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Bacquet, en fon traité des droits de juftice, chap. 4, n.11, dit que meffieurs les gens du Roi foutiennent que les créanciers ne peuvent demander le païement de leurs dettes fur les biens confifqués au profit du Roi pour raifon du crime de lèze-majesté; parceque, dans ce cas, la réunion fe fait au domaine, pour crime de félonie commife par le vaffal contre fon feigneur. Or, difentils, en cas de félonie, le fief retourne au feigneur dominant purement & fimplement, & dans l'état où il étoit lors de la conceffion originaire qui en a été faite, fans qu'il ait pû être chargé d'aucune dette, hipotéque, ou autre charge, par le vaffal, au préjudice du feigneur féodal.

Brodeau, fur Louet, lett. C, fomm. 53, dit que la vengeance & la punition du crime de lèze-majesté, qui eft le plus énorme &, pour nous fervir des termes de cet auteur, le folftice des crimes, emporte tout par un privilége fpécial; parceque les fujets du Roi, en naiffant, contractent l'obligation de lui garder fidélité; enforte que le Roi eft le premier créancier, & exclut tous les autres.

Nous penfons que l'avis de ces auteurs doit être fuivi. Un crime auffi énorme, & auffi préjudiciable à la fociété, ne doit point être puni comme les crimes ordinaires. On doit paffer par deffus toutes les régles, lorfqu'il s'agit de la punition d'un attentat dont les fuites ne vont à rien moins, dans certaines circonstances, qu'à la ruine totale de la fociété. ·

Nous finirons cette Diftinction par l'examen d'une question, qui confiste à fçavoir fi la remise d'une confifcation faite aux enfans d'un condamné, a lieu au préjudice des dettes qu'il a contractées depuis fa condamnation?

Bafnage, fur l'article 143 de la coutume de Normandie, rapporte l'efpéce d'un arrêt qui l'a jugée in terminis. Un nommé Helie Laurens fut condamné en 1580. aux galères à perpétuité. Le cardinal de Lorraine, auquel appartenoit la confifcation comme abbé de Fécamp, remit fon droit aux enfans du condamné. Helie Laurens, nonobftant fa condamnation, continua de vivre comme une perfonne libre. Il parut en juftice, tant en demandant, qu'en défendant, & contracta des dettes. Il fe chargea entr'autres d'une rente conftituée au profit d'un nommé Brument, qui, après la mort de Laurens arrivée en 1610, fit faifir réellement & adjuger tous fes héritages.

Un nommé Dujardin obtint en 1614. du cardinal de Joïeufe, fucceffeur du cardinal de Lorraine, le don des héritages de Lau

rens, qui avoient été confifqués, & s'en fit envoïer en poffeffion. Sur l'appel interjetté par Brument, la fille de Laurens intervint dans la caufe, & demanda la propriété des biens de fon pere, en vertu de la remife de la confifcation qui lui avoit été faite par le cardinal de Lorraine. Elle obtint, en tant que de befoin, des lettres de loi apparente, & interjetta incidemment appel du décret.

Le défenfeur de Brument difoit que Laurens, depuis fa condamnation, avoit vécu plus de vingt ans comme perfonne libre, & qu'il avoit contracté en cette qualité. Qu'on ne pouvoit blâmer les contrats faits avec lui dans la bonne foi. Error communis facit jus. Il avoit vraisemblablement obtenu des lettres de rappel, fans quoi la cour ne l'auroit pas laiffé fortir des prisons, après fon jugement, fans le faire aller aux galères. On devoit donc penfer qu'il avoit vécu librement & comme citoïen, & qu'en cette qualité il avoit jouï de fon bien.

Dujardin, donataire de la confifcation, difoit qu'un homme condamné aux galères eft efclave de la peine, & incapable de contracter. Ainfi le décret étant fondé fur un contrat nul en foi, il ne pouvoit fubfifter, d'autant plus qu'il ne paroiffoit aucune grace du Roi, aucune lettre de rappel. Qu'à l'égard de la fille, le don n'avoit été ni insinué, ni exécuté.

