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les clercs & les religieux de tutelles & curatelles. Mais ce privi-
lége n'eft fondé fur aucune incapacité de leur part :
il n'a pour
motif que de les débarraffer de toute affaire temporelle, afin
qu'ils puiffent s'attacher avec plus d'éxactitude & de fidélité au
ministere dont ils font chargés. La loi le dit bien formellement :
cùm propter hoc ipfum beneficium eis indulgeamus, ut, aliis omnibus de-
relictis, Dei omnipotentis minifteriis inhæreant. Sans cette raifon même,
la loi auroit été fuperflue; car fi les religieux avoient été regardés
comme morts civilement, leur état les auroit effentiellement ex-
clus de toute fonction civile.

L'empereur Leon, qui, comme on la vû plus haut, affuroit aux moines la faculté d'acquérir & de tefter, nous apprend auffi que ce n'eft point par un défaut de capacité, ni par une privation de la vie civile, qu'ils étoient déchargés des tutelles & des curatelles; puifque ce même prince leur accorde le pouvoir d'être exécuteurs teftamentaires. Les religieux, dit-il, qui font exempts des charges publiques, aïant été choisis par plufieurs citoïens pour exécuter leurs teftamens, on les a regardés comme des efpéces de tuteurs, à caufe des foins qu'ils font obligés de fe donner; de forte qu'on a douté s'ils pouvoient être exécuteurs teftamentaires : & il décide que s'ils ne peuvent être tuteurs ni curateurs, c'est parceque cela les diftrairoit trop du fervice divin; mais que, comme les foins qu'exige la commiffion d'exécuter un teftament ne font pas de nature à leur occafionner des distractions préjudiciables au fervice divin, ils peuvent être choisis pour exécuteurs teftamentaires. Conftitut. 68 Împerat. Leonis.

On trouve, il eft vrai, des loix qui prononcent la diffolution du mariage, lorfque l'un des deux conjoints embraffoit la vie monaftique, & qui donnent pouvoir à celui des deux conjoints qui reftoit dans le monde, d'exercer tous fes droits, comme fi la diffolution du mariage étoit arrivée par le décès de l'autre ; enforte qu'il pouvoit même fe marier. La femme ne pouvoit cependant convoler à de fecondes nôces qu'un an après l'entrée de fon mari dans le monaftere, propter feminis incertitudinem. Nov. 123, cap. 40, & l. 53, §. 3, de Epifc. Mais c'eft ce qui ne fuppofoit point fuivant leurs principes la mort civile du religieux : car les Romains même devenus chrétiens, ont toujours regardé le mariage comme un contrat qui ne fubfiftoit, & ne fe confervoit que par le confentement des parties, lefquelles devenoient tellement libres, lorfque ce confentement ceffoit, qu'ils pouvoient fe quitter mutuellement, & se remarier avec d'autres perfonnes, du vivant l'un de l'autre.

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Cette jurifprudence a toujours été en ufage dans l'empire, nonfeulement durant le paganifme, comme on le voit par différentes loix du digefte, dirimitur matrimonium divortio. L. 1, ff. de divort. &repud. mais auffi fous les premiers empereurs chrétiens, pendant & après le régne de Justinien même. Confenfu licita matrimonia poffe contrahi; contracta, non nifi misso repudio dissolvi præcipimus. L. 8, cod. de repud. Si, conftante matrimonio, communi confenfu tam viri quàm mulieris, repudium fit missum, quo nulla caufa continetur, quæ confultiffima conftitutioni diva memoria Theodofii & Valentiniani inferta eft, licebit mulieri non quinquennium expectare; sed, po ad fecundas nuptias convolare. L. 9. eod. Ces difpofitions font maintenues & confirmées par le droit des novelles. Illud quoque difponendum effe perfpeximus, ut fi quandò inter maritum & uxorem nuptias folvi contigerit, ex hujufmodi nati filii, nullo modo ladan tur ex feparatione nuptiarum, fed ad parentum hæreditatem vocentur, patris fubftantiâ indubitanter alendi. Et fi quidem pater occafionem feparationis præbeat, & mater ad fecundas non venerit nuptias, apud matrem nutriantur, expenfas patre præbente, &c. Ces termes prouvent bien clairement que Juftinien non-feulement autorifoit le divorce; mais qu'il permettoit aux conjoints de fe remarier à d'autres, après s'être féparés.

