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Il faut cependant convenir qu'à proprement parler, l'état d'un homme qui s'eft représenté à la faveur des lettres pour efter à droit dépend de l'événement du procès. S'il eft condamné derechef à une peine emportant mort civile, cette condamnation a un effet rétroactif au jour du premier jugement, comme dans l'efpéce de l'arrêt de 1626; parcequ'il ne feroit pas juste que contumace lui fût avantageufe; ce qui arriveroit cependant s'il recouvroit la vie civile pendant l'inftruction de fon procès.

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Mais s'il eft abfous, ou s'il meurt naturellement, avant fon jugement, il eft censé rétabli dans la vie civile, comme s'il n'en avoit jamais été privé: c'eft pourquoi on trouve dans le même volume du journal des audiences un arrêt du mois de Juin 1633, qui a jugé qu'un homme condamné à mort par contumace, & exécuté en effigie, s'étant représenté, & aïant été élargi à fa caution juratoire, fans que le jugement mît au néant les défauts & contumaces, & étant mort en cet état, avoit valablement testé. Voïez ce que nous avons dit plus haut fur cette matiére, partie 2, livre 2, chapitre 3 fection 5.

DISTINCTION II.

De l'effet de la représentation du condamné par contumace, pendant les cinq ans.

On a pû voir dans la diftinction précédente, que la représentation dans les cinq ans rend par elle-même la vie civile au condamné, fans quoi il ne pourroit pas être admis à proposer fes faits juftificatifs. La faculté d'efter en jugement eft incompatible avec la mort civile. Mais rentre-t-il tellement dans fes droits que tous les actes qu'il pourroit faire pendant l'inftruction contradictoire de fon procès foïent valables? Nous ne le croïons pas. Il faut diftinguer. S'il eft abfous, il doit être réputé n'avoir jamais été privé de la vie civile. Le jugement par défaut, qui l'avoit condamné, eft non-feulement anéanti par la représentation: mais il est déclaré injufte par le fecond qui dé clare l'accusé innocent. Ce premier jugement eft donc cenfé n'avoir jamais existé. Si au contraire il eft condamné une feconde fois, foit à la même peine, foit à une autre peine emportant mort civile, cette condamnation doit avoir un effet rétroactif jufqu'au moment de la premiere. Il étoit vraiement coupable. Le premier jugement étoit jufte. Il doit donc avoir fon effet.

Cela eft fi vrai que, fi, en fe représentant, le coupable s'eft pourvû par la voie de l'appel, comme il en avoit la faculté, le parlement ordonne que la fentence fortira fon plein & entier effet s'il s'eft repréfenté par devant les mêmes juges, ils ordonnent que leur premiere fentence fera exécutée suivant sa forme & teneur.

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De l'état du condamné par contumace lorfque trente ans fe font écoulés depuis l'exécution du jugement, fans qu'il fe foit

représenté.

Il faut admettre ici deux principes qui font également conftans parmi nous. Le premier eft que tout crime qui n'a point été poursuivi pendant vingt ans eft prefcrit, de maniére qu'on ne peut, après ce tems, inquiéter en aucune façon celui qui en eft coupable. Nous avons puifé cette maxime dans la jurifprudence Romaine.

Le fecond, qui eft purement du droit François, eft que, quand le délit à été pourfuivi criminellement contre le coupable & qu'il a été condamné, s'il a évité la rigueur du châtiment qu'il méritoit, la peine eft prefcrite par trente ans, de façon qu'il ne peut plus être poursuivi.

Le crime mérite à la vérité toute la haine & toute la vengeance de la justice: mais l'innocence ne mérite pas moins toute fa protection. Lorfque le crime lui eft déféré dans un tems où les preuves font faciles à acquérir, & où l'accufé peut également adminiftrer fes défenses, la justice le pourfuit avec rigueur pour le condamner avec févérité.

