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Ils font tenus de tous fes faits civils, quand ils ont rapport à la fucceffion qu'il laiffe: mais ils ne font nullement tenus de tout ce qui eft criminel, qui ne peut par conféquent être poursuivi par perfonne.

Il faut obferver à cet égard, que nous avons pouffé l'indulgence beaucoup plus loin que les Romains. Nous avons vu que chez eux, quand quelqu'un prétendoit que le crime commis donnoit lieu à des dommages & intérêts à fon profit, il pouvoit pour se les faire adjuger, pourfuivre la preuve du crime contre héritiers, quoique le coupable fût mort pendant l'appel, ou même avant. Chez nous, au contraire, le crime eft tellement éteint par la mort du coupable, qu'il n'en refte plus aucune trace, & qu'on ne peut plus faire aucune pourfuite en conféquence.

Il faut cependant remarquer avec Ricard, part. 1. chap. 3. fect. 4. n. 247. & fuiv. qu'un homme coupable des grands crimes dont on pourfuit la vengeance après la mort, en faisant le procès au cadavre, ne meurt point integri ftatus, quoiqu'il décéde pendant l'inftruction de l'appel. Tels font le crime de lèzemajesté, le suicide & le duel.

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Cette exception étoit déja établie par les loix Romaines le crime de lèze-majefté & pour le fuicide. Nous avons rapporté ailleurs les loix qui l'établiffent à l'égard du crime de lèzemajesté. Quand au fuicide, cette difpofition n'avoit lieu que contre ceux qui se tuoient eux-même pendant l'instruction, ou après la condamnation, & non contre ceux qui ne se donnoient la mort que pour se débarraffer d'une vie dont ils étoient ennuïés. C'est ce que prouvent la loi 1. §. 23. ff. de fenatufconfult. Syll. & la loi 6. 6. 7. ff. de injust. rupt. & plusieurs autres rapportées plus haut.

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SECTION III.

De l'état du condamné après le jugement en dernier ressort, quand il n'a été ni prononcé ni exécuté.

On vient de voir que le jugement en dernier reffort, lorsqu'il confirme des condamnations prononcées par le juge inférieur rend à ces condamnations tout leur effet, qui avoit été fufpendu par l'appel. Cela eft fi vrai, que les peines font exécutées de l'autorité du premier juge, & que le condamné eft toujours renvoïé dans les prifons du fiége inférieur. D'où il fuit néceffairement que

la mort civile eft encourue du jour du premier jugement confirmé.

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Mais pour que le jugement confirmatif produife cet effet, que le condamné foit réputé mort civilement du jour de la fentence, il ne fuffit pas que ce jugement ait été arrêté entre les juges: il faut qu'il ait été prononcé au condamné. Nous allons tâcher d'établir ce principe; & nous examinerons en même tems s'il n'eft pas même néceffaire que ce jugement ait été exécuté pour pouvoir influer fur la vie civile.

Ces deux questions furent agitées en 1632. au parlement de Rouen, & Bafnage, fur l'article 143. de la coutume de Normandie, nous a confervé l'efpéce, les moïens & l'arrêt, que nous allons rapporter d'après cet auteur.

Une femme, convaincuë d'avoir fait périr fon enfant, fut condamnée à mort par fentence. Ce jugement fut confirmé par arrêt, qui ordonna en même tems qu'elle feroit renvoïée fur les lieux pour être exécutée. Pendant la route elle mourut dans -une hôtellerie, & par un procès-verbal de visite de médecins & de chirurgiens, il fut conftaté qu'elle étoit morte naturellement. On agita la question de fçavoir fi le jugement feroit exécuté fur le cadavre; ou fi au contraire ce cadavre feroit enterré. La décifion de cette queftion étoit fort importante, même pour les intérêts pécuniaires; parcequ'il s'agiffoit de fçavoir fi la confifcation des biens de la défunte auroit ou n'auroit pas lieu.

Cette queftion fut portée à la tournelle du parlement de Rouen, d'où étoit émané l'arrêt confirmatif de la fentence de condamnation. M. de Soquence, qui avoit été rapporteur, étoit d'avis que le jugement devoit être exécuté, & le cadavre porté au lieu patibulaire. Cet avis fut contefté par M. du Moucel, qui entraîna beaucoup de fuffrages dans fon parti; enforte qu'il y eût partage. On voulut avoir le fentiment de la grand'chambre; & pour cet effet, on paffa par deffus la régle qui n'admet point de partage en matiére criminelle, attendu que le fentiment le plus doux doit l'emporter. Le rapporteur & ceux de fon parti difoient cependant que cette régle n'avoit point d'application dans le cas préfent; attendu qu'il s'agiffoit de l'exécution de leur jugement.

