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nant, c'eft, dit Velléius Paterculus, que ce ne fut pas même par degrés, mais tout-à-coup que fe fit un fi grand changement, & que les Romains fe précipitèrent dans le luxe & dans la inolleffe: Vell. Pat.1.2. Sublata imperii æmulâ, non gradu, fed præcipiti curfu, à virtute defcitum, ad vitia tranfcurfum. Les voluptés prirent la place de la tempérance; l'oifiveté fuccéda au travail; & l'intérêt particulier éteignit ce zèle & cette ardeur que leurs ancêtres avoient fait paroître pour l'intérêt public. En effet, il femble que ce foit une autre nation qui va paroître fur la scène. Une corruption générale fe répandit bientôt dans tous les ordres de l'état. La juftice fe vendoit publiquement dans les tribunaux; on confignoit fur la place pour acheter les fuffrages du peuple; & les confuls, après avoir acquis cette grande dignité par leurs brigues, ou à

prix

prix d'argent, n'alloient plus à la guerre que pour s'enrichir des dépouilles des nations, & souvent pour ravager eux-mêmes les provinces qu'ils euffent dû conserver & défendre.

Delà vinrent les richeffes immenfes de quelques généraux. Qui pourroit croire qu'un citoyen romain, que Craffus ait eu plus de fept mille talens de bien? 10500000 1. Je ne parle point des tréfors que Lucullus rapporta de l'Afie, & Jules Céfar des Gaules. Le premier à fon retour fit bâtir des palais & y vécut avec une magnificence & une délicateffe que les, anciens rois de Perfe auroient eu bien de la peine à imiter; & Céfar plus ambitieux, outre un grand nombre d'officiers & de foldats qu'il enrichit par des libéralités intéreffées, fe fervit encore de l'argent des Gaulois pour corrompre les premiers de Rome, & acheter la liberté de fa patrie.

B

Il falloit que les provinces fournîffent à ces dépenfes immenfes. Les généraux, fous prétexte de faire fubfifter leurs troupes, s'emparoient des revenus de la république ; & l'état s'affoibliffoit à proportion que les particuliers. devenoient puiffans.

Outre les tributs ordinaires, les commandans exigeoient tous. les jours de nouvelles fommes ou à titre de présens, à leur entrée dans la province, ou par forme d'emprunt. Souvent même on ne cherchoit plus de prétextes. C'étoit affez pour piller le peuple, & pour établir de nouveaux impôts, que de leur donner Cæf. de de nouveaux noms. Cujus modo rei nomen reperiri poterat,hoc fatis effe ad cogendas pecunias. Et ce qui étoit encore plus infupportable, c'eft que, pour avoir de l'argent comptant, on remettoit la levée de ces tributs extraordinaires à des publicains, qui, fous prétexte

bell. civ.1.3.

d'avoir avancé leurs derniers doubloient les dettes des provinces, & abforboient par des ufures Id. ibid. énormes les revenus de l'année fuivante.

Toutes ces richeffes fondoient à Rome. Des fleuves d'or, ou pour mieux dire, le plus pur fang des peuples y couloit de toutes les provinces, & y portoit un luxe affreux. On voyoit s'élever toutà-coup, & comme par enchantement, de fuperbes palais, dont les murailles, les voûtes & les plafonds étoient dorés. Ce n'étoit pas affez que les lits & les tables fuffent d'argent, il falloit encore que ce riche métal fût gravé, ou qu'il fût orné de bas-reliefs de la main des plus excellens ouvriers.

O Pater urbis!

Unde nefas tantum Latiis paftoribus !

C'est de Sénèque que nous apprenons un changement fi furprenant dans les mœurs des Ro

Juven. fat. 2.

mains, & qui, étant lui-même riche de fept millions d'or, n'a point eu honte de nous laiffer ces excellens difcours fur la pauvreté, que tout le monde admire dans fes ouvrages. Par quel règle de philofophie, s'écrioit Suillius, Séné que a-t-il acquis en quatre ans de faveur, plus de fept millions d'or? Il lui reprochoit que fa principale étude étoit de courir après les teftamens, de prendre comme dans un filet ceux qui n'avoient point d'enfans, & de remplir l'Italie & les provinces de fes Tac. Ann. ufures: Quâfapientiâ, quibus philofophorum præceptis, intra quadriennium regia amicitia ter millies feftercium paraviffet? Romæ teftamenta & orbas, velut indagine ejus capi, Italiam & provincias immenfo fœnore hauriri.

1. 13.

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Tout l'argent de l'état étoit entre les mains de quelques grands, des publicains, & de certains af

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