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decret de prife de corps. Il ne pouvoit donc pas en France exercer une fonction publique & eccléfiaftique; telle que celle de conférer des bénéfices dépendans d'une abbaïe fituée dans ce roïaume, ni à plus forte raison jouïr en France du privilége attribué aux cardinaux de n'être point fujets à la prévention. Nos maximes, fur l'interdiction civile & eccléfiaftique qui réfulte du decret de prise de corps, fuffifent pour écarter toutes les inductions qu'on pourroit tirer de cet arrêt contre notre sistême.

le

Mais il y a plus. Il Y avoit eu dès le 7. Juillet 1710. une déclaration du Roi registrée au parlement de Paris, & rendue uniquement fur la difpofition des bénéfices qui étoient à la nomination du cardinal de Bouillon. Par cette déclaration Roi, après avoir expofé que le cardinal de Bouillon eft actuellement poursuivi au parlement & décrété de prise de corps pour crimes de défobéïffance, félonie & lèze-majesté, ordonne qu'en cas de vacance des bénéfices à la nomination de ce cardinal, il y foit pourvu, à l'égard de ceux dépendans de l'abbaïe de Cluni, par l'ordre de Cluni; & à l'égard des autres, par les évêques des lieux. Eft-il bien furprenant qu'on ait débouté en 1711. un pourvu par le cardinal de Bouillon; tandis que dès 1710. ce cardinal étoit dépouillé de la difpofition des bénéfices à fa nomination ?

Loin donc que l'exemple de ce cardinal détruise notre fiftême, il y eft au contraire très-favorable, & ne fert qu'à le fortifier. It étoit exilé; il quitte le lieu de fon exil, fe rend au camp des ennemis favorifé par un détachement de leurs troupes, & fe retire de-là à Tournai, dont ils étoient maîtres alors (car il ne passa à Rome que dans la fuite.) Il écrit au Roi la lettre la plus outrageante qu'un fujet puiffe écrire à fon fouverain; lui mande entr'autres chofes, qu'il eft prince étranger, fils d'un fouverain, ne dépendant que de Dieu. Enfin il lui renvoie fon cordon-bleu avec la démiffion de fa charge de grand aumônier de France. Ainfi voilà un homme qui cumule, avec la retraite en païs ennemi, la défobéïffance, en ce qu'il quitte le lieu où les ordres du Roi le fixoient; la félonie, en ce qu'il défavoue fon fouverain, prétendant ne dépendre que de Dieu; & le crime de lèze-majefté au premier chef, en ce qu'il traite avec les ennemis de l'état & fe livre à eux.

Perfonne n'ignore la jufte indignation qu'excita dans l'efprit du feu Roi la conduite du cardinal de Bouillon. Comment l'a-ton néanmoins considéré ? L'a-t-on réputé mort civilement par

le feul fait de fes crimes & fans condamnation? Non fans doute; & cela est bien démontré par la déclaration dont on vient de parler. La mort civile du bénéficier fait conftamment vaquer fes bénéfices. C'est une vérité que nous établirons ailleurs. Or a-t-on regardé les bénéfices de ce cardinal comme vacans? Les a-t-on conférés ? Loin de cela. On a été fi convaincu que le cardinal de Bouillon demeuroit titulaire de fes bénéfices, qu'en le privant de l'exercice des nominations qui en dépendoient, on a réglé qui exerceroit fes droits à fa place.

Cela fe voit encore plus clairement, s'il eft poffible, par un arrêt du conseil du 7. Juillet 1710. registré au parlement fur lettres patentes du 15 du même mois du même mois, & rapporté dans les loix eccléfiaftiques de feu Me. de Héricourt, part. 1. chap. 19. Il est dit dans cet arrêt, qu'un autre du 26 Mai précédent avoit ordonné la faisie des revenus des biens, enfemble des fruits & revenus des bénéfices du cardinal de Bouillon: mais ce cardinal aïant depuis été décrété de prife de corps, & étant actuellement en contumace, pour raifon de quoi fes biens & revenus doivent être faifis & annotés; le Roi leve la premiére faifie, pour que le tout retombe dans l'état de faifie-annotation, en vertu du decret de prise de

corps.

