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pas de foif dévorante: ta gorge ne fera pas defféchée par la pouffière que tu aurois avalée fous ton cafque. Tu feras exempt de ces pénibles travaux qu'enfante la crainte à chaque pas. Tous tes jours feront brillans, tes momens heureux, & tu n'auras qu'à attendre la vieilleffe dans le fein de la plus paifible tranquillité. Eh combien de chofes les Dieux n'ont-ils pas confacrées à nos plaifirs? ne nous offrent-ils pas ces plaifirs à pleines mains? Ces Dieux devenus pour nous un exemple fi agréable à fuivre, ne font-ils pas euxmêmes dans la jouiffance du plus parfait repos, fans jamais fentir les atteintes du moindre trouble?

C'est moi, jeune guerrier, c'eft moi qui fur les bords du Simois ai conduit dans les bras de Cythère Anchife qui donna niffance à l'auteur de votre illuftre race. C'est moi qui ai fouvent tranfformé le maître des Dieux tantôt en oiseau, tantôt en taureau armé de cornes menaçantes. Redouble ici ton attention: la vie paffe fi rapide-ment, & l'on ne peut naître qu'une fois! L'heure fuit & s'abforbe dans le torrent du Tartare. Ce qui a le plus flatté ne peut être emporté chez les ombres. Quel mortel n'a pas gémi à fa mort trop tard, hélas! de n'avoir pas profité des inf tans de mes faveurs !

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La Volupté fe tait alors parle la Vertu. Traitreffe, dans quelles erreurs, dans quelles ténèbres prétends-tu jeter ce brillant jeune homme, à qui les Dieux ont accordé toute leur prudence, & qui tient même fa grande ame de la leur ? Autant les Dieux fuprêmes font élevés au - deffus des mortels, autant les fils des Dieux l'emportent fur tous les autres humains; & la nature en nous les accordant, n'a mis au-deffus d'eux que les Dieux; tandis que les autres ames, rabaiffées au-deffous de leur niveau, font condamnées à être la proie

At, quîs ætherei servatur feminis ortus,

Cœli porta patet. Referam quid cun&ta domantem Amphitryoniaden? quid, cui, poft Seras, & Indos 80 Captivo Liber quum figna referret ab Euro, Caucafeæ currum duxêre per oppida tigres? Quid fufpiratos magno in difcrimine nautis Ledæos referam fratres ? veftrumque Quirinum?

Nonne vides, hominum ut celfos ad fidera vultus 85 Suftulerit Deus, ac fublimia finxerit ora,

Quum pecudes, volucrumque genus, formafque
ferarum,

Segnem atque obfcoenam paffim ftraviffet in alvum ?
Ad laudes genitum, capiat fi munera Divûm

Felix, ad laudes hominum genus. Huc, age, paullum
90 Adfpice, nec longe repetam : modò Roma minanti
Impar Fidena, contentaque crefcere afylo,
Quò fefe extulerit dextris! idem adfpice, late
Florentes quondam luxus quas verterit urbes!
Quippe nec ira Deûm tantùm, nec tela, nec hoftes,
95 Quantùm fola noces animis illapfa Voluptas.
Ebrietas tibi fida comes, tibi luxus, & atris
Circa te femper volitans infamia pennis :
Mecum honor, ac laudes, & læto gloria vultu,
Et decus, & niveis victoria concolor alis.

Me cinctus lauro producit ad aftra triumphus,
Cafta mihi domus, & celfo ftant colle penates:

du Tartare. Le ciel, au contraire, et toujours ouvert à ces enfans des Dieux. Scipion, te parlerai-je ici d'Hercule, à qui rien n'a réfifté? Citerai-je Bacchus dont les tigres du Caucase traînoient par les villes le char triomphant, lorfqu'après avoir enchaîné les Serres & les Indiens, il ramena de l'extrémité de l'orient ses armées victorieuses?

Rappelerai-je les enfans de Léda, recours des nautonniers dans la tempête, & votre grand Quirinus? Si les Dieux ont fait l'homme droit, lui ont élevé la tête, c'étoit afin qu'il eût toujours les yeux fixés vers les demeures céleftes. Les autres animaux, au contraire, oifeaux, quadrupèdes ou brutes quelconques, ont été inclinés sur leur ventre dont ils devoient uniquernent connoître l'appétit brutal. Mais l'homme eft né pour la gloire, pour les honneurs, s'il fait faire un heureux ufage des dons du ciel.

