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CHAPITRE VI.

De l'incapacité des Religieux de fe marier.

E vœu de chasteté, comme nous l'avons dit plus haur, ne fe prononce pas expreffément dans tous les ordres religieux: il fuffit qu'on foit engagé par une profeffion folemnelle dans un ordre approuvé, pour être cenfé l'avoir prononcé. Ainfi tout religieux contracte à cet égard deux obligations. La premiere est de vivre chaftement hors le mariage.

La feconde eft de s'abstenir du mariage, & de tout acte conjugal; parceque la chafteté qu'il a promise eft fans restriction, & lui interdit même ce que le facrement de mariage rend licite

aux autres hommes.

Il paroît cependant que la difcipline de l'églife n'a pas toujours été la même fur cette matiere. L'empereur Jovinien défendit en 377 fous peine de mort, de rechercher en mariage les vierges confacrées à Dieu. Si quis non dicam rapere, fed attentare tantùm, jungendi caufâ matrimonii, facratiffimas virgines aufus fuerit, capitali pœnâ feriatur. L. 5, Cod. de Epifcop. & Cleric. Cette loi défend ces mariages; elle punit même ceux qui ofent les contracter: mais elle ne les annulle pas quand ils le font. Le concile de Calcédoine tenu en 451, chap. 16, prononce l'excommunication contre les moines & les religieufes qui se marient : mais on ne voit point qu'il déclare ces mariages nuls. Si qua virgo fe dedicaverit Deo,fimiliter monachus, non licet eis nuptiis jungi. Si verò inventi fuerint hoc facientes, maneant excommunicati. Statuimus verò eis poffe fieri humanitatem, fi ita probaverit epifcopus loci. On ne voit encore ici qu'une défenfe de contracter ces fortes de mariages: mais la nullité n'eft point prononcée. Saint Augustin, lib. de bono viduit. cap. 8, décide formellement que ces fortes de mariages font valides, & qu'il n'eft pas permis à ceux qui font ainfi mariés de fe féparer, fous prétexte de leur væu, fans commettre un très-grand mal. Ce paffage eft rapporté par Gratien, Cauf. 27, q. I, can. 41.

La difcipline de l'églife a changé à cet égard depuis faint Auguftin. Le fecond concile de Latran, en 1139, can. 8, & plufieurs décrétales des papes, comme celles d'Alexandre III. in

cap.

eap. Meminimus 3, ex. qui Clerici vel voventes matrim. contrab. poff. & de Boniface VIII. Cap. unic. de voto, in 6o. enfin le concile de Trente, feff. 24, can. 9, ont décidé formellement que les vœux en religion font un empêchement dirimant au mariage; en forte que quand un religieux , ou une religieufe contractent mariage après avoir fait profeffion folemnelle & dans les formes, dans un ordre approuvé par l'églife & admis dans l'état ; un tel mariage eft abfolument nul.

Mais il faut remarquer qu'il n'y a que les vœux folemnels qui puiffent produire cet effet ; en forte que ceux qui font prononcés dans ces communautés où l'on ne fait que des voeux fimples, ne forment point un empêchement dirimant. Cette obfervation donne ici lieu à une question.

Nous avons vû qu'il y a chez les Jéfuites trois états différens; celui d'écolier, celui de coadjuteur & celui de profès. Les vœux prononcés par les écoliers font fimples, & n'engagent en aucune façon la communauté, quoiqu'ils mettent dans les liens de la mort civile celui qui les a prononcés, & l'y retiennent tant qu'il demeure dans la fociété. Les vœux des coadjuteurs, quoique faits avec un peu plus de folemnité, font auffi fimples; en forte qu'il n'y a que les vœux des profès qui forment un engagement indiffoluble.

Or on demande fi quand un écolier, ou un coadjuteur ont été congédiés, ils peuvent valablement contracter mariage. Il eft hors de doute que rien ne peut les en empêcher. Ils étoient liés à la vérité par un vœu : mais ce vœu étoit fimple, & le général avoit droit de les en relever; c'eft ce qu'il a fait en les congédiant. Ce congé leur rend donc toute la liberté dont ils jouïffoient avant l'émiffion de leurs vœux. Il les remet dans la fociété, & en fait de véritables citoïens, qui ne différent des autres qu'en certaines occafions, & dans certains points, dont nous avons parlé plus haut.