C'étoit fans doute décider que le cardinal de Bouillon étoit toujours revêtu de fes bénéfices, & propriétaire de ses biens patrimoniaux, d'en faire faifir fur lui les revenus pour punir sa fuite, & de les faifir & annoter pour punir fa contumace: mais puifque la mort civile opére indubitablement la vacance des bénéfices, qu'elle rend incapable de toute propriété ou poffeffion, & emporte la confifcation de biens ; décider que les bénéfices du cardinal n'étoient point vacans, c'étoit décider qu'il n'étoit pas mort civilement.

Voilà l'exemple le plus fignalé de la pratique des principes que nous foutenons ici. C'eft un homme coupable de fuite en païs étranger, & même chez les ennemis de l'état; coupable de plufieurs autres crimes beaucoup plus graves, finguliérement du crime de lèze-majefté, qui eft du nombre de ceux dont on dit chez nous que la peine eft encourue par le feul fait, & qu'ils font vaquer les bénéfices de plein droit. Le coupable eft déja décrété de prife de corps: mais puisqu'il n'eft pas jugé criminel il ne peut être jugé puni. On le fuppofe donc encore jouïffant de la vie civile, encore revêtu de fes bénéfices, encore propriétaire de fes biens sujets à confiscation. A la bonne-heure, la

condamnation, fi elle eft prononcée, aura un effet rétroactif au jour du délit mais jufqu'à ce qu'elle le foit, l'accufé des plus grands crimes eft réputé innocent, & ne peut par conféquent fubir une peine. Tout cela eft décidé dans l'efpéce la plus forte, par une déclaration du Roi, par des lettres patentes, par des arrêts d'enregistrement géminés, & enfin par la faisie-annotation faite en conféquence.

De ces raifonnemens, auxquels on ne voit point de réponse folide, il fuit qu'un François, en abdiquant fa patrie, n'abdique que les droits de cité; non la vie civile, qu'il ne tenoit point du droit particulier de la France. Ainfi il n'abdique point la faculté de pofféder des biens légitimement acquis avant fa tranfmigration. Il n'abdique point la faculté de s'engager en France par le moïen des contrats qui dérivent du droit des gens; puifque ces facultés nous viennent de ce même droit des gens, & que nous en jouïffons comme hommes, & non comme citoïens.

Voilà des principes de tous les tems & de tous les lieux, Nous les avons vus confacrés par les loix Romaines, aux termes defquelles le transfuge ne fouffroit d'autre changement dans fa condition civile que la pérégrinité, & ne perdoit d'autres effets civils que ceux que forment les droits de cité; confervant du refte la vie civile dans le fens que nous venons d'expliquer ces termes, & toutes les facultés qui font des fuites de la vie civile.

§. II.

Si la fuite en païs étranger, en fuppofant que ce foit un crime peut opérer la mort civile fans qu'il y ait de pourfuites?

En nous prêtant à une fuppofition dont nous venons de démontrer la fausseté, nous établirons encore que la fuite en païs étranger ne peut pas, par elle-même, opérer la mort civile. Nous avons vu au commencement de cette fection, que la mort civile n'eft point une peine, qu'elle eft feulement la fuite & comme l'acceffoire d'une peine; d'où il fuit qu'on ne peut pas réputer mort civilement un homme qui n'a point été pourfuivi, quelqu'énorme que foit le crime dont on le fuppofe coupable; parce que n'aïant point été poursuivi, on n'a point prononcé de peine contre lui. Il n'a donc pas encouru la mort civile, par la raison que l'effet ne peut exifter fans la caufe qui le produit.

Veut-on que la peine foit encouruë de droit par la retraite en

païs étranger, & que, par conféquent la mort civile le foit auffi? Mais quelle eft cette peine, qui eft encouruë de droit ? Nous avons vu que, loin que les loix en aïent prononcé une, elles ne regardent pas même l'action dont il s'agit ici, comme un crime. Il est donc impoffible, puifque les loix font muettes fur cette matiére, que l'on puiffe indiquer quelle eft cette peine qui pourroit être encouruë de droit.

