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de la forme du gouvernement fous lequel il vit; comme il n'est pas jufte qu'on réforme les loix pour lui feul, il faut qu'il en choififfe un plus afforti à son inclination. Les auteurs, d'après lefquels nous parlons ici, citent à cette occafion l'exemple d'Athènes où il étoit permis à chaque citoïen après avoir examiné les loix & les coutumes de la république, non-feulement de fe retirer ailleurs, fi la conftitution de l'état ne lui convenoit pas, mais même d'emporter tout fon bien.

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Il peut auffi arriver, difent les mêmes auteurs, qu'un citoïen ait lieu de croire qu'il réuffira mieux dans le païs étranger que dans celui qui lui a donné la naiffance. Il arrive fouvent qu'on fe fent des talens ou inutiles, ou trop communs pour fa patrie; de nature cependant à devenir précieux pour l'étranger auquel on les portera. Dans tous ces cas, & dans beaucoup d'autres ces auteurs décident qu'il eft permis à un citoïen d'abdiquer fa patrie; & ils obfervent que cette liberté peut devenir très-avantageufe à plufieurs états, auxquels elle procure le moïen d'attirer chez eux des étrangers d'un grand mérite, & capables de faire honneur au peuple dans lequel ils s'incorporeront.

Ces maximes ne font nullement contraires à celles que nous avons établies au commencement de cet ouvrage, part. 1. ch. 1. 11 eft fort aifé de les concilier.

Tout homme en naiffant contracte avec la fociété. Il lui eft redevable de tout le bien & de tous les avantages qu'il peut lui procurer: mais cette obligation eft la fuite d'un contrat fynallagmatique. La fociété, de fon côtê, doit procurer à chacun de fes membres tous les avantages poffibles, fuivant la place qu'ils occupent dans cette fociété : mais fi elle eft conftituée de façon que fa conftitution rende quelques-uns de fes membres malheureux, ou les empêche de fe procurer, par leur industrie, tous les avantages qu'ils ont lieu d'attendre du rang dans lequel leur naiffance les a placés; alors, comme il ne feroit pas jufte qu'en faveur de quelques particuliers, on intervertît un ordre qui convient à la fociété en général, elle ceffe de remplir fes obli-. gations envers ces particuliers; ou, pour en parler mieux, les obligations de la fociété ceffent envers eux, attendu qu'elles deviennent impoffibles.

D'un autre côté, comme il eft de l'effence d'un contrat, pour qu'il puiffe fubfifter, qu'il foit exécuté de part & d'autre; la fociété ne l'exécutant point, & ne pouvant être forcée à l'exéter, il devient nul de plein droit, & n'oblige plus par confé

quent les particuliers vis-à-vis defquels il ne s'exécute pas. Ils peuvent donc, fans qu'on puiffe les taxer d'ingratitude, aller offrir leurs fervices à une autre fociété, de laquelle ils puiffent retirer les avantages qu'ils ne trouvent pas dans celle qu'ils abandonnent.

Il y a plus les hommes ne se font affemblés en fociété, que pour fe rendre mutuellement heureux. Il eft contraire à l'efprit qui a préfidé à cette affociation, qu'aucun particulier foit malheureux, lorfqu'il ne mérite pas de l'être par fes crimes. Loin donc qu'il foit tenu de fe fixer dans une fociété, qui ne peut, par l'ordre qu'elle s'eft donné, lui faire fon bonheur, il est autorisé à fe retirer par-tout où il croira le pouvoir trouver.

Mais, dira-t-on, la difceffion d'un citoïen eft, à la fois, l'infraction des devoirs de la religion, de la nature & de la fociété. Ce n'eft point dans les livres, ni dans les loix des différentes nations qu'il faut chercher la preuve de l'énormité d'un tel crime, c'est dans le cœur de tous les peuples que cette vérité est écrite. Tous lui rendent hommage; & c'eft une de ces vérités primitives dont le fort eft de ne pouvoir trouver de preuves plus claires qu'elles-même.

