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SECTION I.

De l'origine du Monachifme en général.

Les perfécutions que l'Eglife effuïa dans les commencemens de fon établiffement, font la véritable fource du monachisme. Plufieurs chrétiens, voulant éviter les tourmens dont ils étoient menacés, fe retirérent dans les déferts de l'Egipte, pour s'y mettre à l'abri des recherches de leurs perfécuteurs.

Ils s'y formérent un plan de vie conforme à la difcipline prefcrite dans l'Evangile. Ils renoncérent à toutes les prétentions mondaines qu'ils pouvoient avoir dans leur patrie, pour se livrer totalement à la priere, aux mortifications & aux autres bonnes œuvres. Réduits à la pauvreté par l'abandon de leur patrimoine, ils vivoient du travail de leurs mains, ou des racines qu'ils cultivoient dans leur défert.

A mefure que les perfécutions augmentoient, ces retraites folitaires fe rempliffoient, & devenoient enfin auffi peuplées que certaines villes.

Le grand nombre de folitaires les rapprocha les uns des autres par bande. Chaque bande fe choisit un fupérieur pour conduire & gouverner tous les particuliers qui la compofoient & qui vivoient en communauté de priéres & de travail.

Saint Jerôme, au commencement de la vie de faint Paul hermite, examine quel eft le premier fondateur de la vie monasti que ; & dit que Paul fut le premier folitaire dont le nom foit connu mais, comme il ne fit point de difciples & ne forma point de communauté, faint Antoine qui vint après lui, & qui eut des difciples, eft regardé comme le premier instituteur & le pere de la vie monaftique.

Il ne paroît pas que faint Antoine ait fondé des monasteres ailleurs que dans l'Egipte. Et cette fondation ne fut même que fortuite & fans aucune préparation de fa part.

Ceux qui avoient pris le parti de la folitude, pour éviter les pourfuites de la perfécution, vivoient dans les déferts chacun féparément & fans autre fubordination qu'aux préceptes & aux confeils contenus dans l'Evangile. C'étoit l'unique régle à laquelle ils tâchoient de fe conformer. Loin de chercher à s'affembler, ils ne cherchoient que la folitude, afin que l'on ignorât toujours le lieu de leur retraite.

Mais lorfque Conftantin eut fait monter la Religion Chrétienne fur le trône, & qu'il fut permis à tout le monde de la profeffer hautement; ces faints folitaires, fans quitter le lieu de leur retraite, qu'ils regardoient comme le feul azile contre la corruption du fiécle; ne prirent plus tant foin de fe cacher. Ils communiquoient enfemble lorfque l'occafion s'en présentoit. Enfin ils comprirent, & ils avoient même appris dans l'Evangile, que la priere de plufieurs perfonnes réunies eft celle qui eft le plus agréable à Dieu; ils crurent ne pouvoir mieux faire que de s'affembler pour vivre fous un chef qu'ils fe choifiroient; & leur choix tomba fur faint Antoine, comme le plus digne d'entre

eux.

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Ainfi quand on dit que faint Paul hermite & faint Antoine ont été les premiers moines, cela ne fignifie pas qu'ils font les premiers qui aïent embraffé la vie monaftique, parcequ'il y en à eu avant eux, & pendant les trois premiers fiécles de l'Eglife: mais ces folitaires des trois premiers fiécles n'ont point fait de difciples, ils n'ont point ouvert d'écoles, ils n'ont établi aucune régle; ils n'ont point formé de corps différent du clergé & des laïques au lieu que faint Antoine, après qu'il eut été choisi chef de plufieurs folitaires affemblés, fit toutes ces opérations; & c'eft en ce fens feulement qu'il paffe pour le premier moine.

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Saint Hilarion, à l'imitation de faint Antoine, assembla auffi dans la Syrie plufieurs folitaires, auxquels il impofa une régle. C'est encore faint Jerôme qui nous l'apprend dans la vie de ce faint.

