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Mais fur cette incapacité des religieux il faut faire une obfervation bien importante, qui eft, que l'édit de 1532, qui est la véritable loi qui ait dérogé au droit Romain à cet égard, & les édits poftérieurs qui contiennent la même difpofition, n'ont pû être ni enregistrés ni exécutés dans les païs qui ne faifoient pas alors partie du roïaume de France; comme la FrancheComté qui n'a été conquife & réunie à la couronne que vers la fin du dix-feptiéme fiécle, C'eft pourquoi dans cette province, on fuit encore le droit Romain, & on donne aux monafteres les fucceffions qui échoient aux religieux.

Mais les inconvéniens qui pourroient réfulter de ces fucceffions perpétuelles, permifes à des communautés qui ne laiffent rien fortir de leurs mains, ont été prévenus par une ordonnance faite en 1581, par Philippe II. roi d'Espagne, alors fouverain de la Franche-Comté, & qui paroît y être encore observée. Cette ordonnance porte que» les religieux & religieufes n'ac» quéreront pour eux ci-après, ou leurs monafteres, en fonds ou » propriété, les biens immeubles qu'à eux ou elles feront échus » par droit ou coutume, en ligne directe ou collatérale, foit par » donation, fucceffion, droit de légitime ou fupplément d'icel>> le mais bien en jouïront, les monafteres & couvents par » forme d'ufufruit, les vies naturelles durant feulement des >> religieux ou religieufes auxquels tel droit fera échû, ou dévolu, » fans pouvoir aliéner ou hipotéquer lefdits biens. »

La maxime eft donc en Franche-Comté que les couvents fuccédent en ufufruit aux immeubles échus par fucceffion à leurs religieux. A l'égard des meubles, ils y fuccédent en propriété ; la difpofition de la loi ne s'étendant pas à cette forte de biens. Ces deux propofitions ont été adoptées par un arrêt du parlement de Paris du 28 Février 1721, en faveur des religieuses Carmelites d'Arbois en Franche-Comté.

Cette incapacité, qui eft une fuite naturelle & nécessaire de la profeffion en religion, paroît devoir être générale pour tous les ordres religieux. Cependant, comme nous l'avons vu plus haut, plufieurs de ces ordres ont revendiqué la capacité de fuccéder. 11 faut donc examiner ici les motifs de leur prétention. Le premier de ces ordres eft celui des chevaliers de Malte.

Nous avons vu qu'ils fondoient leur prétendue capacité fur un article du grand coutumier qui les admet fans distinction aux fucceffions, & fur plufieurs arrêts qui leur ont accordé la faculté de fuccéder, au moins en ufufruit.

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Nous avons répondu à ces deux moïens, & nous les avons détruits tant par raisonnement, que par l'autorité des arrêts, d'un entr'autres rendu en 1573, en forme de réglement, fur la lecture des ftatuts de l'ordre des Joannites. Brodeau fur Louet, lettre C, fomm. 8, en rapporte encore deux femblables des Mai 1566, & 2 Juillet 1612. Il eft inutile de reprendre ici le détail de cette differtation. Il nous fuffira de remarquer que les chevaliers de Malte, voïant qu'on les regardoit comme abfolument incapables de fuccéder, implorerent l'autorité du pape, pour arrêter le cours de cette jurifprudence. Quelques-uns de leurs membres obtinrent à cet effet des difpenfes, qui furent déclarées abufives, comme attentatoires à l'autorité roïale. Louet, lett. C, fomm. 18, en rapporte un arrêt en date du 18 Août 1588. Il y a cependant deux cas où les chevaliers de Malte font en droit de demander une efpéce de légitime à leur famille. Le premier eft lorfqu'après avoir fait profeffion ils reviennent en France fans avoir obtenu une commanderie. Ils fe trouvent alors dépourvûs de tout fecours; parceque d'un côté l'émiffion de leurs vœux a fait paffer tout leur bien à leur famille ; & que de l'autre ils ne reçoivent rien de l'ordre, qui n'eft obligé, aux termes de ses statuts, de les nourrir & entretenir, que lorsqu'ils font réfidens à Malte. C'eft pourquoi ils ont droit alors de demander à leurs parens une pension modique, qui doit ceffer dès qu'ils ont obtenu une commanderie. Brodeau fur Louet, lettre C, fomm. 8, rapporte deux arrêts des 7 Février 1543, & 12 Mars 1621, qui leur ont adjugé de femblables penfions. y en a encore un pareil du 11 Janvier 1629, dans le journal des audiences.

