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que celle d'être privés des droits de cité; où, ce qui eft la même chofe, des facultés qui dérivoient du droit civil & particulier des Romains: mais non de celles qui prenoient leur fource de plus haut; c'est-à-dire, du droit des gens. Par conféquent ils pouvoient vendre, acheter, donner ou prendre à loïer, faire des contrats d'échange, & tous les autres contrats qui font du droit des gens. Ils pouvoient même retenir dans leur patrie la qualité de tuteur, de magiftrat, de juge, de fénateur, fi elle leur avoit été déférée avant leur retraite. En un mot, ils jouïffoient de tous les mêmes droits que les étrangers auxquels ils étoient affimilés.

Quant à nos mœurs, & à l'ufage reçu chez tous les peuples qui existent aujourd'hui, pour peu qu'on y veuille faire attention on trouvera que les maximes puifées à cet égard dans le droit des gens, & adoptées par les Romains, font encore dans toute leur vigueur.

S'il étoit vrai que ce fût un des premiers préceptes de la loi.naturelle, de ne point quitter fa patrie; comme cette loi eft la même pour tous les peuples, tous les états devroient être fermés à un citoïen qui quitte celui dans lequel il eft né, pour s'établir ailleurs. Il feroit regardé comme un perfide, qui auroit rompu les engagemens les plus forts & les plus facrés, auquel on ne témoigneroit nulle part que de l'horreur & de l'exécration. Toute la nature humaine s'armeroit à la fois pour venger fur lui la tranfgreffion d'une de fes loix les plus précieuses.

Comment toutes les nations regardent-elles néanmoins la tranfmigration d'un citoïen? De quel œil la regardons-nous nous-mêmes? Plufieurs exemples fameux prouvent que, loin de regarder comme coupables du plus grand de tous les crimes qui puiffent fe commettre contre la nature, ceux qui abandonnent la France pour s'aller établir dans les païs étrangers, on ne laiffe pas, quand ils fe font diftingués par quelque talent, d'avoir leur nom en vénération, de leur conferver l'eftime qu'ils s'étoient acquife parmi nous; & même de laiffer fubfifter leurs noms dans les liftes honorables où ils avoient mérité d'être infcrits avant leur transmigra

tion.

Le fiécle dernier nous en fournit une preuve dans la perfonne du grand Descartes. Né dans le fein de la France, d'un Doïen du parlement de Bretagne, fes premieres inclinations se tournérent du côté des armes. Il alla fervir fucceffivement dans les Païs-Bas pour les Provinces-Unies, en Bohême pour le duc

de Baviére, & en Moravie pour l'empereur. Retiré du service pour fe livrer tout entier à fes méditations, il choisit fa retraite en Hollande, où il paffa près de trente ans, & alla enfuite mourir en Suéde, où la reine Chriftine prenoit, avec lui, des arrangemens pour l'y fixer. Son corps étoit demeuré à Stokolm pendant seize ans: mais en 1666. le feu Roi crut devoir revendiquer, pour fon roïaume, les précieux reftes d'un fi grand homme. Ses os furent apportés en France l'année fuivante, & on les enterra de nouveau avec la plus grande pompe. Son bufte & fon épitaphe font à la vûe de tout le monde dans l'église de fainte Geneviève de Paris.

Telle est la maniére dont Louis XIV. fi juftement jaloux d'ailleurs de l'obéïffance qui lui étoit dûë par fes fujets, envisageoit un François forti de fon roïaume depuis fi long-tems.

Le cardinal de Retz coadjuteur & depuis archevêque de Paris, accufé d'avoir fomenté & même d'avoir excité les troubles qui défolérent la minorité du feu Roi, trouva le moïen de s'évader de la prifon dans laquelle il étoit détenu par ordre du Roi. Il fe retire à Rome ; &, pendant fa retraite, l'archevêque de Paris fon oncle vient à mourir. Le cardinal de Retz, en qualité de coadjuteur, devient, par cette mort, archevêque de droit. Du lieu de fa retraite, il nomme des vicaires généraux, qui gouvernent fous fon nom & par les ordres qu'il leur envoïe. Le Prince ne confent à lui accorder fon pardon qu'à la charge qu'il fe démette de l'archevêché. Il résista long-tems à la volonté du Roi; & ne donna fa démiffion que quand il le jugea à propos. Si fa défertion eût été regardée comme un crime contraire à la nature, lui auroit-on laiffé le gouvernement du diocèse de la capitale du roïaume? S'il eût été regardé comme mort civilement, l'auroiton follicité de fe démettre de fon bénéfice? Ne l'auroit-on pas regardé comme vacant ipfo facto? Cette défertion étoit accompagnée de circonftances bien aggravantes. Ce cardinal passoit dans l'efprit du Roi, au moins, pour perturbateur du repos public. Il étoit en outre rebelle aux ordres de fon fouverain qui l'avoit fait enfermer dans une prison dont il étoit forti par adreffe.