annum

On regardoit le pouvoir de fe quitter, par le moïen du divorce, comme une chofe fi jufte & fi raifonnable, qu'il n'étoit pas permis aux contractans de fe priver de cette liberté, par une stipulation pénale: il falloit fe contenter des peines que la loi impofoit à celui qui caufoit un divorce injufte & fans fondement. Si ftipulatio facta fuerit, fi culpâ tuâ divortium factum fuerit, dari, nulla ftipulatio eft; quia contenti effe debemus pœnis legum comprehenfis; nifi fi ftipulatio tantumdem habeat poena, quanta lege fit comprehenfa. L. 19, ff. de verb. obligat.

Or le divorce fe faifoit, ou du confentement mutuel des parties, qu'ils appelloient bona gratia, auquel cas il dépendoit abfolument de leur convention de fe tenir mutuellement quittes des gains nuptiaux, ou de s'avantager comme bon leur fembloit: ou le divorce arrivoit par la feule inconftance de l'un des conjoints, & par fon opiniâtreté contre l'autre ; auquel cas, comme il n'y avoit point de cause légitime, celui qui le provoquoit étoit fujet aux peines injusti dissidii, qui ont été différentes, fuivant les différens tems. S'il y avoit cause légitime, il n'y avoit aucune peine contre celui qui le demandoit; mais celui qui en étoit caufe étoit puni ; & - tout quand cette caufe étoit accompagnée de quelque

fur

crime: & cela fe difcutoit par le droit ancien, judicio de moribus. Comme les caufes qui pouvoient faire regarder le divorce comme forcé étoient anciennement incertaines, & dépendoient de la liberté des juges & des parties; Théodofe, & après lui Juftinien, les ont voulu rendre certaines, & les ont expliquées assez au long dans la loi 8, cod. de divortiis.

Il eft inutile de nous étendre davantage fur cette matiére. Il fuffit d'avoir prouvé que le mariage, chez les Romains, pouvoit être diffous, fans qu'il y eût ni mort naturelle, ni mort civile; que les loix autorifoient cette diffolution, & contenoient même des difpofitions expreffes, pour en régler la maniére & les fuites. Concluons donc que toutes les fois qu'un mariage étoit rompu entre deux conjoints encore vivans, ce n'étoit point une raifon pour regarder aucun des deux comme mort civilement.

Il y a plus. La mort civile n'opéroit même pas la diffolution du mariage; puifque les loix du code & du digefte, & la novelle 22, établiffent que le mariage n'étoit point détruit par la déportation, quoiqu'elle opérât la mort civile.

Quelle étoit donc la raison qui avoit déterminé les législateurs à prononcer la diffolution d'un mariage, quand un des deux conjoints entroit dans un monaftere ? C'est que la vie monaftique étant abfolument incompatible avec les devoirs du mariage, on préfumoit que celui qui embraffoit cette vie ufoit du droit qu'il avoit de rompre un contrat dont les engagemens ne lui convenoient plus: mais on ne croïoit pas devoir ôter à celui des deux conjoints qui reftoit dans le monde la faculté de donner des citoiens à l'état. La propagation étoit trop précieufe aux yeux des légiflateurs. C'eft la raifon pour laquelle on lui donnoit le pouvoir de contracter un autre mariage.

Nous croïons en avoir dit affez, pour faire voir que les moines jouïffoient à Rome de la vie civile comme les autres hommes. Nous allons examiner quelle étoit la jurifprudence de nos ancêtres fur cette matiere; & quelle eft celle que nous obfervons aujourd'hui.

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Quel est l'état des religieux parmi nous ?

N ne fçauroit révoquer en doute que, pendant les premiers fiècles de la monarchie, la profeffion en religion ne faifoit point perdre la vie civile. Il eft conftant que les moines la confervoient du tems de Charlemagne ; d'où l'on peut conclure en toute affurance que c'étoit la même chofe dans les tems qui ont précéde fon régne; ce changement de difcipline ne s'étant introduit que peu à peu. Or les capitulaires contiennent à cet égard des difpofitions précises; & qui démontrent que les religieux pouvoient rentrer dans le fiécle en fe foumettant à certaines peines qu'ils encouroient pour raifon de leur inconftance.