Cette objection tombe d'elle-même, quand on veut se donner la peine de la rapprocher de la décifion des auteurs qui ont examiné la queftion. En effet, que veut-on dire, lorfqu'on reclame fur ce point les fentimens du cœur? Sans doute, il eft des devoirs du fujet envers fon fouverain. Il en eft d'une autre nature, du citoïen envers fes concitoïens : mais ces devoirs ne fe forment pas des ruines de ceux qui nous lient à toute la nature humaine. Ils ne nous obligent point à faire fchifme avec le refte de l'univers, ni à regarder comme un monde de rivaux, tous les ples qui ne font pas celui dans lequel nous fommes nés. Il faudroit pour cela détruire en nous ce fentiment naturel, qui nous fait regarder tous les humains comme nos freres ; qui nous préfente, dans toutes les parties du monde habitable, des amis & des proches; qui nous appelle à cette filiation commune, dont la religion nous inftruit, & dont Dieu même a pris foin de graver les titres dans nos cœurs en caractéres ineffaçables. Homo fum; bumani nihil à me alienum puto.

peu

Tous les hommes ne compofent ensemble qu'une même famille difperfée fur la furface de la terre. Tous les états font comme autant de branches de cette famille. De-là cette avidité avec laquelle nous nous informons de leurs mœurs, de leurs opinions,

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de leur gouvernement, de leur religion. De-là, en un mot, ces queftions fans fin, par lefquelles nous fatiguons tous ceux qui peuvent nous informer de ce qui fe paffe chez eux. C'est la fource de tant de travaux, qui n'ont pour objet que de fatisfaire une fi juste curiofité. Les uns entreprennent les voïages les plus pénibles, pour nous inftruire au jufte de l'état des nations qu'un fi grand éloignement fépare de nous. Les autres fe confument fur les livres, pour nous faire part de leurs découvertes, fur la fituation, les coutumes, la maniére de vivre, & jufqu'aux plus petits détails, fur le compte des peuples qui nous ont précédés de plufieurs milliers d'années; & qui, ne nous préfentant plus rien à craindre, ni à espérer de leur part, nous font bien plus étrangers, que tous ceux qui couvrent, avec nous aujourd'hui, la furface de la terre. En un mot, dès qu'on veut parler des hommes, on eft sûr d'être écouté avec plaifir, quelque distance de tems, ou de lieux qui foit entr'eux & nous.

Pour prendre donc fur cette matiére des idées plus faines & plus dignes de l'humanité, il ne faut point perdre de vûë cette efpéce de communion naturelle que le Créateur a voulu établir entre tous les hommes. Ce qu'eft le citoïen à l'égard de fa patrie, lui-même & fa patrie le font à l'égard du genre humain. Comme l'homme n'a point été créé pour lui feul, & pour vivre fans relation avec le refte de l'efpéce humaine, aucune portion des hommes n'a été deftinée par l'Auteur de la nature, à vivre étrangère à l'égard du tout. Toutes les liaisons humaines proviennent de l'amour du genre humain, dont nous ne pouvons nous écarter, fans violer le plus capital de tous nos devoirs.

Mais la matiére eft délicate. Démêlons ici les idées. Nous en fommes encore au droit naturel ; & nous foutenons, d'après les auteurs cités plus haut, & d'après plufieurs autres, qu'il eft de la liberté naturelle des hommes, de pouvoir choifir fur cette terre, qui leur a été donnée en entier pour l'habiter, la portion où ils voudront fe fixer; & que la nature ne leur a point fait une loi de demeurer attachés à un coin du monde plutôt qu'à l'autre : mais cela n'empêche pas que nous n'aïons une inclination auffi forte, que la loi la plus impérieufe, qui attache invariablement la totalité morale des hommes à leur patrie. Nous y fommes retenus. par le cœur. C'eft-là que nous trouvons nos peres & nos aïeuls nos femmes, nos enfans & tous ceux à qui nous tenons par les liens du fang. C'eft-là que nous trouvons le fiége de notre fortune, le plus de facilités & le plus de fecours pour former, ou pour maintenir

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nos établissemens ; la reffource la plus facile dans nos besoins; les cœurs les plus prompts à nous fecourir; mêmes goûts, mêmes habitudes, mêmes fentimens, mêmes opinions, mêmes vérités, mêmes préjugés ; & c'est dans fon païs que chaque peuple trouve la religion qu'il juge digne de captiver fa croïance.

Ce n'est donc point une loi qui nous y retient. Nous n'avons d'autres chaînes que l'amour. On éprouve avec un plaisir infini, combien cet amour est grand, combien il a d'empire fur nous : mais on n'en eft que plus autorifé à conclure qu'il eft le feul agent qui nous pouffe vers notre patrie, & le feul lien qui nous y retienne. En un mot, tout ce qu'on peut dire de plus fort pour établir la prétendue loi, ne prouve que la force de l'amour qui nous domine; amour que nous tenons, fi l'on veut, de la nature mais, fi l'on veut parler exactement, elle l'infpire à la plupart des hommes, plutôt qu'elle ne l'ordonne à tous.