Saint Athanafe compofa la vie de faint Antoine, & lorfqu'il alla à Rome, il y fit connoître ce faint. La relation de fa vie retiréc & auftére excita la piété de plufieurs fidéles, qui embrassérent le même parti. C'est ce que faint Jerôme nous a tranfmis dans l'épitaphe de Marcelle, qui paroît avoir été la premiére femme, au moins dans l'Occident, qui ait embraffé cette profeffion. Saint Jerôme vint lui-même à Rome quelque tems après, & fa préfence y augmenta infiniment le nombre des reclus, comme on le peut voir dans fa lettre à fainte Principie.

Quand la Religion Chrétienne fat devenue dominante dans l'empire; les folitaires, loin de fe cacher, comme ils avoient fait auparavant, s'affembloient pour vivre en commun, & bâtiffoient à cet effet des maisons que l'on nomma monaftéres. Ils ne s'établiffoient cependant pas encore dans les villes, comme on voit qu'ils y font aujourd'hui : mais dans des lieux écartés.

Suburbanus ager pro monafterio fuit, & rus electum pro folitudine; die faint Jerôme dans la lettre dont nous venons de parler.

Les filles & les veuves commencérent à embraffer la même vie, prefqu'en même tems que les hommes.

Ces établiffemens pafférent enfemble de Rome dans tout le refte de l'Occident. Les ifles de la Tofcane devinrent comme autant de colonies de religieux. C'eft ce que nous apprend encore faint Jerôme dans l'épitaphe de Fabiole.

Quelques-uns ont prétendu que le monaftére de Lérins est le premier qui ait été établi en France: mais il est constant que ce monaftére doit fa fondation à faint Honoré, qui fut depuis évêque d'Arles. Or faint Martin, qui a fondé auffi des monaftérés dans ce roïaume, a vécu environ cinquante ans avant faint Honoré. C'est donc lui que l'on doit regarder comme l'inftituteur de la vie monaftique en France.

Il femble que faint Augustin ait été le premier qui établit des monaftéres en Afrique, où ils fe multipliérent prodigieusement dans la fuite. Ce point de fait eft cependant contefté par plusieurs auteurs mais, outre que cette difcuffion nous meneroit trop loin, il nous paroît qu'elle feroit ici déplacée.

Telle eft, à peu près la fource & la propagation du monachisme dans les trois anciennes parties du monde. Comme l'Europe eft celle qui nous touche de plus près, nous allons parcourir en peu de mots les différens établiffemens qui s'y font formés, tant fous le titre de moines, que fous le titre de religieux.

SECTION II.

De l'origine des principaux Ordres religieux qui font en France

Avant faint Benoît, tous les monaftéres d'Occident avoient chacun une espéce de régle différente, comme nous le dirons dans la fuite mais ce faint aïant raffemblé un grand nombre de moines au Mont-Caffin, entre Rome & Naples, il leur pref crivit une régle, qui parut remplie de tant de fageffe & d'une fi grande prudence, que l'on quitta toutes les autres pour embraffer la fienne. Tant qu'elle fe conferva dans les différens monastéres avec la ferveur qui ne manque jamais d'accompagner les nouveaux établiffemens, les moines furent l'édification des fidelles; & de l'Eglife en général.

Mais les troubles qui affligérent le roïaume fur la fin de la

premiere race de nos Rois, plongérent les moines dans un tel relâchement, qu'ils ne furent plus qu'un objet de scandale.

Saint Benoît d'Aniane travailla fous Charlemagne & fous Louis le Débonnaire à rétablir la vie monaftique: mais quelques foins qu'il fe donnât pour la réforme, il ne pût jamais réuffir à rétablir l'observation exacte de la régle de faint Benoît, & les troubles qui furvinrent fur la fin de la feconde race de nos Rois & au commencement de la troifiéme, furent la fource de nouveaux relâchemens dans les monaftéres.

Saint Odon rendit à l'état monaftique tout fon ancien éclat, dans l'abbaïe de Clugni, qui avoit été fondée au commencement du fixiéme fiécle; il y rétablit la régle de faint Benoît. Pour mieux réuffir dans fon entreprise & faire adopter fa réforme avec plus de facilité, il modifia cette régle en quelques points.

On fonda plufieurs monaftéres, que l'on peupla de religieux de Clugni. Plufieurs anciennes abbaïes embrafférent la réforme qui y avoit été introduite, & s'unirent à Clugny, en reconnoissant l'abbé pour leur fupérieur général; ce qui forma une congrégation composée de plufieurs monaftéres.