La fille difoit que fes deux parties adverfes détruifoient mutuellement leur droit. Que le cardinal de Lorraine aïant eu qualité pour remettre la confifcation, la propriété en avoit été acquife aux enfans, fans que leur pere pût ni les hipotéquer, ni les engager, n'aïant point été rétabli contre la condamnation. Quoique le condamné eût vécu comme une perfonne libre, & qu'on eût fermé les yeux fur fon état, il n'en étoit pas moins dans les liens de la mort civile. On trouve un exemple prefque semblable dans une épître de Pline, liv. 10, adreffée à l'empe reur Trajan. Plufieurs perfonnes avoient été condamnées aux métaux. On les avoit emploïées à quelques offices publics. Pline confulta l'empereur fur ce qu'il en falloit faire. Nam reddere pœna plerofque jam fenes nimis feverum, & in publicis officiis retinere damnatos non fatis honeftum, & ut decreta, quibus damnati erant, proferebantur, ita nulla monumenta erant, quibus liberati probarentur; quidam dicebant juffu proconfulum legatorumve dimiffos. L'empereur répondit: Qui intrà decem annos damnati, nec ullo idoneo authore liberati, bos oportebit pœnæ fuæ reddi: fi qui vetuftiores inveniantur, diftribuantur in ea minifteria qua non longè à pœnâ fint. Ainfi, quoiqu'on

diffimule pendant long-tems la peine d'un homme condamné, & que la condamnation ne foit point exécutée, il n'acquiert pas pour cela fa liberté. Lorfque ceux qui demandent les biens du condamné font fes enfans, & qu'ils font d'ailleurs fondés en titre, ils font toujours favorables. Par arrêt du 15 Décembre 1616. Les biens de Laurens furent adjugés à fes enfans, avec reftitution de fruits.

DISTINCTION VII.

De quel jour les biens du coupable font hipotéqués & acquis au fifc.

C'est une question fort controverfée, de fçavoir de quel jour les biens du coupable font hipotéqués au fifc pour la confifcation. Nous allons l'examiner d'après Bafnage, en fon traité des hipotéques, ch. 13.

Mornac en fa préface fur le titre de pignor. & hypoth. au digefte, dit qu'il n'y a aucune loi qui détermine clairement de quel jour commence l'hipotéque provenante des crimes; fi c'est au moment qu'ils font commis, ou au moment que le jugement se prononce. Il attefte que, de fon tems c'étoit l'opinion commune du barreau, que, pour les crimes atroces, l'hipotéque devoit commencer du jour du délit, & pour les moindres crimes, du jour de la condamnation seulement.

Mais cette diftinction ne peut pas avoir lieu. Elle est trop vague ne décide rien, & porte à faux : car, outre qu'on ne s'accorderoit pas fur la qualité des crimes, quoique les amendes & réparations civiles doivent être proportionnées à l'énormité du délit, l'obligation que le criminel contracte a toujours le même principe; par conféquent l'hipotéque doit être la même.

Parmi les auteurs françois, les uns ne la font commencer que du jour du jugement; parceque la peine n'étant encourue que du jour de la condamnation, le fifc, ou ceux qui font à ses droits, ne peuvent rien demander auparavant. Ex judiciorum publicorum admiffis non aliàs tranfeunt adversùs hæredes, pœnæ bonorum / ademptionis, quàm fi lis conteftata, & condemnatio fuerit fecuta. l. 20. ff. de accufat.

On s'appuïe encore fur l'article 53. de l'ordonnance de Moulins, qui veut que l'hipothéque pour les chofes jugées n'ait lieu que du jour du jugement.

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Merlin, de pignor. & hypoth. liv. 3, tit. 3, queft. 88, n. ir, penfe auffi que, comme le fifc ne s'empare des biens du coupable, que par l'autorité du juge, & pour la vindicte publique, le crime, par lui-même, ne lui donne aucun droit. En un mot, fifc ne peut être créancier qu'après la condamnation.

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La coutume de Troyes, art. 120, titre des juftices, donne au feigneur haut-jufticier la confifcation au tems & heure de la déclaration, fi ce n'eft pour crime de lèze-majesté.

D'autres auteurs prétendent que tous les biens du coupable font hipotéqués au fifc & à la partie offenfée, dès l'inftant que le crime eft commis. La plupart des anciens interprétes du droit prétendent qu'il contracte une obligation en devenant coupable; parcequ'il confent tacitement à la peine. Or, quand il s'agit d'acquérir un droit à quelque chofe, on doit avoir égard au jour du contrat. L'ancienne coutume de Bretagne, art. 188, & la nouvelle, art. 178, le décide ainfi; & d'Argentré dit que cette queftion partageant fi fort les fentimens, il feroit à fouhaiter qu'il y eût une loi pofitive; & que, fans doute, le criminel contracte hipotéque du jour du défit.

