Imágenes de páginas
PDF
EPUB

encore rappeller deux autres principes. Le premier eft que la mort civile n'eft autre chofe qu'une fiction, qui doit imiter la nature. Or il eft certain qu'un homme mort naturellement ne prefcrit point par trente ans contre la mort, on ne voit perfonne revenir à la vie au bout de ce tems. Il doit en être de même de la mort civile. Quand un homme a été dans fes liens pendant trente ans, il ne peut en fortir.

Le fecond principe est qu'il s'agit ici des intérêts de la fociété toute entiére; or on ne prefcrit point contre le public. La fociété a été en droit de regarder le condamné pendant trente ans comme banni de fon fein; & il eft de fon intérêt qu-il le foit en effet. Il ne peut donc prescrire contre elle un état qu'il a perdu contradictoirement avec elle.

Nous tenons donc pour maxime certaine que, dans les principes, quand il n'y a point eu de condamnation, tout eft prefcrit par vingt ans. S'il y a eu une condamnation non exécutée, tout eft preferit par trente ans : mais s'il y a eu exécution, la mort civile une fois imprimée ne peut ceffer que par l'absolution ou la rémiffion.

Paffons maintenant à l'examen des autorités que l'on peut citer pour ou contre.

§. IV.

Sentimens des Auteurs.

Dans l'affaire du fieur d'Afcheux, dont nous avons parlé plus haut, pour foutenir que la mort civile fe prefcrit par trente ans, on invoquoit l'autorité de plufieurs auteurs, comme celle de Bafnage fur l'article 143 de la coutume de Normandie; Lange, tome 2, livre 2, chapitre 2; Dumoulin, dans fes notes pofthumes, fur la coutume de Paris, article 189; Loyfeau, en fon traité des offices, chapitre 4, n. 15, & chapitre 13, n. 90; Dupleffis & fes annotateurs, livre 1, chapitre 2; Ricard, fur l'article 114 de la coutume de Paris; Renuffon, en fon traité des propres, chapitre 2 fection 5.

Mais on peut dire qu'aucun de ces auteurs ne donne une folution précife. Il ne paroît même pas qu'ils aïent eu notre objet en vûe.

Pour foutenir que la prefcription ne peut avoir lieu contre la mort civile, on invoquoit l'autorité de plufieurs auteurs: entre autres, celle de d'Argentré, en fa premiere confultation. C'est

la feule qui foit précise; & elle est pour le parti que nous avons

embraffé.

§. V.

Jurifprudence des Arrêts.

Chenu, centurie 1, queftion 36, rapporte un arrêt du parlement de Paris du 10 Avril 1615, qui a déclaré le crime éteint & prefcrit par trente ans mais le condamné avoit obtenu des lettres du prince; d'où il femble qu'on peut conclure que la prescription feule ne fuffit pas.

Bardet en rapporte un autre, du 11 Mars 1632, qui a jugé qu'un mort civilement par condamnation, n'a point prefcrit par trente ans contre la mort civile: mais il y a, dans l'efpéce, une circonftance qui empêche d'appliquer cet arrêt précisément à la queftion que nous examinons ici; c'eft que le condamné étoit mort civilement en vertu d'une condamnation précédente. D'ailleurs, il avoit fait profeffion en religion depuis fa condamnation. On en trouve un autre au journal des audiences, du 15 Mars 1665, qui a déclaré une fille non-recevable dans la demande par elle intentée de la fucceffion de fa mere, quoiqu'il y eût trente ans qu'elle avoit été condamnée : mais, comme le crime pour lequel elle avoit été condamnée étoit un parricide, cette circonftance fait qu'on n'eft pas certain fi cet arrêt eft fondé fur les principes que nous avons établis; attendu que le parricide eft imprescriptible vis-à-vis de la famille.

A l'égard de la caufe du fieur d'Afcheux, il prétendoit avoir prefcrit contre la mort civile, réfultante d'une condamnation à mort prononcée par contumace & exécutée en effigie.

L'affaire étoit fur le point d'être jugée au rapport de M. Severt, les mémoires étoient diftribués, & l'inftance vue par les commiffaires devant M. le premier préfident. Le fieur d'Afcheux prit tout d'un coup une autre route. Il fe constitua prifonnier à la conciergerie du palais, à l'effet de purger la contumace. Le lendemain, il obtint un arrêt fur requête, qui ordonna qu'il feroit transféré dans les prifons d'Amiens, pour être fait droit fur la demande en purgation de contumace; parcequ'il avoit été condamné par fentence du juge de cette ville.

Les juges d'Amiens l'admirent à purger la contumace, & lui firent fubir interrogatoire. Ils rendirent enfuite une fentence qui déclara nulle l'information, & ordonna qu'il feroit informé de

nouveau

nouveau. Le fieur d'Afcheux appella de cette feconde partie de la fentence, & fur fon appel intima M. le procureur général.

La caufe plaidée à la tournelle, M. le procureur général forma oppofition à l'arrêt qui avoit renvoïé le fieur d'Afcheux au bailliage d'Amiens, & interjetta appel de tout ce qui y avoit été fait.

Il foûtint que le fieur d'Afcheux ne devoit pas être reçû à se purger; & par l'arrêt du 7 Septembre 1737, rendu fur délibéré, le fieur d'Afcheux fut déclaré non-recevable dans fa demande afin de purger la contumace.