Le rapporteur, pour foutenir fon opinion, difoit que les loix Romaines ne parlent pas précisément du cas dont il s'agiffoit. Elles décident feulement que le crime eft éteint par la mort du coupable, quand elle arrive avant l'exécution, avant le jugement, & même pendant l'appel. Mais il foutenoit qu'après un arrêt

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un jugement fouverain, tout eft confommé, & la confifcation eft acquife, puifqu'elle eft prononcée par l'arrêt. La coutume, en difant que tout homme condamné à mort confifque, ne parle point de l'exécution du jugement. Cette exécution avoit même été commencée, puifque la condamnée avoit été mise entre les mains du fergent, pour être conduite au lieu de fon fupplice. Les biens d'un banni à perpétuité, qui viendroit à mourir avant fon départ, ne laifferoient pas d'être confifqués au profit du feigneur dont ils releveroient. Il y en a un arrêt du parlement de Bordeaux du 24 Avril 1534. rapporté par Papon, liv. 24. tit. 14. arrêt 1. qui a jugé que le corps d'un affaffin & incendiaire condamné à être brûlé vif, aïant été mis au feu, s'étant échappé des mains du bourreau, & étant mort la nuit fuivante, feroit conduit une feconde fois au lieu du fupplice, brûlé & mis en cendres. Il ajouta que fi l'on prenoit le parti de la douceur, il en pourroit réfulter beaucoup d'inconvéniens & d'abus : que les condamnés auroient recours au poifon & aux armes pour prévenir leur exécution, & qu'il étoit fort aifé d'avoir des certificats de médecins pour attefter que la mort feroit naturelle. Il finit, en difant que la confifcation eft formellement ordonnée par la coutume de Normandie; & que les jugemens qui ordonnent des peines, doivent être exécutés pour l'exemple, & pour imprimer de la terreur aux méchans.

Le compartiteur, pour foutenir fon opinion, difoit qu'en France on confidére deux choses dans les crimes; fçavoir l'intérêt particulier & la fatisfaction publique qui exige qu'ils foient punis. Il ne s'agiffoit point de l'intérêt particulier; qu'à l'égard de la peine, on doit fuivre la difpofition des loix civiles, qui portent que morte rei crimen extinguitur. Sur quoi il citoit la loi 6. ff. de publ. jud. & la loi 20. ff. de pænis. Pana in hominum emendationem ftatuta definit mortuo eo in quem eft conftituta. Le jugement ne peut être réputé parfait que quand il a été prononcé au condamné. Or, dans ce cas-ci, il ne lui avoit pas été prononcé; & quand il l'auroit été, l'exécution ne pouvoit plus fe faire comme elle avoit été ordonnée. Elle ne pourroit avoir lieu que fur un cadavre, contre lequel on ne peut procéder, fans lui faire créer un curateur. Le criminel, jufqu'à l'exécution, peut espérer fa grace. Elle peut lui être accordée, foit par la miféricorde du fouverain, foit par quelque cas fortuit. Autrefois la rencontre d'une Veftale fauvoit la vie, & la venuë & l'entrée d'un Roi, ou des fujets de rejouïffance publique opérent quelquefois le même

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effet. Puis donc qu'un condamné est toujours en état de recevoir fa grace, il ne peut être privé de cette attente, jufqu'au dernier foupir de fa vie. La condamnée & ses héritiers doivent profiter de cet heureux évenement.

Quant à l'exemple que l'on doit au public, cette considération ne doit point préjudicier à l'intérêt des particuliers.

A l'égard de la confiscation, c'est l'exécution feule du jugement qui la produit. Les coutumes qui ordonnent la confifcation difent que qui confifque le corps confifque auffi les biens. Ce qui fignifie que, pour que les biens foient confifqués, il faut que le corps le foit auffi, & par conféquent, que l'exécution foit faite. C'est ainsi que l'explique Chaffanée, fur la coutume de Bourgogne, titre des confifcations, art. 1. au mot, qui confifque le

corps.

Par arrêt du 10 Février 1632. l'avis du compartiteur fut fuivi.

