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Des effets de la mort civile.

OUT ce qui a été dit jufqu'à préfent prouve qu'un homme mort civilement eft regardé, par la fociété, comme s'il étoit mort naturellement. Ce n'eft plus, à fes yeux, qu'un être fans vie, qui ne communique avec perfonne, & avec qui perfonne ne communique. Il tombe donc dans une incapacité totale de tous les actes qui conftituent la vie civile. Ainfi il semble d'abord qu'il fuffiroit, pour exprimer les effets de la mort civile, de dire en général, que celui qui l'a encouruë eft incapable d'aucun contrat, & d'aucun des actes qui fe font entre ceux qui jouiffent de la vie civile: mais comme cette incapacité donne lieu à quelques questions, fur chacun de ces actes, il nous paroît nécesfaire d'entrer dans un certain détail, à cet égard.

D'un autre côté, il eft conftant que les droits & les poffeffions qui lui font ravis par la mort civile, doivent néceffairement paffer à d'autres, foit à titre fucceffif, soit par toute autre voïe.

Ce livre se divife donc naturellement en deux articles, qui renferment tous les effets de la mort civile. Dans le premier, nous examinerons les incapacités qui en réfultent; & dans le second, nous examinerons les droits des tiers, auxquels la mort civile donne ouverture.

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ARTICLE PREMIER.

Des incapacités résultant de la mort civile.

Es incapacités, comme nous l'avons dit, ont pour objet tous les actes qui forment la vie civile.

Ces actes, en général, font ou les contrats qui résultent de la convention des parties, où le mariage, ou le droit de se préfenter en jugement, foit pour y former des demandes, foit pour fe défendre contre celles que l'on peut intenter contre nous, foit pour y porter témoignage de faits dont nous avons connoiffance,

ou enfin ceux qui résultent, dans le païs de droit écrit, de la qualité de pere, rélativement aux enfans qui font fous la puiffance paternelle.

Les contrats peuvent, par rapport à la matiére que nous traitons ici, se divifer en deux espèces; en contrats ou acquifitions à titre onéreux, & en contrats, ou acquifitions à titre gratuit.

Les acquifitions à titre onéreux font celles par lesquelles on acquiert une chose en païant la valeur en argent, ou en autres chofes, ou à de certaines charges & conditions, comme l'achat, l'échange, &c.

Les acquifitions à titre lucratif, au contraire font celles par lefquelles on acquiert une chofe fans qu'il en coûte rien, & fans charge telles font celles qui procédent d'une donation, d'un legs, &c.

Nous diviferons donc cet article en fix chapitres.

Dans le premier, nous confidérerons les incapacités par rap port aux contrats onéreux.

Dans le fecond, les incapacités par rapport aux acquifitions à titre gratuit.

Dans le troifiéme, l'incapacité de fe marier.

Dans le quatrième, l'incapacité d'efter en jugement.

Dans le cinquiéme, l'incapacité de porter témoignage, soit en juftice, foit dans un teftament.

Dans le fixiéme, nous parlerons de la perte de la puissance paternelle, dans les païs de droit écrit.

Outre les actes dont nous venons de parler, on peut encore confidérer trois circonftances, dans lefquelles un condamné peut fe trouver, & fur lefquelles la mort civile produit des effets. Il peut être noble; il peut pofféder un bénéfice, ou un office. Ainfi aux fix chapitres, dont nous venons de parler, nous en ajouterons trois autres, dans chacun defquels nous examinerons un de ces objets.

CHAPITRE I.

Des incapacités par rapport aux contrats onéreux.

UIVANT les loix Romaines, les condamnés à une peine

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qui les dégradoit de la qualité de citoïen, pouvoient faire des acquifitions à titre onéreux, parcequ'ils avoient le pouvoir

de faire tous les actes & contrats qui dérivent du droit des gens. Deportatus civitatem amittit, non libertatem, non libertatem, & speciali quidem jure civitatis non fruitur, jure tamen gentium utitur. 1. 15. ff. de interdict. & relegat. & deportat. Cette loi, après cette décifion générale, indique quels font les contrats qui dérivent du droit des gens, & dont l'usage n'eft point interdit à ceux qui font en état de mort civile. Emit enim & vendit, locat, conducit, permutat, foenus exercet, & cætera fimilia. Ibid.

Cependant les conftitutions des Empereurs bornoient la faculté de commercer, que le droit des gens donnoit aux morts civilement. Ex lege Augufti, deportatis non licet habere nifi naves actuarias duas, & onerariam unam, quæ non fit plus quàm amphorarum mille. Coercetur acquirendi & negotiandi libertas. Nam & fervos & libertos, ex eâdem lege, plus quàm viginti, in bonis plus quàm viginti quinque millia feftertium habere non poffunt. Itaque negotia juris gentium deportatus contrabere, nifi ufque ad certum modum, non poteft. Leges modum imponunt donationibus, teftamentis, emptionibus.

Il eft donc certain que, fuivant les loix Romaines, la mort civile n'empêchoit point d'acquérir à titre onéreux, & de vendre ce qu'on avoit acquis: en un mot, elle ne portoit aucune atteinte à la capacité active & paffive, par rapport à ces fortes de contrats : mais ces biens ainfi acquis paffoient au fifc, après la mort naturelle de l'acquéreur. Et pofteà quæfita pignori dare poteft, nifi in fraudem fifci, qui ei mortuo fucceffurus eft, ea obliget. Priora enim bona, quæ publicata funt, alienare non poteft. l. 15. ff. de interd. & relegat. & deportat.