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Le Brun, en fon traité des fucceffions, livre I, chapitre 2, fect. 2, n. 16, rapporte un arrêt du '18 Août 1588, qui a jugé que quand une fois un chevalier de Malte a obtenu une commanderie, il ne peut plus demander de penfions. Mais cet auteur remarque que les chevaliers de Malte ont voulu établir une diftinction entre les commanderies de grace, qui ne s'accordent qu'à la charge d'équiper une galère & fous des conditions fort onéreuses, & les commanderies de tour, qui leur font données fans charge. Ils ont voulu conferver leur penfion dans le cas des commanderies de grace: mais le Brun dit que les arrêts n'ont point encore admis cette diftinction, & qu'ils ont toujours adjugé des penfions jufqu'à l'obtention d'une commanderie fans Spécifier fi elle doit être de grace ou autrement.

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Le fecond cas eft lorsqu'ils font pris & faits captifs par infidéles. Comme l'ordre ne les rachette jamais, on leur accorde dans ce cas la faculté d'obliger leurs parens à les racheter, aux dépens des biens provenans de la fucceffion de leurs pere & mere; quoique la profeffion ait été faite avant leur décès: & ce droit eft reftreint au montant de leur légitime. Brodeau fur Louet, lettre C, fomm. 8 & 18, rapporte des arrêts qui ont adjugé la légitime dans ce cas. Le Brun, à l'endroit cité, eft auffi du même avis. Enfin l'auteur des loix eccléfiaftiques, part. 3, chapitre 12, maxime 31, parle de ce droit de légitime dans ces deux cas, comme d'un droit inconteftable.

Il feroit inutile de rien ajoûter ici, pour prouver que les Jéfuites font incapables de fuccéder. Nous avons prouvé qu'ils font morts civilement après leurs premiers vœux, qui les rendent écoliers approuvés. Or l'incapacité de fuccéder est une fuite néceffaire de la mort civile ; & lorfque cette fociété a prétendu que fes membres pouvoient recueillir des fucceffions, ce n'a été que fur le fondement qu'ils n'étoient pas morts civilement. Nous verrons dans la fuite, quels font les effets du congé qu'ils font autorifés à donner à ceux qui n'ont pas encore fait leurs vœux folemnels. Nous avons vû, à l'égard des peres de la Doctrine Chrétienne, une loi précise, par laquelle ils font exclus de toute, fucceffion directe ou collatérale, après l'émiffion des vœux & du ferment. Ce font les lettres patentes en forme d'édit du mois de Septembre 1726, & nous avons prouvé d'ailleurs qu'ils font morts civilement, comme les autres religieux.

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L'ordre de Cîteaux prétendoit autrefois avoir un privilege particulier, par lequel les religieux qui le compofent avoient droit de fuccéder, tant en directe, qu'en collatérale, ou le couvent pour eux : mais on n'a eu aucun égard à ce prétendu privilege. Fevret, livre 4, chapitre 7, , n. 11, rapporte à ce fujet, que la coutume de Bourgogne aiant été rédigée & publiée en 1459, de l'autorité du duc Philippe le Bon, on mit à l'article dernier des fucceffions, qu'à l'égard des religieux de Citeaux, qui difent être en droit & en ufage de fuccéder, il en feroit informé, pour en être ordonné par le duc ce qu'il appartiendroit. Sur quoi cet auteur remarque que, fi les ducs de Bourgogne prédéceffeurs de Philippe n'avoient pas été les fondateurs de l'abbaïe de Cîteaux, ce qui les avoit affectionnés eux & leurs fucceffeurs au bien de cet ordre, cet article contraire à la loi générale du roïaume n'auroit pas été reçû; etant contre les régles

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d'admettre des religieux à faire preuve contre une loi générale par toute la France. En effet la chose en est restée là, & l'on ne voit pas que ces religieux aïent agité la queftion depuis ; non pas même lorfque cette coutume fut réformée en 1570. C'est pourquoi Chaffanée, fur cette coutume, titre des fucceffions article 13, dit que Ciftercienfes religiofi comprehenduntur esse fub confuetudine generali Francia; quia fi fuccederent, annihilatio temporalitatis in republicâ fequeretur, cùm semper religiofi traberent ad fe temporalia; eò quòd fuccederent laicis, & laïci eis non fuccederent, fed eorum Ecclefiæ & monafteria.