Mais s'il s'écoule plufieurs années fans que le crime foit conftaté juridiquement & publiquement, la juftice favorife alors l'accufé; parceque, comme la nature & l'humanité veulent que l'on préfume toujours pour l'innocence, elle fuppofe que la longueur du tems a fait périr les preuves que l'accusé auroit pû adminiftrer pour fa juftification. En un mot, les loix n'ont pas voulu que les hommes fuffent recherchés pour des crimes après un espace de tems capable de leur enlever les moïens de fe défendre, & elles ont fixé cet efpace de tems à vingt ans. Querela falfi temporalibus prafcriptionibus non excluditur, nifi viginti annorum exceptione, ficut cætera quoque ferè crimina. L. 12, cod. ad leg. Corn. de fals.

Nous avons reçû cette maxime; & la prefcription de vingt ans eft, depuis trois ou quatre fiécles, un des principes les plus certains du droit François. On n'en a excepté que le duel & le crime de lèze-majefté. Tous les autres crimes, de quelque nature qu'ils foient, font éteints par la prescription de vingt ans : & cette prefcription n'eft pas une fimple exemption de la peine; c'est une fin de non-recevoir contre l'imputation du crime, contre le reproche qu'on en veut faire, contre la révélation même du crime. C'est ce que dit Imbert, livre 3, chapitre 10, n. 8 & 9. Nous avons, dit-il, en parlant des crimes, des fins de nonrecevoir qui font fort ufitées: l'une quand vingt ans font paffés que délit dont on eft accufé a été commis; car, après vingt ans paffés, on n'eft pas recevable à faire pourfuite de quelques crimes. Le ministére public même ne peut pas élever fa voix.

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Quiconque acquiert la prescription de vingt ans eft donc pleinement lavé aux yeux de la juftice. Perfonne n'est en droit de l'attaquer; il conferve tous fes droits naturels & civils.

La prefcription de trente années a un effet tout différent. Elle ne reçoit d'application que lorfque la fentence de condamnation a été exécutée publiquement, & que le condamné a furvécu trente ans à cette exécution, fans s'être repréfenté, ou fans avoir été arrêté. Comme l'exécution l'a profcrit de la fociété, qu'elle a imprimé sur sa tête une tache d'infamie, il est sujet à la peine & au fupplice, jufqu'à ce qu'il ait acquis la prescription, non contre le crime; car il ne peut prefcrire contre lui après la dénonciation qui en a été faite à la fociété; mais contre la peine attachée au crime, dont il a été jugé coupable à la face de l'univers. S'il fe repréfente, ou s'il eft arrêté avant les trente ans, on lui fait fon procès, & il eft livré au fupplice, s'il y a des preuves fuffifantes de fon crime. Si, au contraire, il n'est point arrêté pendant les trente ans, il acquiert l'exemption de la peine. La juftice ne daigne plus le faire mourir, parcequ'elle a acquis par trente ans le droit de le regarder comme mort. La fociété a acquis le droit de ne plus le compter au nombre des vivans.

Ainfi il y a dans ce cas une double prefcription. La fociété civile a acquis, par la prefcription, le droit de le rejetter de fon fein; & le condamné, de fon côté, a acquis, par la prescription, l'exemption du fupplice auquel il avoit été expofé pendant trente

ans.

Mais il eft ici queftion de fçavoir quel eft l'état d'un tel homme qui a prescrit contre la peine qu'il a méritée, & à laquelle il a

été condamné. A-t-il auffi prefcrit contre la mort civile? Après avoir vécu trente ans dans un état de mort, peut-on dire qu'il rentre dans fes droits, & que la fociété recouvre en lui un

citoïen?

Pour décider cette queftion, voici l'ordre que nous fuivrons dans nos recherches. Nous examinèrons 1°. Si les loix du roïaume peuvent nous fournir quelque lumiére.

20. Si, à leur défaut, les loix Romaines ne pourroient pas nous procurer quelqu'éclairciffement.

3. Si cette question peut fe décider par les principes de la matiére, au défaut d'ordonnances & de loix Romaines.

4o. Nous rechercherons le fentiment des auteurs fur cette question.

5o. Enfin, nous examinerons la jurifprudence des arrêts.

§. I.

Ordonnances du roiaume fur cette matiére.