Malgré les loix de l'église & de l'état qui interdisent le mariage aux religieux profès, on ne laiffe par d'en voir fort fouvent qui quittent leurs monafteres, prennent l'habit féculier, fe retirent dans des lieux où ils font inconnus, & y contractent des mariages à la face des autels, comme s'ils jouiffoient d'une pleine & entiere liberté. Ces conjonctions illicites & facrileges nous donnent ici l'occafion d'examiner quel eft l'état de la femme qui épouse un religieux apoftat, l'état des enfans qui proviennent de ces mariages, & à qui appariennent les biens que de pareils conjoints peuvent acquérir? Si dans le moment des épou

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failles ils connoiffent refpectivement leur état; c'est-à-dire, fi la femme fçait que celui qu'elle prend pour fon mari eft dans les liens de la profeffion en religion, il est fans difficulté que, dans ce cas, il n'y a point de mariage. Il n'y a donc de question que quand la femme eft dans la bonne foi.

Les principes fur les effets de la bonne foi, dans la matiere que nous traitons, font certains. Il y a long-tems qu'on ne s'arrête plus à les prouver; mais feulement à difcuter, quand il s'éléve quelque procès à ce fujet, la question de fait, s'il y a bonne ou mauvaise foi. C'eft une maxime universellement adoptée maintenant, & confacrée par les arrêts, que la bonne foi conftante de la femme affure fon état, celui des enfans, & tous les droits que produiroit en leur faveur un mariage légitime.

Il faut cependant convenir qu'à proprement parler, il n'y a point de mariage. En effet la matiere du facrement de mariage, fuivant les maximes de l'églife gallicane, n'eft autre chofe que le confentement refpectif des parties, donné fuivant les loix de l'église & de l'état. Il eft vrai que, dans le cas dont il s'agit ici, l'un des deux conjoints a donné un confentement conforme à ces loix, puifqu'on le fuppofe entiérement libre: mais cela ne fuffit pas pour opérer un mariage. Il faut que le confentement des deux foit également libre; parceque le mariage eft un contrat fynallagmatique, & qui ne peut exister qu'autant que les deux contractans font mutuellement engagés l'un vis-à-vis de l'autre. Ce n'est donc ici, fuivant le langage des arrêts & des auteurs, qu'un mariage putatif; & fi l'on donne les effets civils à celui-ci à caufe de la bonne foi d'un des conjoints, ils ne font, par rapport au conjoint trompé, qu'une efpéce de dommages & intérêts, qu'il eft naturel de mesurer fur les droits qu'acquiert ordinairement un mariage valide; parceque celui qui a été trompé, a compté acquérir tous ces droits par fon mariage. Ces dommages & intérêts ne font même pas encore proportionnés au dommage que fouffre la femme; car ils ne regardent que le civil, & les effets extérieurs du mariage: mais il refte toujours au conjoint trompé un chagrin cuifant & des peines quelquefois fecrétes, mais toujours réelles, qui ne font point vengées.

C'est par la même raifon que les effets civils que l'on accorde à ces fortes de mariages s'étendent jufqu'aux enfans qui en proviennent. Ils font nés à l'ombre de la bonne foi de leur mere. Elle a eu intention, en se mariant, de donner le jour à des enfans légitimes: ce feroit la déshonorer que de regarder les enfans

comme le fruit d'un concubinage: or il ne feroit pas jufte de punir la bonne foi en lui imprimant une tache auffi infamante que celle qui réfulteroit de la qualité de mere d'enfans bâtards. D'ailleurs il y auroit contradiction à regarder le mariage comme légitime relativement à la mere, & comme illégitime relative

ment aux enfans.