Enfin la queftion que nous traitons ici fut décidée contre le fieur d'Afcheux, par un arrêt du 6 Mars 1738, rendu en la grand'chambre au rapport de M. Severt, par lequel il fut jugé que la mort civile étoit irrévocable; même après les trente ans expirés.

Comme cet arrêt est tout récent, on peut le rgarder comme aïant fixé la jurisprudence au parlement de Paris.

Quant aux autres parlemens du roïaume, on en trouve trois du parlement de Toulouse.

Le premier eft du 16 Juillet 1666, qui paroît d'abord avoir jugé contre notre fentiment: mais la condamnation n'avoit point été exécutée par effigie; ainfi il n'y avoit point de mort civile.

Le fecond, qui eft du 28 Août 1669, a jugé précisément contre notre sentiment, puifqu'il a décidé que la prefcription acquife par un condamné à mort, ne le rend pas, il est vrai habile à le faire adjuger les fucceffions échûes pendant trente ans : mais qu'après ce tems expiré, il acquiert la capacité de recueillir celles qui font échûes depuis.

Le troifiéme, qui eft du 23 Août 1731, est pareillement contre notre opinion. Ainfi il faut tenir pour conftant que la jurifprudence du parlement de Touloufe eft contre nous.

Mais nous ne croïons point que cela doive nous faire changer de fentiment. Au contraire, nous fommes perfuadés que la jurifprudence du parlement de Paris eft la feule qui doive être fuivie. Elle eft conforme aux véritables principes, comme nous croïons l'avoir établi dans le §. 3.

Zzz

1

[blocks in formation]

De la Mort civile encourue par la profession en religion.

[ocr errors]

Ous avons parlé jufqu'ici de la mort civile encourue par condamnation pour caufe de crimes commis contre l'état & contre la fociété. Nous avons établi au commencement de cet ouvrage, qu'il eft jufte & néceflaire en même tems, que les coupables foient punis, & que la fociété, dont l'unique foin eft de travailler au bonheur & à la tranquillité de fes membres retranche de fon fein ceux qui, loin de coopérer à la félicité publique, dont ils font participans, ne cherchent qu'à la troubler.

Nous avons maintenant un objet tout différent à confidérer. La mort civile, dont nous avons parlé dans les deux premieres parties de ce traité, eft le fruit du crime. Celle-ci eft le fruit de la piété. L'avarice, la vengeance ou la jaloufie font, pour l'ordinaire, les chemins qui conduifent à la premiere. Celle-ci, au contraire, n'a d'autre fource qu'un abandon général de tout ce qui peut flater le plus dans le monde. La premiére eft infamante. Celle-ci eft honorable. La premiére eft forcée & involontaire. La feconde eft toujours libre dans fon principe, quoiqu'elle devienne irrévocable dans la fuite.

Comme celui qui s'y dévoue, renonce à tous les avantages de la vie civile, il abdique en même tems la qualité de citoïen, & tous les avantages mondains, qui en font une fuite. Il est mort au monde ; il eft mort à la fociété. Il est donc, à peu près, dans le même état que celui qui a été condamné: mais, comme la caufe de ce retranchement eft tout-à-fait différente de l'autre, elle eft auffi accompagnée de circonftances différentes, & produit quelques effets qui lui font particuliers.

Nous diviferons donc cette partie en trois livres. Dans le premier, nous examinerons quelles font des caufes de cette mort civile. Dans te fecond, nous en verrons les effets; & dans le troifiéme, nous expliquerons quels font les moïens de la faire ceffer.

Pa

[blocks in formation]

Des caufes de la mort civile des Religieux.

OUR parvenir avec plus d'ordre à la connoiffance des caufes de la mort civile des religieux, il nous paroît néceffaire de remonter d'abord jufqu'à leur origine. Nous examinerons enfuite ce que c'eft que la profeffion en religion, qui eft la fource de la mort civile de ceux qui embraffent la vie monaftique. Nous chercherons enfin quelles font les circonftances qui doivent accompagner cette profeffion pour la rendre valable dans fon principe & irrévocable. Chacun de ces objets nous fournira la matiére d'un chapitre.

[ocr errors]
[ocr errors]

CHAPITRE PREMIER.

De l'origine des Moines & des Religieux.

UOIQUE ce chapitre paroiffe d'abord n'être que de pure curiofité, & ne préfenter que des notions indifférentes à la matiére que nous avons à traiter; cependant il ne laiffera pas de contenir des chofes utiles pour la fuite, & defquelles nous pourrons tirer quelques principes.

Nous examinerons donc 1°. l'origine du monachifme en général. 2o. L'origine des principaux ordres religieux qui font en France.

3o. Quelle eft la forme du gouvernement de chacun de ces ordres; ce qui nous donnera lieu de parler du gouvernement des anciens moines.

4°. Nous parlerons des formalités néceffaires pour l'établiffement d'un nouvel ordre & d'un nouveau monaftere en France.

5o. Enfin nous examinerons de quelle puiffance les religieux dépendent; ce qui nous procurera l'occafion de traiter des exemptions. Chacun de ces objets fournira la matiére d'une fection.

1

« AnteriorContinuar »