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On vit paroître enfuite les religieux de Cîteaux, qui eurent inftituteur faint Robert abbé de Molefme. Ils embrafférent la regle de faint Benoît, fans aucune mitigation, foit par rapport au filence, foit par rapport au travail des mains, foit pour la vie auftére & pénitente. Ils renoncérent à tout ce qu'ils crurent avoir contribué au relâchement qui s'étoit déja gliffé à Clugni, comme aux priviléges & exemptions.

Saint Bernard étoit religieux de cet ordre. Sa dévotion, les grandes affaires de l'églife & de l'état dans lesquelles il s'ingéra, & l'eftime que l'on fit de fes ouvrages, augmentérent celle qu'on avoit conçue pour l'ordre de Cîteaux; en forte qu'on parut oublier le premier fondateur de cette congrégation, pour donner le nom de Bernardins à ceux qui s'étoient engagés à fuivre les conftitutions de Cîteaux.

Les Chartreux inftitués par faint Bruno, parurent prefque dans le même tems que les religieux de Câteaux. L'obfervation exacte du filence, & la retraite qu'on s'eft particulérement attaché de fuivre dans cet ordre, y ont maintenu la difcipline réguliére; de forte qu'il s'eft foutenu depuis fept fiécles fans avoir befoin de réforme générale : ce qui ne fe trouve pas dans les autres ordres. Telles font les principales branches des différentes congrégations qui font profeffion de fuivre la régle de faint Benoît.

Les chanoines réguliers qui ont pris pour régle une lettre que faint Auguftin écrivoit à des religieufes, & dans laquelle il leur donnoit des réglemens, prétendent tirer leur origine de la communauté que ce faint évêque établit à Hippone : mais il leur eft impoffible de prouver cette filiation.

Il paroît conftant que cette communauté n'étoit autre chose qu'un féminaire de clercs avec lefquels il vivoit & qu'il instruifoit. C'étoit le clergé de fa ville épifcopale, & c'est de-là qu'il a tiré tous ces faints évêques & ces vertueux eccléfiaftiques qu'il a diftribués depuis dans les autres églifes: la plupart des villes d'Occident imitérent un établiffement auffi utile. Le relâchement aïant dans la fuite fait négliger cet ufage, on voulut le rétablir au concile d'Aix-la-Chapelle; ce qui ne s'eft exécuté que peu à peu; en forte que la communauté établie par saint Augustin est plutôt l'origine des féminaires, qui font en ufage parmi nous que celle des chanoines réguliers, dont voici plus vraisemblablement le principe & le modéle.

Dans la primitive Eglife, du tems même des Apôtres, tous les fidelles vivoient en commun. Ceux qui étoient riches donnoient tout leur bien à l'Eglife, & ce bien étoit diftribué également pour la fubfiftance & l'entretien de tous ceux qui avoient embraffé la foi dans chaque ville. Les diacres ne furent même établis que pour avoir foin d'en faire une difpenfation exacte; pendant que les Apôtres, & ceux qui après eux furent chargés de diftribuer la parole de Dieu, étoient occupés à ce faint miniftére.

Dans la fuite, le nombre des fidelles devint fi grand, qu'il fut impoffible de perpétuer cet état de communauté entr'eux : mais les eccléfiaftiques le confervérent toujours. Ils ne vivoient que des aumônes, dont on faifoit une maffe, pour l'entretien du clergé; & le furplus étoit diftribué aux laïcs qui étoient dans le befoin. L'Eglife fut fort long-tems fans pofféder aucuns immeubles, parceque les premiers chrétiens regardoient les chofes du monde comme paffageres & comme onéreufes à ceux qui veulent aller au Ciel; & d'ailleurs, fuivant les loix Romaines, aucun corps ou communauté ne pouvoit rien acquérir par quelque voïe que ce fût, fans le confentement du fénat ou du prince, Pendant la confufion qui agita long-tems l'empire, depuis l'em. prifonnement de Valérien, les loix étant mal obfervées, furtout en Afrique, dans les Gaules & en Italie; on ne laissa pas de donner des biens immeubles aux Eglifes: en l'an 302, tous ces biens furent confifqués par Dioclétien & Maximien, excepté dans

les

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