Si monachus monafterium fuum dimiferit, omnia bona ipfius, & quæ in monafterium introduxit, & qua non introduxit, Domino monafterii fint, & ipfe officio præfidis fervire cogatur. Lib. 5, cap. 226.

Si autem monachus laicus factus fuerit, honore & cingulo fpolietur, &res ejus monafterio adjiciatur. Quòd fi monafticam vitam reliquerit, prafes provincia eum teneat, & curia fua connumeret. Cap. 228.eod.

On voit que les moines qui quittoient étoient à la vérité punis: mais on ne les forçoit point à rentrer dans leur monaftere; d'où il fuit néceffairement qu'on ne les regardoit pas comme indiffolublement liés, ni même comme morts civilement ; puifqu'on leur impofoit des charges du fiécle..

Quelques auteurs prétendent prouver le contraire, & fe fondent fur un ancien ufage établi en France, de faire rafer & enfermer dans des monafteres ceux qu'on vouloit priver de la fucceffion de leurs parens : mais ce fait, qu'on trouve rapporté dans nos hiftoires relativement à quelques princes qu'on voulois exclure du trône, ne prouve rien relativement à la matiere préfente; car, fi ces princes ont été dans le fait privés de leur couronne, ce n'a été que parcequ'on les a retenus par force dans les couvents. Il y en a même qu'on en a fait fortir pour remonter fur le trône.

Ce qu'il y a de certain, c'eft que dans les païs de droit écrit on a suivi pendant long-tems les maximes du droit Romain.

A l'égard du païs coutumier, fi elles y ont été en vigueur autrefois, il y a long-tems qu'on les y a abandonnées. Nous trouvons dans Choppin, de Morib. Parif. un arrêt de 1207 rendu en l'échiquier de Normandie, qui a jugé quòd filia Rogerii Vernei haberet faifinam de boc, undè pater fuus fuit faifitus, quando ivit ad religionem.

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Brodeau fur Louet, lettre C, fomm. 8, n. 22, rapporte un autre arrêt rendu au parlement de Paris, fous Louis VIII. pere de faint Louis, en 1225, conçû en ces termes : Quia per fententiam ab epifcopo Malefionenfi, ut dicitur, prolatam, & à Domino papâ confirmatam, decretum fuit Yolandam, fororem Domini Montis-Belleti effe monialem &eam religionem exire non debere; præceptum fuit baillivo Malefionenfi, ut terram, quam dicta Yolanda de mandato curia Domini regis deliberaverat, reffumat in manu Domini regis &eam deliberet Domino Montis-Belleti, & aliis coheredibus fuis. M. Lizet, qui étoit avocat général, a écrit fur le registre, en marge de cet arrêt, cette apoftille: Religiofa non fuccedit in regno Francia, fed jura fua tranfmittit ad hæredes, per ingreffum religionis. Cet auteur rapporte enfuite plufieurs arrêts rendus dans des tems poftérieurs qui font voir que la jurifprudence n'a point varié für cette matiere dans les païs coutumiers.

Elle s'eft formée & maintenue fur deux confidérations.

La premiere eft que le vœu de pauvreté, que prononcent les religieux en faifant profeffion, eft un contrat non-feulement vis-à-vis de Dieu, mais vis-à-vis du public. Ce contrat contient de leur part une abdication folemnelle de leur être civil & un engagement vis-à-vis du monde, avec qui ils rompent dèflors tout commerce, de renoncer à fes avantages temporels.

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La feconde confidération a été l'intérêt public; & c'est celle qui a achevé de ruiner l'état civil des religieux. On a même privé les monafteres des avantages que leur portoient les particuliers, en faifant profeffion, fuivant le droit Romain. On a fenti enfin combien il étoit dangereux de faire paffer aux monafteres la propriété de tous les biens qui appartenoient, & qui échéoient aux religieux. Il feroit arrivé par fucceffion de tems que tous les biens du roïaume auroient été engloutis par les monafteres, qui les auroient reçûs en détail de ceux qui fe font religieux.

Pour prévenir cet abus, on a fagement réduit les moines à un état de mort civile, qui commence à l'inftant de leur profeffion qui tranfmet fur le champ à leurs héritiers leurs biens préfens, & prive les religieux de l'efpérance des biens à venir.

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