Tels font les fentimens que la nature nous infpire fur cette matiére; tels font les principes du droit des gens. Voïons s'ils ont été rejettés par le droit pofitif; & commençons par les loix

Romaines.

Tout le monde fçait combien, du tems de la république, chaque citoïen étoit attaché à la patrie. Elle étoit regardée comme la divinité à laquelle on devoit tout facrifier, fes biens, fes paffions, fa famille, fon honneur même, quand le bien de l'état l'exigeoit. L'Hiftoire Romaine eft pleine d'exemples de héros qui ont prouvé que ces fentimens étoient la baze du gouverne

ment.

Perfonne n'ignore le zèle infatigable dont Ciceron étoit enflammé pour le bien de la patrie. On fçait avec quelle force & avec quelle véhémence il s'élevoit contre ceux qui paroiffoient vouloir lui nuire; & avec quel acharnement il les pourfuivoit. Cependant, loin de regarder comme un crime la tranfmigration d'un païs dans un autre, il mettoit au nombre des plus beaux droits de l'humanité, & regardoit comme le premier appanage de la liberté, le droit qui appartient à chaque particulier de passer dans un autre état que celui qui l'avoit vû naître. O jura præclara, s'écrie-t-il dans l'oraifon pro Balbo, no. 31. O jura præclara, atque divinitùs jam indè à principio Romani nominis à majoribus noftris comparața. . . ne quis invitus civitate mutetur ; neve in civitate maneat invitus. Hac funt enim fundamenta firmiffima noftry libertatis, fui quemque juris & retinendi, & dimittendi effe dominum. Tel étoit le langage de ce grand homme, à qui l'attachement

à

à fes devoirs de citoïen a mérité le glorieux nom de pere de la patrie. Telles étoient les maximes de Rome république. Voïons ce qu'on penfoit fur cette matiére, quand elle fut foumise à la domination des empereurs. Ouvrons les loix.

Sans nous plonger dans des recherches bien érudites, il suffic de rappeller, en peu de mots, ce qui a été dit plus haut, chap. 3. part. 1. p.8.& fuiv. fur le changement d'état des Romains. On a vu que l'état de citoïen Romain, ce que le droit appelle caput civis Romani, consistoit en trois choses; la liberté, le droit de cité, &, pour ainfi dire, la fituation domeftique de chaque particulier, fuivant qu'il étoit chef de famille, & fui juris, ou qu'il étoit foumis à la puiffance paternelle. C'est ce qu'on exprimoit en trois mots, libertas, civitas, & familia. Comme ces trois chofes formoient ensemble ce qu'on nommoit caput civis Romani, tout changement qui frapoit fur l'une, ou fur plufieurs d'entr'elles, fe nommoit capitis diminutio. Il y en avoit de trois fortes : maxima qui faifoit perdre libertatem, civitatem, & familiam. Media, qui ne faifoit perdre que civitatem & familiam. Minima, qui confiftoit uniquement à fortir de deffous la puiffance paternelle, quand on y étoit encore foumis, ou, lorfqu'on en étoit forti, à y retomber; ce qui pouvoit arriver par l'espèce d'adoption qu'ils appelloient adrogation.

Le fecond de ces trois changemens eft celui qui doit finguliérement nous occuper ici. Ce qui s'appelloit media capitis diminutio faifoit donc perdre civitatem & familiam; &, s'il faifoit perdre familiam en même tems que civitatem, c'est parceque la puiffance paternelle étoit une chofe particuliére au droit civil municipal des Romains; en un mot un droit de cité, foit actif dans la perfonne du pere, foit paffif dans celle de l'enfant de famille.

Cela pofé, il est évident que la difceffion du citoïen Romain, en lui faifant encourir mediam capitis diminutionem, ne lui faifoit perdre autre chofe que les droits de cité; & cette perte n'étoit pas une peine que les loix lui infligeaffent. Nous venons de le voir par Ciceron. O jura præclara.. .... ne quis invitus civitate mutetur mais elle étoit l'effet naturel de l'abdication qu'il avoit volontairement faite de fa patrie, & par conféquent, des droits attachés à la qualité de citoïen. Il y avoit encore une autre rai fon; c'est le principe du droit Romain développé par Ciceron dans l'oraifon pro Balbo. Nemo duarum civitatum civis effe poteft. Celui qui abandonnoit Rome, pour s'aller établir dans une ville étrangère, devenoit citoïen de la ville qu'il avoit adoptée pour

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