On trouve fur cette matiere au journal des audiences, un arrêt dont voici l'efpéce. Le nommé Pierre Fauber aïant fait profeffion dant le couvent des Recolets de Bordeaux en 1676, en étoit forti, & s'étoit retiré à leur infçû en cette ville de Paris, où il fit un gros commerce de couleurs. Il amaffa du bien, & époufa Louife du Hamel, qui ignoroit l'engagement de Fauber. Pendant fon mariage, il donna dix mille livres à l'hôpital des Incurables, il fit plufieurs autres aumônes, & mourut enfin vers l'an 1681. Il ne laiffa point d'enfans de fon mariage; fa femme & lui s'étoient fait un don mutuel, fuivant qu'il eft permis par la coutume de Paris. La veuve, en conféquence de ce don mutuel, fe mit en poffeffion de tous les biens de fon mari, qui confiftant tous en mobilier & en conquêts, étoient enveloppés dans le don mutuel. Elle fut troublée dans fa jouïffance par un donataire du Roi, qui prétendoit que fon mari étoit bâtard: mais il fuccomba. Elle fe maria enfuite au nommé....... à qui elle fit par contrat de mariage plufieurs donations. Un autre donataire du Roi la traverfa encore, fous prétexte que fon premier mari étoit un apoftat, dont les biens devoient appartenir au Roi. Inftance en la chambre du tréfor, pendant laquelle elle mourut. Son fecond mari foutint fes droits contre le donataire. Les parens de Fauber intervinrent, & demandérent la fucceffion. Les fermiers du domaine, les receveurs de Monfieur frere du Roi, & les feigneurs hauts-jufticiers intervinrent auffi pour les biens fitués en leurs hautes juftices. Les parties furent appointées. Appel de cet appointement & requête en évocation du principal.

M. de Harlai, avocat général, dit qu'il s'agiffoit de fçavoir à qui devoient appartenir les biens d'un apoftat. Que les religieux en France pouvoient être comparés aux efclaves des Romains; qu'à la vérité Fefclavage des premiers étoit volontaire, & celui des autres forcé mais cependant, qu'un efclave fugitif, quand il n'étoit point revendiqué, pouvoit acquérir par le droit des gens; au lieu qu'un religieux fugitif ne pouvoit jamais acquérir valablement, ni par conféquent difpofer. Qu'il étoit bien conftant que le couvent ne pouvoit rien prétendre à fes biens, & qu'il Kkkkk ij

n'étoit pas moins certain que fes parens ne pouvoient lui fuccé der; parcequ'en France on ne fuccéde point aux religieux, ni les religieux à leur famille, non pas même ceux qui fortent des Jéfuites avant d'avoir fait leur vœu de ftabilité ; attendu que, par l'entrée en religion & la profeffion, les religieux font morts civilement. Que fi Fauber avoit laiffé des enfans nés dans la bonne foi d'un mariage contracté par leur mere, dans l'ignorance de l'engagement qui lioit fon mari, il croïoit que fi la cour ne leur faifoit pas la fucceffion, au moins elle leur en accorderoit par équité une bonne partie : qu'il n'y en avoit point dans l'efpèce dont il s'agiffoit: mais que Fauber avoit laiffé une veuve qui paroiffoit avoir ignoré, avec tout le public, l'apoftafie de fon mari. Que quelques docteurs faifoient difficulté d'accorder à la veuve, en cas même de bonne foi, l'effet de fes conventions matrimoniales: mais que la plus commune opinion étoit qu'elle devoit jouïr de fa moitié en la communauté, en faire même distraction, & au par deffus mettre fon don mutuel à exécution. Qu'à l'égard de l'autre partie des biens, Dumoulin croïoit qu'on en devoit faire quelques libéralités aux parens de l'apoftat qui fe trouveroient dans l'indigence: qu'au furplus ils étoient réputés vacans, pour appartenir aux feigneurs hauts-jufticiers dans l'étendue de la haute-juftice où ils fe trouvoient fitués. Qu'il y en avoit une bonne partie dans la haute-justice du Roi, dont par conféquent l'adjudication devoit être faite au donataire & au fermier du domaine, & le refte aux feigneurs qui les réclamoient.

Par arrêt du 22 Janvier 1693, rendu fuivant les conclufionsde M. l'avocat général, la cour a mis l'appellation & le jugement dont étoit appel au néant, émendant, évoquant le principal & y. faifant droit, a maintenu le fecond mari de Louife du Hamel dans la poffeffion des biens de la communauté, avec l'adjudication des fruits de toute la fucceffion, pour raison du don mutuel, jufqu'au décès de ladite du Hamel; & à l'égard de l'autre partie defdits biens, a pareillement maintenu le fermier du domaine & le donataire du Roi, pour leurs parts dans ce qui fe trouveroit fitué dans la haute-juftice de fa majefté, & les receveurs des droits cafuels de Monfieur, pour ce qui fe trouveroit fitué dans fa haute-justice.

Il peut arriver que la femme, par quelqu'événement, découvre, du vivant de fon mari, les liens dans lefquels il étoit engagé avant fon mariage. Il eft conftant que cette découverte, faifant ceffer la bonne foi, fait auffi ceffer la légitimité du mariage rela

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