Il est constant qu'il ne doit pas y avoir de difficulté à décider que le jugement ne produit fon effet que quand il a été prononcé au condamné. Cette pononciation tient lieu de fignification. Or il eft certain qu'un jugement, en quelque matiére que ce foit, ne peut produire d'effet qu'après la fignification faite à celui contre qui il a été obtenu. Et cette fignification eft fi néceffaire, que quand la condamnation eft par contumace, on la fignifie à la partie condamnée, à fon domicile. En un mot cette prononciation eft prescrite par l'ordonnance de 1498. art. 106.& par celle de I 535. art. 44. Et Carondas, en fes obfervations, au mot arrêt, dit qu'il a été jugé que fi le prifonnier meurt devant l'arrêt, integro ftatu moritur, & ejus bona ad ipfius haredes pertinebunt; parceque, quoique l'arrêt foit conclu & figné du confeiller & du préfident, & mis au greffe, il n'a aucun effet, tant qu'il n'eft pas prononcé. Il en eft de même d'une fentence. Brodeau, lettre C. fom. 47. nombre 10. rapporte un arrêt du 20 Décembre 1613. qui a jugé la question d'une manière bien précise. Un particulier nommé Julien Prevôt, pour réparation d'un meurtre par lui commis, eft condamné à mort par fentence du bailli de Vendomois. Cette fentence eft confirmée par arrêt du 11 Avril 1570. Le coupable eft renvoïé fur les lieux, pour y être exécuté. En route il corrompt le meffager & les fergens, & fe retire à faint Malo, où il change de nom, fe marie & a nombre d'enfans On néglige de lui faire fon procès pour raifon de fon évasion. Enfin quarante ans après l'arrêt il interjette appel de la faifie de fes

biens & de l'emprisonnement de fa perfonne, & foutient que le crime & l'arrêt font également prefcrits. Grande queftion, fi la condamnation contradictoire n'a point interrompu la prefcription. Le crime étoit conftaté, la condamnation étoit prononcée par un arrêt contradictoire, le coupable avoit été livré au fupplice; que falloit-il de plus pour l'avoir couvert d'infamie, & pour lui

avoir fait encourir la mort civile? Néanmoins toutes ces confidérations furent impuiffantes; parceque l'arrêt n'avoit pas été notifié au coupable; on ne le lui avoit pas prononcé.

Mais il y a beaucoup plus de difficulté à décider fi l'exécution eft auffi néceffaire que la prononciation, pour que le condamné foit réputé mort civilement : & l'on peut ajouter beaucoup de raifons à celles qui ont été alléguées par le rapporteur & par le compartiteur, lors de l'arrêt dont nous venons de parler d'après Bafnage.

Quoi qu'en ait dit le compartiteur, il eft conftant que les loix Romaines regardent le condamné comme mort civilement dès l'inftant de la condamnation. Elles ont à ce fujet des textes précis. La loi 10. §. 1. ff. de pœnis, s'exprime ainfi: Qui ex causâ in metallum dati funt, & poft hoc deliquerunt, in eos, tanquam metallicos conftitui debet, quamvis nondùm in eum locum perducti fuerint, in quo operari habent. Nam ftatim ut de his fententia dicta eft, conditionem fuam permutant.

La loi 29. ff. eod. eft auffi précise. Qui ultimo fupplicio damnantur, ftatim & civitatem & libertatem perdunt. Itaque præoccupat hic cafus mortem , nonnunquam longum tempus occupat. Quod accidit in perfonis eorum qui ad beftias damnantur: fæpè enim ideò fervari folent poft damnationem, ut ex his in alios quæftio habeatur.

Enfin la loi 6. §. 6. ff. de injust. rupt. irrit. fa&t. teftam. est aussi précise que les précédentes. Sed & fi quis fuerit capite damnatus, vel ad beftias, vel ad gladium, vel aliâ pœnâ que vitam adimit, teftamentum ejus irritum fiet; & non tunc, cum confumptus eft, fed cùm fententiam paffus eft. Nam pœna fervus efficitur.

Après des textes auffi clairs, il n'eft pas permis de douter que la mort civile étoit encourue chez les Romains avant l'exécution; & les loix citées par le compartiteur ne contiennent rien de contraire à ces difpofitions. 1°. L'axiome qu'il cita, mortuo reo, crimen extinguitur, s'entend de celui qui n'eft encore qu'accufé, & non du condamné.

2o. La loi 6. ff. de public. jud. n'est pas plus en fa faveur : en voici les termes: Defuncto eo qui reus fuit criminis, & pœna extincta,

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