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De l'incapacité des religieux de transmettre leur fucceffion à leurs parens, & du Pécule.

Il femble d'abord que cette queftion n'en devroit pas faire une. En effet les religieux font morts civilement à l'instant même de l'émiffion des voeux ainfi leurs héritiers exercent dans ce moment tous leurs droits. Ils ne peuvent donc pas les exercer une feconde fois, lorfque le religieux vient à mourir de mort naturelle. D'ailleurs le vœu de pauvreté, quand il eft folemnel, ôte toute jouïffance & propriété au religieux. Il n'a donc point de fucceffion à recueillir: ainfi il paroît que toutes les difficultés qu'on peut faire naître fur cette matiere font inutiles, & portent même à faux.

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Cependant, comme le luxe & la délicateffe fe font introduits dans les cloîtres, il y a des ordres où l'on fouffre que les religieux reçoivent annuellement de leurs parens une certaine fomme qui leur tient lieu de penfion viagere. Ils ne peuvent pas l'exiger mais il femble qu'on fe feroit une forte de crime de leur refuser une douceur qu'on leur a promise, & qui souvent est le feul appas dont on s'eft fervi pour les engager dans l'état monaftique. Or ils emploïent ce revenu à fe procurer des meubles, des livres & d'autres commodités que la communauté ne leur fournit point. Ces effets reftent après leur mort, & l'on demande à qui ils appartiennent.

D'ailleurs nous avons vu que les religieux font capables de pofféder des bénéfices réguliers; même des cures. Le gouvernement de leur paroiffe les oblige à vivre hors du couvent, & dans la maifon prefbitérale .Ils jouïffent du revenu de la cure fans en rendre compte au couvent, & l'emploïent à fe procurer

les meubles qui leur font néceffaires, & les autres commodités de la vie. Ceux qui font économes amaffent des fommes d'argent: il n'eft que trop commun de les voir thefaurifer, contre le vœu qu'ils ont fait, & pendant que plufieurs pauvres fouffrent dans leurs paroiffes. Il en eft de même de tout religieux profès titulaire d'un bénéfice dont les revenus font diftincts de la manfe conventuelle. Or on demande à qui ces effets doivent appartenir après leur mort; & ce font ces effets, tant du religieux particulier, que du religieux bénéficier du religieux bénéficier, que l'on nomme pécule. Le pécule des religieux, dont il eft fouvent fait mention dans les différentes régles monachales, & dans les canons des conciles, a beaucoup de reffemblance avec le pécule des efclaves, dont il eft parlé dans le droit Romain.

En effet, dans le droit Romain, le pécule des esclaves étoit une petite portion de bien dont l'efclave, du confentement de fon maître, avoit la jouïffance, & qui ne faifoit point partie du bien du maître. Peculium autem Tubero quidem fic definit (ut Celfus libro fexto digeftorum refert) quod fervus, Domini permiffu, feparatum à rationibus dominicis habet. L. 5, §. 4, ff. de peculio. La même loi, en nous expliquant l'étimologie du mot pécule, nous dit §. 3, que peculium dictum eft, quafi pufilla pecunia, five patrimonium pufillum.

Or il eft fort aifé d'appliquer ces difpofitions au pécule des religieux. Ce n'eft autre chose que quelque fomme d'argent, quelque petit revenu, ou autre chose semblable qu'un religieux s'eft acquis, foit par fon induftrie & fon travail, foit par la libéralité de fes parens ou amis, & dont le fupérieur lui permet de jouïr féparément. Il s'en fert pour fon ufage particulier, fans en faire aucune part à fes confreres. Comme donc le pécule de l'esclave eft diftinct & féparé des biens du maître, qui permet cette distinction; de même celui du moine eft féparé des biens du monaftere, qui font destinés & emploïés à l'ufage de toute la communauté en général; tandis qu'il applique fon pécule à fon utilité feule & particuliere.

Nous voïons que la loi appelle le pécule de l'esclave fon patrimoine, patrimonium; parceque, quoique le maître en eût la propriété civile, qui ne pouvoit réfider fur la tête de l'efclave, cependant celui-ci en avoit entiérement l'ufage, & en retiroit tout le profit. Il en eft de même du religieux. Il n'a pas la nue propriété; son état l'en rend incapable. Mais il a la jouïffance & l'utilité. Comme tout le bien qu'on peut retirer des chofes Ggggg ij

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