Tiraqueau, de retractu conventionali, §. 5, glof. 4, n. 2, & feq. Chopin, de domanio, lib. 2, tit. 5, n. 5. Grimaudet, liv. 4, ch. 32, du retrait lignager, font du même avis; & il y a un arrêt du parlement de Rouen du 30 Janvier 1619, qui femble l'avoir décidé. Un crime avoit été commis dans le territoire de la justice de Coutances, & par arrêt le procès fut renvoïé devant le juge de Bayeux, où intervint une condamnation d'amende, qui fut reçue par le receveur du domaine de Bayeux. Celui de Coutances en demanda la reftitution; & elle lui fut adjugée : mais cet arrêt ne décide pas abfolument la queftion. Le crime avoit été commis dans le territoire de Coutances; le procès y avoit été commencé, & le juge de Bayeux n'en avoit connu qu'en vertu du renvoi qui lui en avoit été fait. Or la prétention de celui des deux receveurs qui a fait tous, ou prefque tous les frais du procès, est, fans contredit, la mieux fondée.

Il y a des auteurs qui, pour concilier ces deux opinions dont l'une fait remonter l'hipotéque jufqu'au jour du crime commis, & l'autre ne la fait remonter que jufqu'au jour de la condamnation feulement, difent qu'il faut diftinguer. Quand la loi impofe une peine certaine & ordinaire, la peine eft réputée contractée dès le moment du délit : Quia nihil reftat in officio judicis, nifi ut declaret an tale delictum commiffum fit, & an appellatia, vel

litis conteftatio in jure fundata fit, & hoc cafu, facti quæstio est in poteftate judicantis. Juris auctoritas & poteftas non eft. L. 15, ff. ad Municipalem. Mais quand la peine eft arbitraire, & qu'il eft au pouvoir du juge d'ordonner une peine, ou de ne pas l'ordonner; comme elle n'a d'autre fondement que la fentence, l'hipotéque ne doit commencer que de ce tems-là.

Suivant cette diftinction il faudroit faire différence entre l'hipotéque de l'amende, & l'hipotéque des réparations civiles. Comme l'amende eft toujours arbitraire, & dépend de la volonté du juge, elle n'eft dûe qu'après la fentence, & par conféquent, l'hipotéque ne commence que du jour même de la fentence: mais pour les réparations civiles, quoique la quotité dépende de la volonté du juge, il eft cependant obligé d'en accorder; ainfi l'obligation eft néceffairement contractée par la feule perpétration du crime.

D'autres auteurs ont encore embraffé un autre parti. Ils foutiennent que l'hipotéque de l'amende & des réparations civiles ne doit commencer que du jour de la conteftation en cause, quia per eam quafi contrahitur. Glof. in l. 2. §. fin. de prætoriis ftipul. Et l'on peut dire qu'en matiere criminelle la contestation eft cenfée fe faire par les appeaux à ban, & par l'annotation des biens. Tunc quafi contrabunt.

Comme ce n'eft pas affez pour établir une hipotéque, d'avoir une obligation, fi elle n'est pas en forme; quoique celui qui commet un crime contracte une obligation tacite, & affecte par ce moyen, fes biens à l'amende & à la réparation civile de la partie offenfée; cependant l'une & l'autre ne font dûes que du jour que la demande en a été faite, & que le crime a été rendu notoire & public. En effet il eft conftant qu'on peut prêter à un homme coupable, & qu'on peut acheter de lui, lorsqu'on eft dans la bonne foi.

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Cela fuppofé, fi les contrats faits avec le criminel font aurentiques, ils feront fans doute préférés aux droits du fifc & de la partie civile. Car, quoiqu'il foit vrai, comme on vient de le dire , que celui qui offenfe quelqu'un devient dès ce moment, obligé envers lui pour les intérêts; que l'offenfé air un droit acquis fur les biens du coupable, & que la condamnation, qui intervient enfuite, n'ajoûte rien à l'obligation, & déclaret potiùs quàm de novo inducat; ce raifonnement ne conclut rien à l'égard d'un tiers, qui a pû contracter valablement avec un criminel, lorfque fon crime étoit encore inconnu.

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