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On peut auffi prouver par des exemples, que les étrangers qui viennent chez nous ne font point reçus avec cette détestation qu'ils éprouveroient fi leur tranfmigration bleffoit la premiere loi de la nature. Toutes les barriéres du roïaume leur font ouvertes pour les y recevoir. A peine font-ils venus s'établir parmi nous,

&

& témoignent-ils quelque inclination pour y refter, que le prince les adopte & les aggrége au nombre de fes fujets par le moïen des lettres de naturalité qu'il leur accorde. Nous les voïons de notre part, avec plaifir, partager tous nos avantages. Nous en voïons dans nos armées, dans nos tribunaux, dans nos académies, dans nos universités. On en a vu occuper les premieres places de l'églife de France; on en a vu dépofitaires de l'autorité de nos Rois, étant revêtus de la qualité de premier miniftre. Nous avions, il n'y a pas long-tems, fous les yeux, deux héros qu'un ciel étranger avoit vu naître, & auxquels le Roi n'a pas laiffé de confier, dans la derniere guerre, l'exécution de fes deffeins, la conduite des plus graves & des plus délicates entreprises; en un mot, le commandement de ses armées; c'est-à-dire, le falut & la gloire de la nation. Leurs triomphes, leur attachement pour le Roi & pour la nation, leur ont mérité tous les honneurs dont la vertu militaire peut être récompenfée parmi nous. Ils ont été élevés aux plus hauts rangs & aux premieres dignités de l'état. On entend affez que nous parlons ici de Meffieurs les maréchaux de Saxe & de Lowendal. Le Roi auroit-il fait un tel choix, & ce choix auroit-il été tellement applaudi, fi la tranfmigration d'un citoïen étoit contraire à la loi naturelle, ou même aux loix du roïaume & à nos idées nationales?

Joignons à ces exemples l'autorité des auteurs les plus accrédités,& des magiftrats les plus attachés, par état & par inclination, au maintien de la fociété & aux véritables intérêts du prince.

Bacquet, dans fon traité du droit d'aubeine, chap. 40. n. 4. dit qu'il n'y a en France aucune peine ftatuée ou indicte à ceux qui fe retirent volontairement du roiaume & vont demeurer en païs étranger. Papon, auteur plus ancien, notaire 3. liv. 6. titre des lettres de naturalité, avoit déja dit la même chofe en termes beaucoup plus forts; & il s'étoit fondé principalement fur ce que nous fommes libres, francs & fans fervitude perfonnelle. C'eft le principe établi par Bodin, dans fa république, liv. 2. chap. 2. & 3. & développé avec beaucoup de lumieres par Loyseau, dans fon traité des feigneuries, chap. 2. L'un & l'autre font voir combien notre condition eft différente de celle des peuples de ces états orientaux, & de plufieurs autres, où les fujets font efclaves, & les fouverains propriétaires de leurs perfonnes & de leurs biens; au lieu que nous avons la propriété de nos biens, fur lefquels le prince n'a qu'un domaine éminent. Ils font voir que nous jouïffons, fous l'autorité du fouverain, de notre liberté naturelle.

I

M. le Bret, à qui fa qualité d'avocat général impofoit la néceffité de foutenir les droits du Roi & fon autorité dans la ftricte rigueur, met lui-même en maxime dans l'un de fes plaidoïers liv. 3. décif. 7. qu'il eft permis aux François, quand bon leur femble, d'aller chercher une meilleure fortune, (ce font fes termes) en quoi confifte principalement, ajoute-t-il, la liberté naturelle des hommes; & de-là vient, dit encore ce magiftrat, que les anciennes formules des conceffions qui fe faifoient de la liberté, contenoient ces paroles expreffes EAM DENIQUE PERGAT PARTEM : , QUAMCUMQUE VOLENS ELEGERIT. Cela résulte encore des principes pofés par Chopin, du domaine de France, liv. 2, tit. 2. n. 29. & fuiv.

Voilà affurément les plus grands hommes que la France ait produits dans la science du droit public. Leur zèle pour le service du Roi ne les a point empêchés de reconnoître, fur le point dont il s'agit, notre liberté naturelle, & d'attefter qu'elle nous eft confervée par les loix du roïaume.