Il eft inutile de reprendre ici l'hiftoire & les progrès des diverfes ordonnances du roïaume fur la contumace. Nous l'avons fait avec affez d'étendue, partie 2, livre 2, chapitre 3, fection 3. Nous ne rentrerons point non plus dans la difcuffion des différentes interprétations que l'on donne à ces ordonnances. Nous nous contenterons d'en rappeller ici deux.

Ceux qui voudroient foutenir que la mort civile eft prefcrite par trente ans, peuvent indifféremment prendre l'une ou l'autre de ces deux interprétations. Ils font toujours en état de tirer les mêmes argumens de ces ordonnances.

Il n'eft pas befoin de remonter plus haut que l'ordonnance de Moulins, fur laquelle on peut faire deux obfervations.

La premiere eft que, dans le fens même de la loi, la mort civile du condamné par contumace n'eft pas une mort définitive, puifqu'elle eft fufceptible de remédes.

La feconde eft que l'ordonnance ne rejettant point l'exception légale de la prefcription, il s'enfuit néceffairement qu'elle veut qu'elle fubfifte; parcequ'il eft de principe que la prescription en matiére criminelle eft admise parmi nous.

Pour paffer à l'ordonnance de 1639, nous remarquerons que l'article 6 indiquant, pour reprendre les effets civils, toutes les voïes qui ont été prefcrites par les ordonnances, doit comprendre

toutes

toutes celles qui n'ont point été exclufes, du nombre defquelles eft la prescription.

Enfin la prescription n'étant rejettée ni par l'ordonnance de Moulins, ni par celle de 1670, on peut foutenir au par-deffus que l'édit des duels de 1679 la fuppofe. On y voit que le crime de duel eft déclaré crime de lèze-majefté, & comme tel, fujet à des peines qui n'ont lieu que pour ces fortes de crimes. Or une de ces peines particuliéres eft, fuivant l'article 35, que le crime de duel ne pourra être éteint, ni par la mort, ni par aucune prescription de vingt, ni de trente ans, ni par aucune autre, à moins qu'il n'y ait ni exécution, ni condamnation, ni plainte: & pourra être poursuivi après quelque laps de tems que ce foit. D'où il femble qu'on peut conclure autre crime est éteint par la prefcription de vingt outrente ans ; même lorsqu'il y a eu plainte, exécution ou condamnation.

que tout

On peut encore ajoûter en faveur de cette opinion, que c'est un usage conftant de ne plus accorder au fceau après les trente ans de lettres aux condamnés, même pour fervir en tant que de befoin. D'où il fuit néceffairement que l'intention du Roi, qui eft le feul législateur dans le roïaume, eft que cette prefcription éteigne tout.

Autrefois on prenoit après ce tems des lettres, pour faire déclarer l'accufation éteinte & prefcrite: mais depuis l'ordonnance de 1670 & l'édit de 1679, on n'en donne plus. La raison, fuivant un certificat délivré en chancellerie & représenté en la cour, lors de la caufe du chevalier d'Afcheux & du fieur de la Boiffiére fon frere, en 1737, fur la question que nous traitons ici, eft que ces lettres ne produiroient pas plus d'effet que la prescription, qui a la vertu d'éteindre le crime & la condamnation, & d'anéantir l'incapacité du condamné.

On peut, en faveur de l'opinion contraire, invoquer les mêmes ordonnances, & dire que leurs expreffions conduifent à faire entendre qu'elles ont rejetté la prescription de la mort civile.

Dèflors que l'ordonnance de Moulins & celle de 1679, ne veulent pas que le condamné foit reçû le condamné foit reçû à se repréfenter fe repréfenter pour se purger fans fettres du prince, c'eft une preuve qu'il n'y a que l'autorité du Roi qui puiffe lui rendre la vie civile. Ainfi quand l'ordonnance de 1639 parle de la reftitution fuivant les loix prefcrites par les ordonnances, elle ne parle que des différentes lettres que le prince peur accorder. Et ce raifonnement eft favorable même pour ceux qui exigent des lettres pour efter à droit, &

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