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jours fait douter s'il ne romproit pas un jour tous les liens qui l'attachoient à la Porte, pour fe rendre à fa patrie & à fa famille. C'est l'efpérance que le marquis de Bonneval avoit conçue de fon frere, & il l'avoit, fuivant fes enfans même, confervée jufqu'à la mort, quelqu'intéreffé qu'il fût à préfumer le

contraire.

Enfin, par Arrêt rendu fur délibéré, après plufieurs audiences, en la cinquième chambre des Enquêtes, le Jeudi 29 Août 1749, la Cour déclara libres, en la perfonne de Claude-Alexandre comte de Bonneval, les biens à lui échus par le partage de ceux de Pierre de Monceaux; permit aux créanciers dudit comte de Bonneval de les vendre, pour le prix être diftribué entr'eux, fuivant l'ordre des hipothéques. Les héritiers condamnés en tous les dépens.

Il est bien effentiel d'obferver que M. Titon, Rapporteur du délibéré, avertit Me Dorigny, que la Cour avoit jugé les deux questions qui divifoient les parties. Il y eut onze voix contre fix, ?, pour décider que le comte de Bonneval n'étoit pas mort civilement; & neuf contre huit déciderent que, quand il auroit été mort civilement, il n'y auroit pas eu pour cela ouverture à la fubftitution. Nous aurons occafion d'examiner cette queftion dans la fuite.

De tout ce qui a été dit dans cette diftinction, il doit demeurer pour constant qu'il n'y a point, & qu'il ne peut y avoir de crime qui faffe mourir civilement, ipfo facto. Il faut que le coupable foit convaincu & condamné.

DISTINCTION II.

Si la condamnation emportant mort civile a un effet rétroactif au jour du crime, commis ou au jour de l'accufation?

De ce qui a été dit dans la diftinction précédente, il fuit que ce n'eft pas le crime qui fait impreffion fur l'état du coupable: c'est le jugement feul par lequel il eft déclaré coupable, & comme tel, digne du fupplice. Or, comme l'effet ne peut pas exister avant la cause qui le produit, il fuit néceffairement que la condamnation n'a d'effet que pour l'avenir, & nullement pour le paffé. Le criminel conferve donc fon état de citoïen pendant l'instruction de fon procès. Nous allons établir cette maxime par rapport au droit Romain, & par rapport à notre usage.

C'étoit une maxime conftante chez les Romains, que la condamnation seule prononcée par un juge compétent, raviffoit les droits de cité au coupable.

Nous avons obfervé plus haut que tous les magiftrats n'avoient pas droit de prononcer toutes fortes de peines contre les citoïens. Le préfet de la ville & le préfet du prétoire feuls pouvoient condamner à la déportation; les magiftrats des provinces n'avoient pas ce pouvoir; & s'ils fe trouvoient dans le cas de condamner quelqu'un qui eût mérité cette peine, ils ne faifoient que donner leur avis, qu'ils envoïoient au prince, dont l'autorité étoit néceffaire pour rendre la condamnation valable. Præfides itaque provincia, quotiens aliquem in infulam deportandum putent, boc ipfum adno notare debent. Nomen ejus fcribendum principi, ut in infulam deportetur. Sic deindè principi fcribere, miffâ plenâ opinione, ut princeps æftimet an fequenda fit ejus fententia, deportarique in infulam debeat. Medio autem tempore, dum fcribitur, jubere eum debet in carcere esse. l. 6. §. 1. ff. de interdict. & releg.

Ainfi, pour fçavoir à quel inftant commençoit la mort civile du condamné, il falloit fçavoir fi le juge avoir pu prononcer la peine, ou s'il ne l'avoit pas pu. Dans le premier cas, le condamné étoit réputé mort civilement dès l'inftant même de la prononciation du jugement, foit que la peine fût la déportation, ou le travail aux métaux, ou toute autre qui opéroit le changement d'état; foit que ce fût la peine de mort naturelle. Si au contraire le juge n'avoit pas eu ce pouvoir, la mort civile n'étoit encouruë que du moment de la ratification par le prince. Deportatos autem eos accipere debemus, quibus princeps infulas adnotavit, vel de quibus deportandis feripfit. Cæterùm priùs quàm factum præfidis comprobet, nondum amififfe quis civitatem videtur. l. 1. §. 3. ff. de legat. & fideicom. 3°. Conftat, poftquam deportatio in locum aqua & ignis interdictionis fucceffit, non priùs amittere quem civitatem, quàm princeps deportatum in infulam ftatuerit. l. 2. §. 1. ff. de pænis.

