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des chefs-d'oeuvres, les médiocres des avortons, les mauvaises des monftres. J'ai toûjours confideré les premieres avec vénération : elles ont même effentiellement une des qualités qui conftituent la bonne Comédie, en ce que, bien loin d'admettre ces ambitieux ornemens réjettés de tous les bons ouvrages par les Maîtres en l'art d'écrire, elles ne reçoivent point de beauté étrangere ou inutile à leur deffein, & rien n'eft beau chez elles s'il n'y est absolument néceffaire.

*

Telles font parmi plusieurs bonnes Préfaces, celle de l'Hiftoire du Renouvellement de l'Académie des Sciences, & celle de l'Hiftoire de la Ligue faite à Cambray, &c. L'Auteur de la premiere, fans s'écarter de fon objet, ne trouve point de fleurs fous fa main qu'il ne moiffonne foigneufement, & ne fe détourne jamais à droite ni à gauche, pour s'abaiffer à cueillir même celles qui font fur le bord de fon chemin : il ne court pas après les beautés, comme l'Apollon qu'il a fi bien peint courant après Daphné, dans un des plus galans Sonnets ** j'aye vûs de ma vie : il attend fagement

* Ambitiofa refcindet ornamenta. Horat.

que

**Ce Sonnet commence par ces Vers: Je fuis, difoit un jour Apollon à Daphné, Lorfque tout hors d'haleine il couroit après elle, &c,

qu'elles naiffent de fa matiere; & d'autant plus éloquent qu'il eft plus précis, il donne une idée de toutes les fciences qui occupent cette Académie, les fait non feulement connoître à ceux qui en étoient les plus éloignés, mais leur infpire une fecre→ te envie de s'y appliquer.

L'autre Préface eft digne de l'ouvrage qu'elle annonce. Elle met le lecteur au milieu de tous les intérêts de l'Hiftoire qu'elle lui préfente, & s'en éloigne fi peu, que l'auteur commence par elle à pratiquer la régle inviolable qu'il s'eft faite pour tout le corps de fon Hiftoire ; & cette régle est, dit-il, de tenir toûjours devant fes yeux le titre de fon livre : en effet, bien loin de s'en écarter jamais, toutes fes lignes y aboutiffent comme à leur centre, tout y inftruit avec une netteté qui est une fûre garantie de celle qui regnera dans tout l'ouvrage, & qui fait qu'en y entrant on fe trouve d'abord en pays de connoiffance.

Voilà comment doivent être les Préfaces, & pour quels ouvrages on en doit faire. Quand on a d'elles une idée pareille à celle que j'ai, & qu'on les envisage avec autant de circonfpection que je le fais, on eft porté à croire comme moi que toute forte de livres ne méritent pas des Préfaces, & que d'en honorer de pures baga

telles, des ouvrages feulement faits pour le badinage & pour l'amufement, ou, ce qui eft encore pis, les écrits dégoutans & les ennuyeuses fadeurs qu'on en honore, c'est donner à une bamboche la coiffure d'une Andromaque *, orner une chaumiere du frontispice d'un Temple, & par une avenue magnifique faire arriver à une guinguette. Je prévois fort bien que ce mot ne plaira point aux perfonnes délicates, & je ne m'en fers que parce que c'eft un terme bas que le peuple a mis en vogue depuis quelques années, & que j'en voudrois fçavoir quelqu'autre de plus bas encore pour exprimer le mépris que j'ai pour de pareils ouvrages, qui partent fouvent de la plume précieufe de ces délicates perfonnes que le mot de guinguette ** offenfera.

Suivant ce que je viens de dire des Préfaces, voici de tous les livres celui qui en méritoit le moins; auffi celle que j'y mets n'en eft pas véritablement une, je ne la donne pas pour telle, & ne l'ai intitulée ainfi que par une commune façon de

par

* Andromachen à fronte videbis.

Poft minor eft. Juvenal.

**C'eft ainfi que le peuple appelle de petits cabarets on it vafe divertir les jours de fête.

ler, & par la néceffité que trouve Sofie à être quelque chofe. Au demeurant donnez-lui le nom qu'il vous plaira, j'y confens, même celui de monftre dont je viens de qualifier fes pareilles, les Préfaces extravagantes. Celle-ci eft d'un deffein fort différent de toutes les autres. Quant aux bonnes, dont les exemples que je viens de citer peuvent tenir lieu de définition, je n'ai pas befoin de prouver qu'elle leur eft fort oppofée, il fuffit de la lire.

Il y en a d'un fecond ordre, qui font plûtôt des differtations fur la nature, l'excellence, & les bonnes qualités du genre d'ouvrage qu'elles précédent. L'auteur à la vérité ne s'y loue pas tout à fait ouvertement: mais il n'eft pas difficile de fentir qu'il n'éleve fi fort le mérite de fa matiere, que pour donner bonne opinion de fon choix & de fon goût.

On en voit enfin d'une troifiéme espéce,& ce font celles où les auteurs fe loüent eux-mêmes pour le moins s'ils ne font pas directement leur panegyrique, ils travaillent avec grand foin à leur apologie; ils font tout ce qu'ils peuvent pour ériger en beautés les endroits froids, & les autres défauts qu'ils fentent bien qu'on pour

* Car enfin fi faut-il que je fois quelque chofe. Dans l'Amphit.

ra leur reprocher. Ils répondent à toutes les objections qu'ils prévoyent qu'on leur fera, & ils s'en font eux-mêmes de foibles de gayeté de coeur, pour triompher, pour s'applaudir de les avoir combattuës, & se fournir par-là une occafion d'étaler leur fçavoir & leur éloquence.

Je ne parle pas d'un nombre infini de rapfodies (comme pourroit être celle-ci, fans aller plus loin) & d'impertinences de tout genre, qu'on met indifféremment & avec effronterie à la tête de toute forte d'ouvrages, & de tous ces volumes difformes qui rendent aujourd'hui nos Imprimeries plus fecondes en monftres nouveaux, que l'Afrique ne l'a jamais été. Il n'eft guéres en effet de libelles, pour méprifables qu'ils foient, qui ne fe trouvent décorés de quelque mauvais preambule qu'on appelle Préface; & je ne defefpere pas d'en voir à la fin aux Almanachs de Troye, & à quelque nouvelle édition d'Ulespiegle & de Robert le Diable.

*

Il s'eft gliffé fur cela dans la Républi que des Lettres un abus pareil à celui qui fur le chapitre des femmes s'eft entierement introduit dans le monde. Les plus viles & les plus abjectes Bourgeoises se font

Petit livre. J'ofe m'en fervir dans ce fens après Def preaux,

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