Cujas, en fes obfervations, lib. 6. cap. 23. nous apprend la raifon de cette difpofition : c'eft, dit-il, parcequ'un homme mort civilement ne peut pas avoir d'héritiers. Poft deportationem acquifita, mortuo deportato, ad fifcum pertinere, quia deportatus eft capitis minor, & hæredem habere non poteft.... Mortem deportati, nec reftituti & revocati exigimus, ut pofteà quæfita fifco obveniant. Vivus namque is utitur fuo jure.

Dans la fuite, les Empereurs fe relâchérent de cette rigueur, & abandonnérent aux héritiers du condamné les biens même qui avoient été confifqués, comme nous le dirons ailleurs, en parlant de l'ouverture de la fucceffion d'un homme mort civilement. Nous remarquerons feulement ici, à cette occafion, que, comme les héritiers fe trouvoient, par-là fubrogés aux droits du fifc, cela ne changeoit rien à l'état du condamné, qui pouvoit également acquérir des biens & en jouïr; enforte qu'ils ne

paffoient à fes héritiers qu'après la mort naturelle, de la même maniére que quand le fifc y fuccédoit.

Telle étoit la jurifprudence des Romains fur cette matiére, & nos auteurs décident prefque tous unanimement, que la même chofe s'observe parmi nous, & que celui qui eft mort civilement peut jouïr des biens par lui acquis depuis sa mort civile

encouruë.

Carondas, en fes obfervations, au mot banni, rapporte un arrêt du cinq juillet 1558. qui a jugé qu'un homme banni à perpétuité hors du roiaume pouvoit trafiquer en France par correfpondant, n'étant pas de pire condition qu'un étranger, & n'étant pas mort civilement à l'égard du païs où il demeure. Or cette permiffion de trafiquer renferme néceffairement les facultés qui conftituent le trafic; c'est-à-dire, d'aliéner & d'acquérir.

Le Brun, en fon traité des fucceffions, liv. 1. ch. 2. fect. 2. n. 9. dit qu'on fuccéde aux acquifitions faites par un homme condamné au banniffement perpétuel, depuis fa condamnation exécutée. D'où il fuit que cet auteur convient qu'un homme en cet état peut acquérir.

Nous croïons que, pour décider de la capacité de ceux qui font dans les liens de la mort civile, par rapport aux contrats dont il eft ici question, il faut diftinguer les différentes causes qui opérent la mort civile.

Si elle provient d'une condamnation à mort naturelle prononcée par contumace, nous avons bien de la peine à croire qu'elle laiffe à celui qui l'a encouruë la faculté de contracter, au moins dans le roïaume. En effet, en vertu du jugement contre lui prononcé, on doit le regarder non feulement comme n'exiftant plus dans la fociété ; mais comme retranché du nombre des vivans. Il répugne que la juftice autorife des actes émanés d'un homme qu'elle a cru digne du dernier fupplice, qu'elle y a condamné, & qui eft cenfe ne l'avoir évité que par la fuite. Elle a prononcé fa mort, elle la lui a fait fubir fictivement; & fuivant les loix introduites par rapport aux fictions, il eft impoffible qu'elle puiffe le compter au nombre des êtres

vivans.

Il n'en eft pas tout-à-fait de même à l'égard de ceux qui n'ont pas été condamnés à la mort naturelle; mais feulement à une peine qui, en leur laiffant la vie, les retranche du nombre des citoïens comme les galères, ou le banniffement hors du

roïaume à perpétuité. La justice a cru devoir leur laiffer la faculté de vivre. Elle leur a enlevé l'être civil: mais elle leur a laiffé l'être phifique, & même l'être moral. N'aïant pas voulu le leur enlever, elle tolére qu'ils ufent des moïens qu'ils peuvent tirer de leur industrie, pour se le conserver. Elle ferme les yeux fur la ftricte rigueur du droit, & leur laiffe une faculté dont ils devroient être privés, fi l'on ne croïoit pas devoir ufer d'indulgence envers eux. C'est pourquoi on leur laifsse la liberté du commerce; pourvu cependant qu'ils ne paroiffent pas dans les lieux dont l'entrée leur eft interdite. Le condamné aux galères, par exemple, ne peut pas, fous prétexte qu'il peut commercer, quitter le port de mer où font les galères, & le banni ne peut pas entrer dans le roïaume.

Nous examinerons ailleurs ce que deviennent, après leur mort naturelle, les biens qu'ils ont pû acquérir depuis la mort ci

vile encouruë.

Cette faculté de vendre & d'acquérir ne s'étend cependant pas à tous les actes tranflatifs de propriété à titre onéreux. Ils ne font absolument capables que de ceux qui dérivent du droit des gens, & nullement de ceux qui ont été introduits par le droit civil. Ainfi ils ne pourroient pas exercer le retrait lignager fur un héritage aliéné par un de leurs parens. La raifon eft que cette faculté dérive d'un droit que la mort civile leur a ravi: c'est le droit d'agnation, auquel feul les loix civiles ont accordé ce privilége. Ils font retranchés de la fociété, & par conféquent de la famille dont ils faifoient partie. C'est le fentiment de tous les commentateurs de la coutume de Paris, & celui de Bafnage, fur l'article 452. de la coutume de Normandie : & il doit être fuivi.

CHAPITRE I I.

De l'incapacité active & passive par rapport aux acquifitions à titre gratuit.

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Es acquifitions à titre gratuit peuvent être confidérées ici fous deux points de vue, rélativement à celui qui acquiert, & rélativement à celui qui tranfmet. Ainfi, fur chaque espèce d'acquifition de cette nature il s'éleve néceffairement deux

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