Sans aller chercher plus loin, jette les yeux ici : vois Rome naiffante, incapable de tenir contre le Fidenate menaçant. Trop heureufe de trouver fon origine & fon accroiffement dans un bois, à quelle grandeur ne s'eft-elle pas élevée par fon courage? Vois d'un côté quelles villes floriffantes n'ont pas été renversées par les plaifirs! Non, la colère des Dieux, le bras d'un ennemi, le fer n'ont jamais caufé autant de défaftre que toi, perfide Volupté, lorfque tu as fu gagner les cœurs & les efprits. L'ivreffe, la débauche, l'infamie qui voltige toujours autour de toi fur fes fombres ailes, font tes compagnes inféparables. Vois au contraire à ma fuite l'honneur, les louanges, la gloire d'un air riant, la grandeur, & la victoire portée fur des ailes d'une blancheur éblouiffante. Le triomphe, ceint de lauriers, m'élève jusqu'aux aftres, La pureté préfide à ma demeure; & mon

Ardua faxofo perducit femita clivo.

Afper principio, nec enim mihi fallere mos eft, Profequitur labor: adnitendum intrare volenti: 105 Nec bona cenfendum, quæ fors infida dediffe, Atque eadem rapuiffe valet ! mox celfus ab alto Infra te cernes hominum genus, omnia contra Experienda manent, quàm fpondet blanda Voluptas, Stramine projectus duro patiêre fub aftris

110 Infomnes noctes, frigufque famemque domabis. Idem juftitiæ cultor, quæcumque capeffes, Teftes faftorum ftare arbitrabere Divos.

Tunc, quoties Patriæ, rerumque pericula pofcent, Arma feres primus, primus te in monia tolles 115 Hoftica, nec ferro mentem vincêre nec auro. Hinc tibi, non Tyrio vitiatas murice veftes, Nec donum deforme viro flagrantis amomi; Sed dabo, qui veftrum fævo nunc Marte fatigat Imperium, fuperare manu, laurumque fuperbam 20 In gremio Jovis excifis deponere Pœnis.

Quæ poftquam cecinit facrato pectore Virtus, Exemplis lætum vultuque audita probantem Convertit juvenem. Sedenim indignata Voluptas Non tenuit voces: nil vos jam demoror ultra, 125 Exclamat. Venient, venient mea tempora quondam Quum docilis noftris magno certamine Roma Serviet imperiis, & honor mihi habebitur uni.

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habitation eft fur la cime d'une colline escarpée : le fentier eft de difficile accès: car je ne veux tromper perfonne la peine s'y offre par-tout fous les pas, & ce n'eft qu'avec de grands efforts qu'on peut y entrer. Une feule réflexion fait oublier ces travaux : c'eft qu'il ne faut pas regarder comme de vrais biens ceux que la main perfide de la fortune donne & peut ravir auffitót. Dès que tu feras à la cime, tu verras au-deffous de toi tout le genre humain, & tu dois t'attendre à tout le contraire de ce que t'a propofé la flatteuse Volupté. Couché fur un dur feuillage tu pafferas, fans dormir, les nuits à la belle étoile, & tu auras à combattre le froid & la faim. Rigide obfervateur de la juftice, quelque entreprise que tu faffes, fouviens-toi que les Dieux feront témoins de tes actions. Alors, à quelque danger que t'appelle l'intérêt de la patrie, tu ne balanceras pas à voler le premier aux armes, à pénétrer le premier dans les murs ennemis : ni l'or ni le fer n'abattront ton courage. Après cette conduite n'attends cependant pas de ma main des habits de pourpre, ni ces précieux parfums qui font le déshonneur d'un homme; mais je te ferai vaincre celui qui dévafte actuellement votre Empire par les fureurs de la guerre, & tu iras dépofer le fu perbe laurier dans le fein de Jupiter, après avoir défait fans reffource le Carthaginois.

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Ce difcours pathétique, prononcé de la bou che facrée de la Vertu, lui gagna entièrement le jeune guerrier, qui montroit affez fur fon vifage combien il étoit flatté des exemples qu'elle venoit de lui propofer, & combien il goûtoit les avis. Mais la Volupté indignée ne put garder le filence. Non, je ne vous arrêterai pas davantage; il viendra, il viendra ce temps où Rome docile & empreffée de fe rendre à mes loix, ne connoîtra

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