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Ces deux loix démontrent fans replique, que la mort civile ne pouvoit être encouruë qu'en conféquence du jugement prononcé par un juge compétent. Ainfi quand le juge n'avoit pas le pouvoir de condamner à la peine que méritoit le crime, fon jugement n'étoit alors regardé que comme un fimple avis qui ne produifoit aucun effet fur l'état de celui contre qui il étoit donné. Il continuoit d'en jouir jufqu'à ce que l'empereur eût ratifié cet avis, & lui eût donné, par fa ratification, force de jugement: mais il n'acquéroit cette force que

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du moment même de la ratification, qui ne lui donnoit aucun effet rétroactif.

Mais fi le juge étoit de qualité à n'avoir pas befoin que fes jugemens fuffent ratifiés par le prince, ils produifoient leur effet dans l'instant même qu'ils étoient prononcés. A præfectis verò pratorio, vel eo qui vice præfecti ex mandatis principis cognofcet,item à præfecto urbis deportatos (quia ei quoque epiftolâ divi Severi & imperatoris noftri jus deportandi datum eft) ftatim amittere civitatem, & ideò nec teftamenti faciendi jus, nec fideicommittendi conftat habere. l. 1. §. 4. f. de legat. & fideicomm. 3.

Voici encore une loi qui décide la question in terminis. Si is de cujus pœnâ imperatori fcriptum eft, veluti quòd decurio fuerit, vet quòd in infulam deportari debuerit, antequàm refcriberetur, decefferit, poteft quari nùm antè fententiam deceffiffe videatur. Argumento eft Senatus-confultum, quod factum eft de his qui Romam tranfmiffi, antè fententiam deceffiffent; cujus verba hac funt: Cum damnatus nemo videri poffit in hunc annum, antequàm de eo fortè judicium Roma redditum & pronunciatum effet, neque cujufquam mortui bona, antequàm de eo Roma Pronunciatum fit, publicata funt, eaque bona bæredes poffidere debent. 7. 2. §. 1. ff. de bonis eorum qui antè fentent. mort. fib. confciv.

Il eft donc conftant que chez les Romains l'accufé demeuroit citoïen, & jouïffoit de tous les droits attachés à cette qualité, jufqu'au moment de la condamnation légitimement prononcée; & que cette condamnation n'avoit point d'effet rétroactif. C'eft ce qu'on ne peut révoquer en doute, après les textes de loix qui viennent d'être rapportés. Nous aurons encore occafion dans la fuite d'en citer d'autres, qui établissent la même vérité

Cette maxime, que la condamnation qui emporte mort civile n'a point d'effet rétroactif, eft auffi admife dans nos mœurs ; & elle est fondée sur la raifon, fur l'opinion de nos meilleurs auteurs, & fur la jurifprudence des arrêts.

La mort civile n'étant que l'état d'un homme condamné à un fupplice avec lequel la qualité de citoien eft incompatible, il fuit néceffairement qu'elle ne peut avoir lieu tant que la peine d'où elle tire fon exiftence n'a pas été infligée. Il répugne que l'effet exifte avant la caufe qui le produit, Le crime ne bannit point de la fociétés il rend feulement celui qui l'a commis digne d'en être banni' : mais il faut que ce banniffement foit prononcé en connoiffance de caufe par les magiftrats prépofés à cet effet. Tant qu'il ne l'eft point, l'accufé eft citoïen, & ne ceffe de l'être qu'au moment qu'on le retranche de la vie civile par la condamnation qu'il a méritée.

Tous nos meilleurs auteurs ont admis ce principe comme une régle générale dans la jurisprudence françoise. Voïez M. le Prestre, cent. 1. chap. 84. le Brun, en fon traité des fucceffions, liv. 1. chap. 1. fect. 2. & chap. 2. fect 3. de la Combe, traité des matiéres criminelles, part. 1. chap. 1.