D'ailleurs, fuppofons encore qu'il y ait une peine prononcée contre ceux qui fe rendent coupables de ce prétendu crime : mais nous avons déja fait voir que nous ne connoiffons point en France de peine encourue par le feul fait. C'est une maxime puifée dans l'équité naturelle, & dont la pratique eft de tout tems. Suivant la Jurifprudence conftante de tous les tribunaux du roïaume, le délit n'eft cenfé exiftant, que lorfque l'accusé en eft convaincu juridiquement, ou lorfqu'il l'a reconnu lui-même en jugement. Ainfi il n'est pas permis de reprocher un témoin fous prétexte de crime, qu'il n'y ait une fentence qui l'en ait déclaré atteint & convaincu, ou une tranfaction qui en contienne l'aveu. Ainfi nous n'adoptons pas la difpofition des loix Romaines qui déclaroient en plufieurs cas l'infamie encouruë par le feul fait. Nous voulons un jugement qui prononce cette peine. Ainfi nous ne connoiffons point d'office vacant par forfaiture,à moins qu'elle n'ait été jugée contradictoirement avec le titulaire. Toutes les coutumes du roïaume, & tous les auteurs qui ont eu occafion de parler de cette matiére, ont adopté ces régles, & en ont fait un axiome. Voïez la coutume de Bourbonnois, article 42. Loüet, lett. R. fomm. 4. Loysel, inftitut. coutum. liv. 6. tit. 2. n. 3.

Cette régle s'étend aux peines que le droit canonique déclare encouruës par le feul fait. Le pape Innocent III, prononce la vacance de plein droit des bénéfices des eccléfiaftiques qui ont falfifié les lettres & expéditions de cour de Rome. Nos ordonnances au contraire veulent que cette peine foit prononcée par un jugement C'est la difpofition de l'édit de Henri II. du mois de Juillet 1550. art. 16. » Tous aïant commis faufleté au fait des » bénéfices, foit en baillant collation, impétration, &c. s'ils font » clercs feront déclarés déchus du droit poffeffoire prétendu aux» dits bénéfices & punis de telle peine que les juges verront pour » le cas privilégié, & renvoïés à leurs prélats & juges ordinaires, » pour procéder contre eux par déclaration d'inhabileté perpétuelle à » poffeder bénéfices en ce roiaume.

Aux termes de droit, la fimonie fait vaquer de plein droit les

bénéfices; & l'édit de 1610. porte que » fi quelqu'un eft défor>> mais convaincu d'avoir commis fimonie, ou de tenir bénéfices » en confidence, il foit pourvu auxdits bénéfices comme vacans, >> incontinent après le jugement donné. >>

Nous avons tant de répugnance à admettre ces fortes de peines, encourues par le feul fait, que l'ordonnance d'Orleans, art. 4. permettant l'usage du dévolu, avoit en même tems défendu » à »tous prélats, patrons & collateurs ordinaires, de bailler aucun » dévolu avant que le pourvu par l'ordinaire eût été déclaré >> incapable, & avoit enjoint à tous juges de n'avoir égard aux» dites provifions de dévolu avant la déclaration d'incapacité.

Si l'ordonnance de Blois a modifié cette difpofition, c'est qu'il en résultoit un inconvénient trop confidérable, pour la laiffer subsister. Le dévolutaire étoit obligé par cette loi, de foutenir deux procès. Il devoit d'abord faire juger l'incapacité du pourvu; &, après ce jugement, il avoit encore une conteftation à essuïer fur la validité de fes provifions par dévolu. L'ordonnance de Blois a réuni les deux conteftations, en autorisant les dévolutaires à poursuivre le dévolu en même tems que la déclaration de l'incapacité du pourvu, pour faire ftatuer fur l'un & l'autre objet par un même jugement: mais cette ordonnance leur a interdit expreffément, article 46. » de s'immifcer dans la jouïffance des » bénéfices auparavant qu'ils aïent obtenu fentence de provision, » ou définitive à leur profit, donnée avec légitime contradicteur, » qui eft celui qui jouit & qui pofféde, & fur lequel le dévolu » eft impétré. D'où il réfulte toujours que les bénéficiers ne perdent point leur bénéfice ipfo facto, & qu'ils ne peuvent en être privés que lorfque leur incapacité eft conftatée contradictoire

ment avec eux.

Une peine emportant mort civile eft beaucoup plus grande fans doute, que la fimple privation d'un bénéfice. Cependant la premiére fera encourue par le feul fait; tandis que l'autre ne peut être infligée qu'après les plus grandes précautions! C'est ce qui révolte le fens commun.

que

le

On pourroit cependant faire une objection, qui confiste à dire : il est vrai que, dans tous les crimes, il faut une instruction préalable & une condamnation, parcequ'il eft du droit naturel crime foit prouvé avant que d'être puni: mais il en eft autrement de la fuite en païs étranger. Il ne faut point d'autre preuve que l'abfence même. Comme le défaut de représentation fait tout le crime, il fait auffi toute la preuve du crime. Le délit est prouvé

auffi-tôt

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