Joignons à ces autorités celle des déclarations du Roi & des arrêts du parlement. Nous les trouverons réunis dans l'histoire du cardinal de Bouillon.

Ce cardinal étant à Rome en 1700. où il avoit même fait l'ouverture du Jubilé en qualité de doïen du facré collége, au lieu du pape, qu'une maladie empêcha de faire cette cérémonie, reçut, au mois de Juin, des ordres du Roi pour fe rendre en France & fe retirer dans une de ses abbaïes. Il prit poffeffion de la place de doïen du facré collége, & demanda à refter à Rome où les fonctions de fa nouvelle dignité l'attachoient: mais le Roi voulut être obéi; &, fur le refus du cardinal, il lui fit demander, par le prince de Monaco, fon ambaffadeur à Rome, fa démiffion de la charge de grand aumônier de France avec le cordon bleu; & lui fit ordonner d'ôter les armes de France qui étoient fur fon palais. Le confeil d'état rendit quelques jours après un arrêt qui le privoit de fa charge de grand aumônier, & qui mettoit le revenu de fes bénéfices en régie. On ignore quel étoit le motif de cette difgrace. Le Roi ne s'en eft jamais expliqué; & dans l'arrêt du confeil, qui eft du 11 Septembre 1700. il eft dit feulement, que fa majefté » pour de bonnes & juftes confidéra>>tions, avoit ordonné au cardinal de Bouillon de revenir dans » le roïaume, & de remettre entre les mains de fon ambassa» deur à Rome, la démiffion de fa charge de grand aumônier. »

Pour prévenir les juftes pertes dont ce cardinal étoit menacé, il se détermina à obéir. Il revint en France: mais il fut obligé de

fe tenir en exil. Toute la grace qu'il put obtenir fut de pouvoir changer le lieu de fon exil, lorfque fes affaires ou sa santé le fa demandoient, & de paffer d'une abbaïe à une autre. La cour lui avoit même impofé la condition de ne pas approcher de Paris plus près que de trente lieues. Ce fut ce qui lui fournit l'occafion de fortir du roïaume. Il feignit de fe rendre à Rouen, & prit fa route par Arras, fous prétexte d'aller à fon abbaïe de Vigoigne. Il trouva en chemin fon neveu le prince d'Auvergne, marquis de Berg-op-zoom, qui l'attendoit avec une escorte, & le conduifit à l'armée des alliés le 22 Mai 1710. Il y fut reçu du prince Eugêne & des autres généraux avec de grandes marques de distinction. Il écrivit enfuite une lettre au Roi, par laquelle il lui envoïoit la démiffion de fa charge de grand aumônier de France & de la dignité d'un des neuf prélats commandeurs de l'Ordre du faint Elprit, avec le cordon & la croix de cet Ordre. » En conféquence » de ces démiffions, je reprens, difoit-il, la liberté que me >> donnoient ma naiffance de prince étranger, fils d'un fouverain, » qui ne dépend que de Dieu, ainfi que ma dignité de cardinal » évêque, & celle de doïen du facré collége, évêque d'Oftie, » premier fuffragant de l'églife Romaine. »>

Le Roi ne fut pas plutôt informé de cette retraite, qu'il fit expédier les ordres néceffaires pour faire le procès au cardinal, comme à un criminel d'état. M. le procureur général rendit plainte contre lui, comme coupable de défobéiffance & de félonie ; &, par arrêt du 20 Juin 1710. il fut décrété de prife de corps.

Le cardinal de Bouillon, un an avant fa retraite, avoit aliéné fes biens; & ces aliénations furent déclarées nulles. On comprend affez qu'elles étoient notoirement frauduleufes; ce qui suffisoit, comme on le verra par les principes que nous établirons dans la fuite, pour en opérer la nullité. Ainfi ce jugement ne décide en aucune façon qu'il fût regardé comme mort civilement : autrement cette mort civile auroit eu lieu, non-feulement fans pour fuites, mais un an avant le crime commis; ce qui eft abfurde.

On rendit un autre arrêt en 1711. contre ce cardinal, par lequel on le déclara déchu du privilége qu'ont les cardinaux de ne pouvoir être prévenus en cour de Rome pour les bénéfices qui font à leur collation; & on maintint un préventionaire au préjudice de celui qui avoit été pourvu par le cardinal de Bouillon comme abbé de Cluni.

Cet arrêt ne prouve point encore que ce cardinal fût regardé comme mort civilement. Il étoit dès 1710. dans les liens d'un

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