Il a auffi été adopté par la jurifprudence des arrêts. le Brun, traité des fucceffions, liv. 1. chap. 2. fect. 3. en rapporte un d'après Servin, du 24 Mars 1603. qui a jugé qu'un homme accufé d'incefte avoit fuccédé à fon frere, quoique par l'événement du procès il ait été convaincu & puni de mort. Et cet auteur ajoûte qu'on auroit jugé la même chofe, quand même cet homme ne fe feroit pas mis en poffeffion de la fucceffion avant fa condamnation, & que la fentence auroit prévenu l'immixtion. Il femble néanmoins qu'on pourroit objecter, contre le principe que nous foutenons ici, l'article 1 1. du titre 10. de l'ordonnance de 1670 qui porte que le decret d'ajournement perfonnel ou de prise de corps emporte interdiction. D'où l'on pourroit conclure que la fimple accufation avec quelqu'apparence de fondement fuffit pour priver un homme du pouvoir d'exercer des fonctions dans la fociété civile. En effet il eft conftant que le décret ne prouve pas que l'accufé eft convaincu; il prouve feulement que le juge le foupçonne violemment d'être coupable du crime dont on l'accufe.

Mais cette interdiction ne tombe que fur les fonctions des officiers de judicature, & autres femblables, qui demeurent fufpendues dans la perfonne du coupable jufqu'à ce que le décret foit purgé; parceque, comme remarqua M. Talon, lors des conférences tenues pour la rédaction de cette ordonnance, il est indécent qu'un officier prévenu de crime continuë de rendre la justice aux fujets du Roi avant que d'avoir justifié fon innocence. Cette interdiction n'oblige pas même celui qui en eft frappé de se défaire de fon office. Elle ne produit aucun effet fur les сараcités qui compofent la vie civile. Voïez liv. 3. art. 1. chap. 2. fect. 1. où nous traitons plufieurs queftions qui ont beaucoup de rapport à la matiére qui fait l'objet de cette diftinction.

Il eft vrai, comme nous allons le voir par la fuite, que la condamnation, quand elle eft prononcée, annulle certains actes faits par le coupable pendant le tems intermédiaire au crime commis & au jugement: mais ce n'eft pas que l'accufé fût incapable de ces actes. Rien ne lui avoit encore ravi fa qualité de citoïen mais on préfume qu'il les avoit faits en fraude. Ainfi

:

quand on les annulle, c'eft comme frauduleux, & non comme faits par une perfonne incapable.

Nous allons entrer dans le détail de ces différens actes.

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Si le coupable peut adminiftrer fon bien & recevoir fes revenus.

Si nous confultons les loix Romaines, nous trouverons qu'elles accordent expreffément au coupable la faculté d'administrer fon bien & de recevoir fes revenus, tant qu'il n'est ni convaincu ni condamné. In reatu conftitutus bona fua adminiftrare poteft; eique debitor rectè bonâ fide folvit. l. 46. §. 6. ff. de jure fifci. Reo criminis poftulato interim nihil prohibet rectè pecuniam à debitoribus folvi. Alioquin plerique innocentium necessario fumptu egebunt. l. 41. ff. de folut. &liberat. Sed nec illud probibitum videtur, ne à reo creditori folvatur. 1. 42. ff. eod.

Ces loix font une fuite néceffaire du principe que nous avons établi dans la diftinction précédente, qu'un citoïen confervoit cette qualité jufqu'au moment de la condamnation. Ainfi l'adminiftration de fon bien devoit toujours lui appartenir jusqu'à ce que la faculté lui en fût ravie par un jugement.

Cependant, comme un coupable qui fent qu'il ne peut éviter d'être condamné,& que fon bien va par conféquent lui être ravi, pourroit abufer de la faculté que les loix lui laiffent, pour le diffiper, & en priver ceux à qui il doit retourner après fa condamnation, lorfqu'il y a fraude dans fon administration, les actes frauduleux qu'il peut avoir faits font déclarés nuls. Il faut en un mot qu'il y ait de la bonne foi. Eique debitor rectè BONA FIDE folvit. On déclareroit nul, par exemple, le païement anticipé d'une dette.

L'ufage a adopté parmi nous ces loix, que nous voïons exécuter journellement fous nos yeux.

En effet, on voit tous les jours des innocens détenus en prifon, fur de fauffes accufations, ou fur des foupçons fondés feulement fur une probabilité apparente, & que l'inftruction de la procédure diffipe entiérement. Or il feroit injufte & même contraire à l'humanité de réduire à la nourriture fournie par le fifc un homme qui eft innocent, & qui peut fe procurer, par fes propres facultés, une fubfiftance plus commode. Alioquin plerique innocentium neceffario fumptu egebunt.

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