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tel de Bourgogne & du Marais. Ils nous entrétenoient des vieux Comiques, de Turlupin, Gautier-Garguille, Gorgibus, Crivello, Spinette, du Docteur, du Capitan, Fodelet , gros René, Crifpin. Ce dernier floriffoit plus que jamais; c'étoit le nom de théatre ordinaire fous lequel le fameux Poiffon brilloit tant à l'Hôtel de Bourgogne. Quoique Moliere eût en lui un redou table rival, il étoit trop au-deffus de la baffe jaloufie, pour n'entendre pas volontiers les louanges qu'on lui donnoit ; & il me femble fort (fans ofer pourtant l'affûrer après quarante ans) d'avoir ouï dire à Moliere, en parlant avec Dominico* de Poiffon, qu'il auroit donné toutes chofes au monde pour avoir le naturel de ce grand Comédien.

Ce fut donc dans ces foupers que j'appris une espéce de fuite chronologique de Comiques jufqu'aux Sganarelles, qui ont été le perfonnage favori de Moliere, quand il ne s'eft pas jetté dans les grands rôles à manteau, & dans le noble & haut comique de l'Ecole des Femmes, des Femmes fçavantes, du Tartuffe, de l'Avare, du Mifantrope, &c.

Les Pafquins & les Merlins ont eu leur

* C'est le célèbre Arlequin, pere de Mlle. de la Thorillie re, qui a foûtenu feule long-temps le Théatre Italien fous le nom de Colombine.

vogue depuis. J'oferois croire, fi Moliere avoit vêcu, qu'infenfiblement il n'auroit pas fait grand fonds fur les rôles de valet dans fes Comédies. Je ne ferois pas trop fâché qu'on voulût travailler à s'en paffer quelquefois; il y a trop d'uniformité à leur faire toûjours conduire l'intrigue, à jetter fur eux le plus rifible & le plus plaifant. J'ai ouï dire qu'on s'en paffoit fouvent dans les Comédies Angloifes. Je ne parle que d'après les autres; je ne fçai pas un mot d'Anglois, & ne crois pas même, quand la paix fera faite, aller exprès à Londres pour l'apprendre.

Je fuis donc perfuadé qu'une hiftoire des Théatres de Paris feroit bien reçûë & lûë avec avidité,fur-tout fi elle étoit de tems en tems mêlée de quelques agréables incidens nés du mérite & de la beauté des A&trices. On n'a pas eu jufqu'ici affez de foin de conferver la mémoire des chofes qui contribuent à la publique allegreffe, plus intéresfantes fouvent que des évenemens confidérables, & defquelles on peut quelquefois

Les Philippins l'avoient euë quelque tems;

j'ai là vû jouer une Comedie intitulée, La Coquette, où je dirois que le Philippin étoit un valet de la force de Parmenon de Davus, s'il étoit permis de hazarder une pareille gaf conade en faveur d'un Auteur Gascon: c'étoit M. Maleprade, de Toulouse, un des grands ornemens de nos anciens Jeux Floraux.

tirer autant d'utilité. Nos peres ont trop négligé de nous laiffer des tableaux de leurs moeurs touchant leurs modes, leurs jeux, foit à jouer de l'argent, *foit à entretenir feulement la joye; de leurs divertissemens, leurs goûts, leurs plaifirs publics, leurs fpectacles; des perfonnes qui y brilloient, & qui en faifoient l'agrément. Il eft fûr que dans un fiécle auffi délicat que le nôtre, & quia droit d'efpérer de fervir de modéle à ceux qui le fuivront, nous aurions un tort infini d'imiter fur cela la négligence de nos

peres.

Ne ferions-nous pas trop injuftes, nous qui avons le plaifir aujourd'hui de jouir des talens enchanteurs d'une Fournet, d'un Thevenard, d'une Prevôt, ** d'en vouloir joüir tous feuls, en permettant que le nom & la mémoire de ces grands Acteurs fussent

* Qui auroit dit aux graves Elpagnols, premiers joeurs de l'Hombre , que ce jeu férieux & d'une fi profonde réflexion, deviendroit le jeu, ou plûtôt le jouet de toutes les têtes les plus legeres de Paris, & qu'un jour on ne pourroit aller chez la plus petite Lingere du Cimetiere S. Innocent Pagréable maîtreffe de la maison ne vinft d'un air gracieux

, que

empreffé au-devant de vous, une carte à la main, vous propofer de faire un tiers à l'Hombre, en vous promettant de vous indemnifer avec une taffe de caffé, mais du caffé qu'on fait chez elle, à l'en croire comme n'en a jamais fait Turc Armenien, ni Italien, Gregoire, Bennachi, ni Baptifte? **Je n'ai ofé nommer l'excellent Danfeur qui nous a quit tés, de peur de renouveller ma douleur avec celle de tout Paris.

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perdus entierement pour ceux qui viendront lorfqu'ils ne feront plus? & fi nous leur en dérobions la connoiffance, ne mériterions-nous pas d'être foupçonnés d'avoir des fentimens bas, pareils à ceux de ces Souverains peu dignes de l'être, qui fembloient ne tant rien craindre comme le bonheur des peuples fous leurs fucceffeurs? Ne devrions-nous pas plûtôt, par un foin charitable pour ceux qui nous fuccederont, contens d'avoir poffedé ces plaifirs en réalité, leur en tranfmettre au moins une joüiffance en idée? Je dirai plus, nous devrions pour l'amour de nous-mêmes en laiffer par écrit des traits immortels à ceux qui vivront après nous; ce feroit nous perpetuer avec eux en quelque maniere. Que ceux qui vivoient en ce tems-là étoient heureux, diroient-ils toutes les fois que la lecture de chofes fi agréables préfenteroit à leur imagination les charmes de la voix, la beauté de l'action, & la légereté de la danfe de perfonnes qui auroient été rares dans l'excellence de leur art!

Certainement c'est une pareffe, ou une indifférence qui n'eft pas excufable, que de laiffer oublier des chofes de ce prix. Je ne puis croire que nous le faffions par malignité, & pour nous venger fur nos defcendans de la négligence de nos ancêtres;

trop heureux fi je pouvois fur cela réveiller nos écrivains, & les piquer d'honneur & d'émulation!

On ignore plus ce qui fe paffoit à Paris il n'y a pas encore cent cinquante ans touchant ces matieres de Théatre, que ce qui fe paffoit à Rome du tems de Terence: en nous confervant fes Comédies on a eu le foin d'y nommer les chefs des troupes quiles repréfentoient, ceux qui en avoient fait la mufique, & jusques à la différence des flûtes qui y étoient employées. Je fçai de plus que quand il y auroit des gens qui par pareffe de n'avoir pas voulu s'en inftruire dans les livres, auroient vécu jufqu'à ce jour dans une totale ignorance des Théatres Grecs & Latins, ils n'ont pas long-tems à attendre pour en fçavoir plus que moi, & l'on m'a dit que cette matiere doit être traitée à la prochaine ouverture de l'Académie des infcriptions. Je m'en fie fort à l'Académicien qui en eft chargé, & je m'atends à voir dans fon ouvrage les mafques, les habits, les théatres, les orchestres des anciens, avec toute la même facilité & le même plaifir qu'un nouvel héritier, qui croit ne pouvoir jamais diffiper affez-tôt les biens que fon fordide pere a été cinquante ans à accumuler, eft pour fon louis fur le théatre de l'Opera dans la contemplation

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