme fignifiera toûjours cette chofe, mais l'efprit y fuppléera & ajoûtera, qui eft un diamant qui eft un corps dur & éclatant: fi c'est du vin, refprit y ajoûtera les idées de la liquidité, du goût & de la couleur du vin, & ainfi des autres. chofes.

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El faut donc bien diftinguer ces idées ajoû

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